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Cour de cassation, deuxième chambre civile, 28 juin 2012, n° 11-21287

Mme Y a été contaminé par le VIH par son conjoint, lui-même devenu séropositif  à la suite d’une transfusion sanguine. Celle-ci a demandé la réparation de son préjudice spécifique de contamination à l’ONIAM qui a rejeté sa demande. A la suite du refus formulé par l’ONIAM, Mme Y a formé un recours devant la cour d’appel de paris laquelle a condamné l’ONIAM  à verser à la victime la somme de 180 000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice.  L’office se pourvoit en cassation au motif que seules les victimes de préjudices résultant de contamination par le VIH peuvent être indemnisées au titre de la solidarité nationale.  La cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’ONIAM en considérant que la contamination transfusionnelle de Mr Y a permis la contamination par le VIH de son épouse. Ainsi les conditions prévues par le code de la santé publique permettant l’indemnisation des victimes sont remplies. D’autre part la haute juridiction a estimé que la potentielle faute commise par le conjoint ne peut exclure le droit à réparation de Mme X dès lors que « l’indemnisation de la contamination par le VIH n’obéit qu’à l’unique condition que le préjudice soit causé directement par une transfusion ».

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 28 juin 2012
N° de pourvoi: 11-21287

 

Non publié au bulletin

M. Loriferne (président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Roger et Sevaux, avocat(s)

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2011), qu'Halim X..., traité en France pour une hémophilie de type A, a été contaminé par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) ; que sa séropositivité, mise en évidence en mai 1985, a été confirmée en 1991 après la réalisation d'analyses de contrôle ; que l'origine transfusionnelle de la contamination ayant été reconnue, Halim X... a été indemnisé de son entier préjudice par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu'il a épousé le 30 novembre 1999 Mme Y... dont il a eu deux enfants puis est décédé accidentellement le 24 novembre 2007 ; qu'exposant avoir été contaminée par son conjoint dont elle n'aurait découvert la séroposivité qu'en décembre 2008, Mme Y... a demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la réparation de son préjudice spécifique de contamination ; que l'ONIAM ayant rejeté cette demande, Mme Y... a formé un recours devant la cour d'appel de Paris ;

Attendu que l'ONIAM fait grief à l'arrêt d'allouer à Mme Y... la somme de 180 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice spécifique de contamination, alors, selon le moyen :

1°/ que dans le cadre du recours exercé dans les conditions prévues à l'article L. 3122-3 du code de la santé publique, à l'encontre d'une décision de l'ONIAM ayant rejeté une demande d'indemnisation, l'ONIAM est recevable à justifier par tous moyens, même non expressément visés dans sa décision, le rejet des demandes litigieuses ; qu'en prétendant opposer à l'ONIAM le fait qu'elle n'aurait pas, dans la décision faisant l'objet du recours de Mme Y..., contesté le lien de causalité entre la contamination transfusionnelle d'Halim X... et celle de cette dernière, la cour d'appel a méconnu l'article L. 3122-3 du code de la santé publique ;

2°/ que la cour d'appel qui a, à juste titre, rappelé que l'ONIAM avait fondé sa décision de rejet d'indemnisation des préjudices subis par Mme Y... sur un motif déduit de ce que la contamination de celle-ci "trouv ait sa cause adéquate dans la contamination consciente, au silence gardé par l'auteur de sa propre contamination", ce qui impliquait que l'ONIAM entendait contester que la contamination transfusionnelle d'Halim X... puisse être considéré comme la cause adéquate et efficiente de la contamination de son épouse, ne pouvait affirmer, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations et violer à nouveau l'article L. 3123 du code de la santé publique que l'ONIAM n'aurait pas, à ce stade, contesté le lien de causalité entre la contamination transfusionnelle d'Halim X... et celle de Mme Y... ;

