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Cour de cassation, 25 janvier 2012, n°10-26237 (Envoi de préavis de grève successifs - licéité)

En l'espèce, un syndicat adresse à son employeur plusieurs préavis de grève successifs pour le même motif. L'établissement privé poursuivant une mission de service public concerné a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance, lequel a suspendu, par une ordonnance du 27 novembre 2009, les effets de 4 préavis de grève.

La Cour d'appel d'Aix en Provence a rendu un arrêt le 9 septembre 2010 par lequel elle confirme l'ordonnance du TGI et retient que " si aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, dès lors qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'est imputable au syndicat, c'est à la condition toutefois qu'ils mentionnent des motifs différents".

La Cour de cassation casse et annule cet arrêt en considérant que "l'envoi de préavis de grève successifs pour le même motif ne caractérise aucun trouble manifestement illicite en l'absence de disposition légale l'interdisant et à défaut de manquement à l'obligation de négocier".

 

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé, que, dans le cadre d'un mouvement de grève motivé par le retrait et la révision du projet d'avenant à la convention de délégation de service public entre la SNCM, la collectivité territoriale de Corse et l'office des transports de Corse, le syndicat CGT des Marins de Marseille a adressé à la société SNCM, par télécopie, le vendredi 20 novembre à 22 h, trois préavis de grève pour les journées du 26 novembre, 27 novembre et 28 novembre 2009, puis le lundi 23 novembre un quatrième préavis, par télécopie, à 21 h 23 pour le 29 novembre, le 24 novembre un cinquième préavis pour le 30 novembre et enfin le mercredi 25 novembre un dernier préavis pour le 1er décembre 2009 ; que la SNCM a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance, lequel, par une ordonnance du 27 novembre 2009, a suspendu les effets des préavis de grève pour les 28 novembre, 29 novembre, 30 novembre et 1er décembre 2009 ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 2512-2 du code du travail ;

Attendu que, pour confirmer cette ordonnance, l'arrêt retient que, si aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, dès lors qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'est imputable au syndicat, c'est à la condition toutefois qu'ils mentionnent des motifs différents ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'envoi de préavis de grève successifs pour le même motif ne caractérise aucun trouble manifestement illicite en l'absence de disposition légale l'interdisant et à défaut de manquement à l'obligation de négocier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article L. 2512-2 du code du travail ;

Attendu que, pour déclarer les préavis de grève illicites, l'arrêt retient que le syndicat CGT des Marins de Marseille a utilisé une manoeuvre déloyale, ayant pour effet de réduire le délai de négociation imposé par la loi, que, si le mode de transmission, par télécopie, n'est pas en cause, le fait d'adresser volontairement les préavis de grève, à une date et un horaire où le syndicat savait parfaitement que l'employeur ne serait pas en mesure d'en prendre connaissance sans délai, constitue un abus de droit, destiné à réduire d'autant le délai légal prévu pour la négociation, de sorte que cet envoi est illicite ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les préavis de grève pour les journées des 26, 27 et 28 novembre avaient été adressés le 20 novembre à 22 heures par télécopie et que le préavis de grève pour la journée du 29 novembre avait été adressé par télécopie le 23 novembre à 21H23, ce dont il résultait que le délai de cinq jours francs avait été respecté, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société SNCM aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 2 500 euros au syndicat CGT des Marins de Marseille ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille douze.

 

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour le syndicat CGT des Marins de Marseille

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, à la fois, « déclaré illicites » les préavis de grève envoyés après la fermeture des bureaux par le syndicat CGT DES MARINS DE MARSEILLE à la société SNCM et d'avoir « suspendu les effets » des préavis de renouvellement qui invoquaient des motifs identiques ;

Aux motifs que « - Sur la validité des préavis de grève successifs délivrés par le syndicat CGT des Marins de Marseille :

La SNCM a pour activité le transport maritime de voyageurs dans le cadre d'une mission de gestion de service public.

Elle relève pour l'exercice du droit de grève des dispositions des articles L 2512-1 et suivants du code du travail qui notamment, imposent le dépôt d'un préavis de grève au moins 5 jours francs avant le début de la grève, les parties étant tenues de négocier durant ce délai.

