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Cour de cassation, chambre criminelle, 15 février 2011, n°10.82.808 (atteinte à la vie privée - violation du secret médical)

Les faits particulièrement singuliers de l'espèce sont les suivants : un médecin porte plainte pour atteinte à la vie privée après avoir découvert un dictaphone en fonctionnement, dissimulé dans une rampe d'éclairage du local d'accueil du cabinet médical qu'il partageait avec un chirurgien dentiste. Ce dernier, pour expliquer son geste, a prétendu qu'il cherchait à se procurer des éléments d'information dans le cadre d'un contentieux ordinal l'opposant à son confrère. La cour d'appel a relaxé le chirugien dentiste du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée en retenant que l'article 226-1 du Code pénal vise non pas le lieu dans lequel les paroles ont été prononcées mais la nature des propos, qui doivent avoir été tenus à titre privé ou confidentiel, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Cette décision est censurée par la Cour de cassation au m otif suivant : "en se déterminant ainsi, sans rechercher si les faits dont elle était saisie ne caractérisaient pas une tentative d'atteinte à la vie privée, également punissable, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés". Les juges relèvent notamment que "constitue une tentative du délit d'atteinte à la vie privée la mise en œuvre d'un procédé destiné à enregistrer, sans le consentement de leur auteur, des propos tenus dans le cabinet d'un professionnel de la santé qui, par nature, sont confidentiels et couverts par le secret médical".

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Olivier X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 4 mars 2010, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Mme Myriam Y... du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 1110-4 du code de la santé publique, 226-1, 226-5 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme Y... non coupable et l'a renvoyée des fins de la poursuite et, en conséquence, a débouté la partie civile de ses demandes tendant à la condamnation de la prévenue à lui verser 1 euro de dommages-intérêts et 1 600 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

"aux motifs que l'article 226-1 du code pénal est ainsi rédigé « est prévu d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait au moyen d'un procédé quelconque volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1° en captant un enregistrement ou transmettant sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » ; que cette incrimination pénale d'atteinte à l'intimité de la vie privée diffère de l'atteinte à la vie privée protégée par l'article 9 du code civil ; que s'agissant de paroles, et non d'images, l'article 226-1 §1 du code pénal vise non pas le lieu dans lequel les paroles ont été prononcées mais la nature desdits propos, qui doivent avoir été tenus à titre privé ou confidentiel ; que la Cour de cassation a, par un arrêt du 14 février 2006, confirmé un arrêt de cour d'appel ayant jugé que l'enregistrement, même à l'insu de la personne, de propos entrant dans le cadre de l'activité professionnelle de la personne sans qu'aucun propos touchant à la vie privée de celle-ci, c'est-à-dire concernant ses relations familiales, amicales, sa vie conjugale ou sentimentale, sa vie physique, de son état de santé, n'ait été retranscrit, ne constituait pas le délit d'atteinte à l'intimité de la personne ; qu'en l'espèce, si le procédé manque d'élégance, il doit être constaté qu'aucun propos touchant à la vie privée n'a été capté ou transcrit ; que la tentative de ce délit visé par l'article 226-1 n'est pas punissable, et que les faits ont été commis non au domicile du plaignant mais dans un local d'usage conjoint s'agissant du lieu d'accueil du centre médical qui n'est pas par nature un lieu confidentiel ; qu'en conséquence, l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée par captation de paroles prononcées à titre privé visée par l'article 226-1 du code pénal n'est pas constituée, et la cour relaxera Mme Y... ; que du fait de la relaxe, la partie civile sera déboutée de ses demandes ;

