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Cour de justice des communautés européennes, 4 juin 2009, n°C-285/08 (Responsabilité du fait des produits défectueux – Dommage – Réparation – Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 – Dispositions des Etats membres)

La Cour de cassation française a posé à la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) une question préjudicielle concernant l’interprétation des articles 9 et 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ; la CJCE devant ainsi analyser si la directive 85-374/CEE s’oppose à l’interprétation d’un droit national ou d’une jurisprudence interne. Cette demande fait suite à un litige relatif à la responsabilité de la société productrice d’un alternateur ayant causé un dommage à un groupe électrogène d’un hôpital. La société fait valoir que l’obligation de sécurité du fabricant, selon la directive, ne couvre pas les dommages causés aux objets destinés à un usage professionnel mais seulement ceux destinés à une consommation privée. Par cet arrêt, la CJCE considère que La directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 juin 2009

«Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE – Champ d’application – Dommage causé à une chose destinée à un usage professionnel et utilisée pour cet usage – Régime national permettant à la victime de demander réparation d’un tel dommage, dès lors qu’elle rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité – Compatibilité»

Dans l’affaire C-285/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 24 juin 2008, parvenue à la Cour le 30 juin 2008, dans la procédure

Moteurs Leroy Somer

contre

Dalkia France,

Ace Europe,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešiè, A. Tizzano, A. Borg Barthet et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour Moteurs Leroy Somer, par la SCP F. Rocheteau et C. Uzan-Sarano, avocat,
– pour Dalkia France et Ace Europe, par la SCP Coutard – Mayer – Munier-Apaire, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Wilms et J.-B. Laignelot, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions, rend le présent Arrêt

1- La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 9 et 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO L 210, p. 29).

2 - Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Moteurs Leroy Somer aux sociétés Dalkia France et Ace Europe au sujet de sa responsabilité pour le dommage causé à un groupe électrogène d’un hôpital consécutif à l’échauffement d’un alternateur fabriqué par elle.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 - Les neuvième et dix-huitième considérants de la directive 85/374 sont libellés comme suit:

«considérant que la protection du consommateur exige la réparation des dommages causés par la mort et par les lésions corporelles ainsi que la réparation des dommages aux biens; que cette dernière doit cependant être limitée aux choses d’usage privé ou de consommation privée […];

[…]

considérant que l’harmonisation résultant de la présente directive ne peut, au stade actuel, être totale, mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée; qu’il y a lieu, dès lors, pour le Conseil de se saisir à intervalles réguliers de rapports de la Commission sur l’application de la présente directive, accompagnés le cas échéant de propositions appropriées».

4 - Aux termes de l’article 1er de la directive 85/374, «[l]e producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit».

5 - Selon l’article 4 de cette directive, «[l]a victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage».

6 - L’article 9 de ladite directive prévoit:

«Au sens de l’article 1er, le terme ‘dommage’ désigne:

a) le dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles;

b) le dommage causé à une chose ou la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d’une franchise de 500 [euros], à condition que cette chose:

i) soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés

et

ii) ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés.

Le présent article ne porte pas préjudice aux dispositions nationales relatives aux dommages immatériels.»

7 - L’article 13 de cette même directive est libellé comme suit:

«La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive.»

La réglementation nationale

8 - Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le droit français ou la jurisprudence française établie permettent à la victime d’un produit défectueux de demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 - Un groupe électrogène installé en 1995 par la société Wartsila dans un hôpital à Lyon a pris feu à la suite de l’échauffement de l’alternateur fabriqué par Moteurs Leroy Somer et mis en circulation par celle-ci en 1994.

10 - Dalkia France, chargée de la maintenance de cette installation, et son assureur, Ace Europe, ont réparé les dommages matériels causés à l’hôpital par cet accident puis, subrogés dans les droits de ce dernier, ont assigné Moteurs Leroy Somer afin d’obtenir le remboursement des sommes versées par elles.

11 - Par arrêt du 7 décembre 2006, la cour d’appel de Lyon a constaté que Moteurs Leroy Somer était tenue d’une obligation de sécurité et l’a condamnée à payer à Dalkia France la somme de 320 143,03 euros et à Ace Europe la somme de 229 107 euros.

12 - Devant la juridiction de renvoi, Moteurs Leroy Somer fait notamment valoir que l’obligation de sécurité qui pèse sur tout vendeur professionnel ne couvre pas les dommages causés aux objets destinés à un usage professionnel et utilisés par la victime pour son usage professionnel. En la condamnant à réparer les dommages purement matériels affectant le groupe électrogène commandé par l’hôpital pour les besoins de son activité professionnelle, la cour d’appel de Lyon aurait violé les dispositions de l’article 1603 du code civil, interprétées à la lumière de la directive 85/374.

13- Estimant nécessaire d’interpréter la directive 85/374 pour pouvoir statuer sur le pourvoi dont elle est saisie, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 9 et 13 de la directive [85/374] s’opposent-ils à l’interprétation d’un droit national ou d’une jurisprudence interne établie telle qu’elle permette à la victime de demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage?»