Si aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, dès lors qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'est imputable au syndicat, c'est à la condition toutefois qu'ils mentionnent des motifs différents ; tel n'est pas le cas en l'espèce puisque c'est le même syndicat qui a fait délivrer à l'employeur des préavis successifs pour des revendications identiques, alors que la négociation était en cours suite à la convocation le 18 novembre 2009 d'un comité d'entreprise extraordinaire pour le 23 novembre suivant.

C'est, en conséquence, à bon droit, par des motifs que la cour d'appel adopte au surplus, que le premier juge a suspendu les effets des dits préavis, pour violation de la loi.

- Sur l'appel incident :

Le syndicat CGT a adressé à l'employeur le vendredi 20 novembre à 22 heures, par télécopie, trois préavis de grève pour les journées des 26 novembre, 27 et 28 novembre, préavis réceptionnés par l'entreprise, compte tenu de la fermeture des bureaux, le lundi 23 novembre à 8 heures 30 ; un quatrième préavis de grève a été adressé par le syndicat à l'entreprise par télécopie, le 23 novembre à 21 h 23, alors que les bureaux étaient fermés, préavis réceptionné le lendemain 24 novembre à 8 h 30, à l'ouverture des bureaux.

Ce faisant le syndicat CGT des Marins de Marseille a utilisé une manoeuvre déloyale, ayant pour effet de réduire le délai de négociation imposé par la loi ; si le mode de transmission, par télécopie, n'est pas en cause, le fait d'adresser volontairement les préavis de grève, à une date et un horaire où le syndicat savait parfaitement que l'employeur ne serait pas en mesure d'en prendre connaissance sans délai, constitue un abus de droit, destiné à réduire d'autant le délai légal prévu pour la négociation, de sorte que cet envoi est illicite.

La décision est infirmée de ce chef » ;

Alors que, en ayant suspendu les effets de préavis de grève que, dans un même temps, elle annulait pour illicéité, la Cour d'appel a violé l'article L. 2512-2 du Code du Travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir suspendu les effets des préavis de grève successifs déposés, pour des motifs identiques, par le syndicat CGT DES MARINS DE MARSEILLE ;

Aux motifs propres que « La SNCM a pour activité le transport maritime de voyageurs dans le cadre d'une mission de gestion de service public.

Elle relève pour l'exercice du droit de grève des dispositions des articles L 2512-1 et suivants du code du travail qui notamment, imposent le dépôt d'un préavis de grève au moins 5 jours francs avant le début de la grève, les parties étant tenues de négocier durant ce délai.

Si aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, dès lors qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'est imputable au syndicat, c'est à la condition toutefois qu'ils mentionnent des motifs différents ; tel n'est pas le cas en l'espèce puisque c'est le même syndicat qui a fait délivrer à l'employeur des préavis successifs pour des revendications identiques, alors que la négociation était en cours suite à la convocation le 18 novembre 2009 d'un comité d'entreprise extraordinaire pour le 23 novembre suivant.

C'est, en conséquence, à bon droit, par des motifs que la cour d'appel adopte au surplus, que le premier juge a suspendu les effets des dits préavis, pour violation de la loi » ;

Et aux motifs éventuellement adoptés que « si la Loi n'interdit pas l'envoi de préavis de grève successifs pour des motifs différents, en revanche l'obligation faite aux parties de négocier pendant la période de préavis interdit à la même organisation syndicale de déposer des préavis successifs pour le même motif pendant le cours du premier préavis déposé pour ce motif ;

… en l'espèce, que le Syndicat CGT des Marins de Marseille a adressé à la SA SNCM, par télécopies parvenues dans les locaux de cette dernière le vendredi 20.11.2009 à 22 heures, trois préavis de grève, tous en date du 20.11.2009 et concernant le même périmètre géographique (les ports de Toulon, Nice et Marseille), mentionnant tous trois pour motif «retrait et révision de l'accord précité » (convention de délégation de service public entre Marseille et la Corse), chacun pour une durée de «24 heures reconductibles », le premier à compter du 26.11.2009 à 06h00, le second du 27.11.2009 à 06h00 et le troisième du 28.11.2009 à 06h00 ;