"1°) alors que la tentative du délit d'atteinte à la vie privée est punissable ; qu'en jugeant néanmoins que la tentative du délit visé par l'article 226-1 du code pénal n'était pas punissable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que constitue une tentative du délit d'atteinte à la vie privée la mise en oeuvre d'un procédé destiné à enregistrer, sans le consentement de leur auteur, des propos tenus dans le cabinet d'un professionnel de la santé qui, par nature sont confidentiels et couverts par le secret médical ; qu'en se bornant à relever, pour relaxer la prévenue, que le dictaphone avait été installé non au domicile du plaignant mais dans le hall d'accueil du centre médical qui n'est pas par nature un lieu confidentiel, sans rechercher si la mise en oeuvre de ce procédé d'enregistrement à l'insu de M. X..., dans son cabinet dentaire et après sa fermeture au public, à une heure où il pouvait en tout lieu de ce cabinet échanger avec un autre praticien des propos de nature confidentielle sur ses patients, ne constituait pas un commencement d'exécution du délit d'atteinte à la vie privée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"3°) alors que constitue une tentative d'atteinte à la vie privée la mise en oeuvre d'un procédé destiné à enregistrer, sans le consentement de leur auteur, des propos prononcés à titre privé ou confidentiel ; qu'en se bornant à relever, pour relaxer la prévenue, que le dictaphone avait été installé non au domicile du plaignant mais dans le hall d'accueil du centre médical qui n'est pas par nature un lieu confidentiel, sans rechercher si la mise en oeuvre de ce procédé d'enregistrement à l'insu de M. X..., quel qu'en soit le lieu, n'avait pas pour objet de recueillir des informations confidentielles sur les litiges opposant la prévenue et son associé devant les instances judiciaires et ordinales et, en conséquence, ne constituait pas un commencement d'exécution du délit d'atteinte à la vie privée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"4°) alors que constitue une tentative d'atteinte à la vie privée la mise en oeuvre d'un procédé destiné à enregistrer, sans le consentement de leur auteur, des propos prononcés à titre privé ou confidentiel ; qu'en se bornant à relever, pour relaxer la prévenue, que le dictaphone avait été installé non au domicile du plaignant mais dans le hall d'accueil du centre médical qui n'est pas par nature un lieu confidentiel, sans rechercher si la mise en oeuvre de ce procédé d'enregistrement à l'insu de M. X..., dans son cabinet dentaire et après sa fermeture au public, à une heure où il pouvait en tout lieu de ce cabinet tenir des propos de nature privée, ne constituait pas un commencement d'exécution du délit d'atteinte à la vie privée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Vu les articles 226-1 et 226-5 du code pénal, ensemble l'article 388 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'est puni des peines édictées par le premier de ces textes le fait de tenter, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcés à titre privé ou confidentiel ;

Attendu que le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., médecin, a porté plainte à la suite de la découverte, dans le local d'accueil du cabinet médical qu'il partageait avec Mme Y..., chirurgien dentiste, d'un dictaphone en fonctionnement, dissimulé dans une rampe d'éclairage ; que Mme Y... a expliqué qu'elle entendait ainsi se procurer des éléments d'information dans le contentieux ordinal qui l'opposait à son confrère ; que, citée devant le tribunal correctionnel du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée, elle a été condamnée à une peine d'amende, et au paiement de dommages-intérêts à M. X..., constitué partie civile ; que les parties ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour renvoyer la prévenue des fins de la poursuite, et débouter la partie civile de ses demandes, la cour d'appel retient notamment que l'article 226-1 §1 du code pénal vise non pas le lieu dans lequel les paroles ont été prononcées, mais la nature des propos, qui doivent avoir été tenus à titre privé ou confidentiel, qu'en l'espèce aucun propos touchant à la vie privée n'a été capté ou transcrit, que la tentative du délit visé par l'article 226-1 du code pénal n'est pas punissable, et que les faits ont été commis non au domicile du plaignant, mais dans un local d'usage conjoint, s'agissant du lieu d'accueil du centre médical, qui n'est pas par nature un lieu confidentiel ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les faits dont elle était saisie ne caractérisaient pas une tentative d'atteinte à la vie privée, également punissable, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 4 mars 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.