3°/ qu'en application de l'article L. 3122-1 du code de la santé publique, seules les victimes de préjudices résultant de contamination par le virus d'une immunodéficience causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française peuvent être indemnisées au titre de la solidarité nationale ; qu'en constatant en l'occurrence que les transfusions reçues par Halim X... avaient seulement rendu possible la contamination de son épouse par celui-ci, la cour d'appel n'a nullement caractérisé le lien de causalité requis par ce texte et a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier ;

4°/ qu'en se bornant à relever que le silence d'Halim X... n'aurait pas permis la contamination par le VIH de son épouse, sans rechercher, comme l'y invitait l'ONIAM en ses écritures d'appel, si le comportement de ce dernier , ayant consisté non seulement à dissimuler à l'égard de son épouse sa séropositivité, mais également à entretenir sciemment avec elle des relations sexuelles non protégées et sans utiliser les moyens de prévention mécaniques et thérapeutiques dont il disposait pour prévenir sa contamination, comportement constitutif d'une infraction pénale, n'était pas la seule cause adéquate et efficiente de la contamination dont Mme Y... avait été victime, la cour d'appel a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3122-1 du code de la santé publique ;

Mais attendu que l'arrêt retient que ce n'est pas le silence d'Halim X... mais sa propre contamination transfusionnelle sur le territoire de la République française qui a permis la contamination par le VIH de son épouse, quand bien même elle aurait vécu en Algérie ; que les conditions prévues par le code de la santé publique dans le cas précis de l'indemnisation des victimes de contamination sont remplies ; que même en admettant qu'Halim X... a commis une faute, celle-ci n'a aucune incidence sur le droit à réparation de Mme Y... par l'ONIAM, dès lors que l'indemnisation de la contamination par le VIH n'obéit qu'à l'unique condition que le préjudice soit causé directement par une transfusion ;

Que de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d'appel a pu déduire l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la contamination de Mme Y... par le VIH et les transfusions de sang contaminé reçues par Halim X... sans lesquelles le dommage ne se serait pas produit ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en ses première et deuxième branches en ce qu'elles s'attaquent à des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux à payer à Mme Y... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils, pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir alloué à Madame X... la somme de 180.000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice spécifique de contamination et celle de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Aux motifs que l'ONIAM soutient que la faute commise par Monsieur X... qui aurait dissimulé sa séropositivité à son épouse exclut ainsi pour celle-ci tout droit à réparation de sa propre contamination par le VIH ; qu'aux termes de l'article L.3122-1 du Code de la santé publique « les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ciaprès (…). La réparation intégrale des préjudices définis au premier alinéa est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et infections nosocomiales mentionné à l'article L.1142-22 (…) » ; que l'article L.1142-22 du même Code, après avoir défini le statut d'établissement public de l'ONIAM, contient des dispositions distinctes pour chacune des missions de cet Office avec des alinéas différents quant aux conditions d'exercice de chacune d'entre elles ; le premier alinéa énonce des conditions strictement applicables à l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales alors que le deuxième alinéa se borne à énoncer que « l'office est également chargé de la réparation des dommages directement imputables à une vaccination obligatoire … , de l'indemnisation des victimes de préjudices résultats de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine en application de l'article L.3122-1 … » ; qu'il résulte de la combinaison des dispositions ainsi rappelées que le législateur a instauré l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination transfusionnelle par le VIH sur le territoire de la République dans aucune autre condition et, plus particulièrement, sans aucune restriction de ce droit à indemnisation pouvant être imputable à une quelconque faute ; que raisonner autrement serait ajouter aux textes qui n'autorisent aucun lien entre le droit à indemnisation et la responsabilité pour faute ; que l'ONIAM est mal fondé à soutenir que son intervention au titre de la solidarité nationale « reste subsidiaire par rapport à l'engagement de la responsabilité » dès lors que l'article L.3122-4 du Code de la santé publique, en son chapitre II « indemnisation des victimes contaminées », dispose que « l'office est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage » ; que par ailleurs, l'ONIAM conteste dans ses écritures l'origine de la contamination par le VIH de Madame Hind X... par son mari luimême victime d'une contamination transfusionnelle ; que, cependant, l'Office a fondé sa décision de rejet de l'indemnisation des préjudices subis par Madame Hind X... sur le motif suivant : « la contamination trouve sa cause adéquate dans la contamination consciente, par le silence gardé par l'auteur de sa propre contamination » que l'ONIAM n'a donc pas contesté le lien de causalité entre la contamination transfusionnelle de Monsieur X... et celle de Madame Hind X... ; qu'enfin, c'est non pas le silence de Monsieur X... mais sa propre contamination transfusionnelle sur le territoire de la République française qui a permis la contamination par le VIH de Madame Hind X..., son épouse, quand bien même elle aurait vécu en Algérie ; que les conditions prévues par les dispositions du Code de la santé publique dans le cas précis de l'indemnisation des victimes par contamination sont donc remplies ; qu'en effet, même si on admet que Monsieur X... a commis une faute, celle-ci n'a aucune incidence sur le droit à réparation de Madame Hind X... par l'ONIAM dès lors que l'indemnisation de la contamination par le VIH n'obéit qu'à l'unique condition que le préjudice soit causé directement par une transfusion et qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'autorise, voire même ne prévoit, une quelconque exclusion pour faute dans la chaîne des causalités ;