Que le 23.11.2009, par télécopie parvenue dans les locaux de la SA SNCM à 21h23, un nouveau préavis de grève rédigé dans les mêmes termes que les précédents était déposé par le même syndicat pour la journée du 29.11.2009 à partir de 06h00 ;

Qu'enfin les 24.11.2009 et 25.11.2009 deux autres préavis rédigés dans les mêmes termes que les précédents étaient déposés par le même syndicat pour les journées des 30.11.2009 et 01.12.2009 à partir de 06h00 ;

… que la grève ayant cessé ce jour, 27.11.2009, seule la question de la régularité des préavis ayant effet après cette date sera examinée puisque le mouvement de grève s'est poursuivi sans interruption les 26 et 27 novembre ;

… que les préavis parvenus à la SA SNCM le 20.11.2009 pour la journée du 28.11.2009, le 23.11.2009 pour la journée du 29.11.2009 et les 24.11.2009 et 25.11.2009 pour les journées des 30.11.2009 et 01.12.2009, déposés pendant le cours du délai de cinq jours francs pour le même motif que le premier préavis déposé le 20.11.2009 pour ce motif doivent, pour les raisons exposées ci-dessus, être suspendus dans leurs effets » ;

1. Alors que, d'une part, aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, que ceux-ci mentionnent des motifs différents ou des motifs identiques ; qu'en l'espèce, en ayant affirmé que, si aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs, c'est à la condition toutefois qu'ils mentionnent des motifs différents, la Cour d'appel a ajouté au texte et a violé l'article L. 2512-2 du Code du Travail, par mauvaise interprétation ;

2. Alors que, d'autre part, en ne répondant pas au moyen du syndicat CGT DES MARINS DE MARSEILLE selon lequel, en fait, les syndicats n'avaient jamais été reçus par la direction, laquelle s'était refusée à toute négociation, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de Procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré illicites les préavis de grève envoyés après la fermeture des bureaux par le syndicat CGT DES MARINS DE MARSEILLE à la société SNCM ;

Aux motifs que « le syndicat CGT a adressé à l'employeur le vendredi 20 novembre à 22 heures, par télécopie, trois préavis de grève pour les journées des 26 novembre, 27 et 28 novembre, préavis réceptionnés par l'entreprise, compte tenu de la fermeture des bureaux, le lundi 23 novembre à 8 heures 30 ; un quatrième préavis de grève a été adressé par le syndicat à l'entreprise par télécopie, le 23 novembre à 21 h 23, alors que les bureaux étaient fermés, préavis réceptionné le lendemain 24 novembre à 8 h 30, à l'ouverture des bureaux.

Ce faisant le syndicat CGT des Marins de Marseille a utilisé une manoeuvre déloyale, ayant pour effet de réduire le délai de négociation imposé par la loi ; si le mode de transmission, par télécopie, n'est pas en cause, le fait d'adresser volontairement les préavis de grève, à une date et un horaire où le syndicat savait parfaitement que l'employeur ne serait pas en mesure d'en prendre connaissance sans délai, constitue un abus de droit, destiné à réduire d'autant le délai légal prévu pour la négociation, de sorte que cet envoi est illicite.

La décision est infirmée de ce chef » ;

Alors que, en précisant que le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève, le législateur n'a ni fixé les modalités du dépôt du préavis ni limité aux seuls jours et heures ouvrables ce dépôt mais a seulement institué un délai ayant pour point de départ la réception du préavis par l'employeur ; qu'en conséquence, dès lors que l'employeur laisse une télécopie active en ses locaux, l'envoi du préavis de grève par le biais de cette machine est licite quels que soient les jour et heure auxquels ce préavis parvient à l'employeur ; qu'en l'espèce, en ayant jugé qu'était illicite l'envoi de préavis de grève par télécopie à des heures de fermeture des bureaux quand bien même l'employeur avait laissé active sa propre télécopie aux heures en question et quand bien même les notifications avaient toutes été réceptionnées dans les locaux de leur destinataire avant minuit, la Cour d'appel a ajouté à la loi et a violé l'article L. 2512-2 du Code du Travail.