Sur la question préjudicielle

14 - Par sa question, la Cour de cassation demande, en substance, si la directive 85/374 s’oppose à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

15- L’article 9 de la directive 85/374 circonscrit le terme «dommage» au sens de l’article 1er de cette directive, selon lequel «[l]e producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit».

16 - Selon cet article 9, ledit terme couvre, outre le dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles, le dommage causé à une chose ou la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d’une franchise de 500 euros, à condition que cette chose soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés.

17- Force est donc de constater qu’un dommage tel que celui au principal, causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, ne relève pas du terme «dommage» au sens de la directive 85/374 et, par conséquent, ne saurait déclencher la responsabilité du producteur en vertu de l’article 1er de cette directive.

18- Or, dans ses observations déposées devant la Cour, Moteurs Leroy Somer estime que la directive 85/374, en ne soumettant pas les dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage au régime de responsabilité qu’elle instaure, empêche les États membres de prévoir pour ces dommages un régime de responsabilité qui repose sur les mêmes fondements que celui mis en place par ladite directive, à savoir sur la seule preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité.

19- À cet égard, il y a lieu de constater que le régime en cause au principal soumet la possibilité pour la victime de demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage à des exigences de preuve qui correspondent à celles prévues à l’article 4 de la directive 85/374, à savoir que la victime prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

20 - Il est, en outre, vrai que la Cour a jugé que la marge d’appréciation dont disposent les États membres pour réglementer la responsabilité du fait des produits défectueux est entièrement déterminée par la directive 85/374 elle-même et doit être déduite du libellé, de l’objectif et de l’économie de celle-ci (arrêt du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C-402/03, Rec. p. I-199, point 22 et jurisprudence citée).

21 - À cet égard, la Cour a précisé que la directive 85/374 poursuit, sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres (arrêt Skov et Bilka, précité, point 23 et jurisprudence citée).

22 - Il est également vrai que la Cour a jugé que l’article 13 de la directive 85/374, selon lequel celle-ci ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de cette directive, ne saurait être interprété comme laissant aux États membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par ladite directive (arrêt Skov et Bilka, précité, point 39 et jurisprudence citée).

23 - De plus, la Cour a jugé que l’article 13 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que le régime mis en place par cette dernière n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle pour autant que ceux-ci reposent sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (arrêt Skov et Bilka, précité, point 47 et jurisprudence citée).

24- Toutefois, il n’en reste pas moins que la directive 85/374 ne saurait s’opposer à un régime de responsabilité tel que celui en cause au principal qu’à condition que ce régime relève du champ d’application de ladite directive.

25- En effet, si la directive 85/374, ainsi qu’il a été rappelé au point 21 du présent arrêt, poursuit, sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, elle n’a, en revanche, ainsi qu’il ressort de son dix-huitième considérant, pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà desdits points.

26 - Or, ainsi que Dalkia France et Ace Europe, les gouvernements français et autrichien ainsi que la Commission le soutiennent dans leurs observations respectives déposées devant la Cour, un régime de responsabilité tel que celui en cause au principal ne relève pas du champ d’application de la directive 85/374.

27 - En effet, il ressort tant du libellé que de l’économie de la directive 85/374, et notamment de ses articles 1er et 9 ainsi que de son neuvième considérant, que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne fait pas partie des points que ladite directive réglemente, de tels dommages ne relevant pas, ainsi qu’il a été constaté au point 17 du présent arrêt, du terme «dommage» au sens de l’article 1er de la directive 85/374, tel que circonscrit à l’article 9 de celle-ci.

28 - Force est donc de constater que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive 85/374.

29 - Cette interprétation n’est pas infirmée par le fait que la directive 85/374, ainsi qu’il ressort de son premier considérant et de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 25 avril 2002, Commission/France, C-52/00, Rec. p. I-3827, point 17; Commission/Grèce, C-154/00, Rec. p. I-3879, point 13, et González Sánchez, C-183/00, Rec. p. I-3901, point 26), a non seulement comme objectif d’éviter les différences dans le niveau de protection des consommateurs, mais également celui d’assurer une concurrence non faussée entre les opérateurs économiques et de faciliter la libre circulation des marchandises.

30 - En effet, rien dans le texte de la directive 85/374 ne permet de conclure que le législateur communautaire, en limitant la réparation des dommages aux biens en vertu de cette directive aux choses d’usage privé ou de consommation privée, a entendu priver les États membres, au nom de l’objectif d’assurer une concurrence non faussée et de faciliter la libre circulation des marchandises, de la faculté de prévoir, en ce qui concerne la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, un régime de responsabilité qui correspond à celui instauré par ladite directive.

31 - Dès lors, l’harmonisation opérée par la directive 85/374 ne couvrant pas la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, cette directive n’empêche pas un État membre de prévoir à cet égard un régime de responsabilité correspondant à celui instauré par ladite directive.

32 - Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 85/374 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Sur les dépens

33 - La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Signatures