Alors, de première part, que dans le cadre du recours exercé dans les conditions prévues à l'article L.3122-3 du Code de la santé publique, à l'encontre d'une décision de l'ONIAM ayant rejeté une demande d'indemnisation, l'ONIAM est recevable à justifier par tous moyens, même non expressément visés dans sa décision, le rejet des demandes litigieuses ; qu'en prétendant opposer à l'ONIAM le fait qu'elle n'aurait pas, dans la décision faisant l'objet du recours de Madame Y..., contesté le lien de causalité entre la contamination transfusionnelle de Monsieur X... et celle de cette dernière, la Cour d'appel a méconnu l'article L.3122-3 du Code de la santé publique ;

Alors, de deuxième part, que la Cour d'appel qui a à juste titre rappelé que l'Office avait fondé sa décision de rejet d'indemnisation des préjudices subis par Madame Y... sur un motif déduit de ce que la contamination de celle-ci « trouv ait sa cause adéquate dans la contamination consciente, au silence gardé par l'auteur de sa propre contamination », ce qui impliquait que l'ONIAM entendait contester que la contamination transfusionnelle de Monsieur X... puisse être considéré comme la cause adéquate et efficiente de la contamination de son épouse, ne pouvait affirmer, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations et violer à nouveau l'article L.3123 du Code de la santé publique que l'ONIAM n'aurait pas, à ce stade, contesté le lien de causalité entre la contamination transfusionnelle de Monsieur X... et celle de Madame Y... ;

Alors, de troisième part, qu'en application de l'article L.3122-1 du Code de la santé publique, seules les victimes de préjudices résultant de contamination par le virus d'une immunodéficience causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française peuvent être indemnisées au titre de la solidarité nationale ; qu'en constatant en l'occurrence que les transfusions reçues par Monsieur X... avaient seulement rendu possible la contamination de son épouse par celui-ci, la Cour d'appel n'a nullement caractérisé le lien de causalité requis par ce texte et a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier ;

Et alors, qu'en se bornant à relever que le silence de Monsieur X... n'aurait pas permis la contamination par le VIH de son épouse, sans rechercher, comme l'y invitait l'ONIAM en ses écritures d'appel, si le comportement de Monsieur X..., ayant consisté non seulement à dissimuler à l'égard de son épouse sa séropositivité, mais également à entretenir sciemment avec elle des relations sexuelles non protégées et sans utiliser les moyens de prévention mécaniques et thérapeutiques dont il disposait pour prévenir sa contamination, comportement constitutif d'une infraction pénale, n'était pas la seule cause adéquate et efficiente de la contamination dont Madame Y... avait été victime, la Cour d'appel a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard de l'article L.3122-1 du Code de la santé publique ;


Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 16 mai 2011