L'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, sise 3, rue Cabanis, à Paris (14e), a fait l'objet d'une visite de quatre contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté, du 15 au 17 juillet 2009.
Les constats opérés lors de cette visite ont donné lieu à un rapport de constat qui a été communiqué au préfet de police, pour recueillir ses observations. Celles-ci ont été produites le 22 décembre 2009.
Le rapport complet de la visite a été communiqué par correspondance en date du 18 juin 2010 pour attribution au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et au préfet de police, et pour information, le même jour, au ministre de la santé et des sports. Le préfet de police a communiqué ses observations en réponse le 7 septembre 2010 ; le ministre, le 24 septembre 2010.
A la suite de cette procédure et conformément à la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a décidé de rendre publiques les recommandations suivantes :
Il y a lieu de relever d'abord que l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, institution remontant au Consulat sous des appellations diverses, est en forte évolution sur bien des éléments, en particulier s'agissant des relations entre le personnel et les patients qui y sont placés (refonte du règlement intérieur et de la charte d'accueil, registres) et des conditions matérielles de prise en charge des personnes, de leur famille et de leurs avocats, ces derniers étant désormais accueillis sans difficultés, comme l'exigence en a d'ailleurs été rappelée par le Conseil d'Etat (20 novembre 2009, préfet de police, n° 315 598). Il s'en déduit que la matérialité du droit au recours est assurée, dès lors du moins que la personne qui y est placée a la possibilité matérielle de joindre l'extérieur.
Sans remettre en cause la qualité intrinsèque ni la conscience très partagée avec laquelle les personnels de l'établissement exercent leurs fonctions, les contrôleurs ont vivement regretté la confusion des rôles résultant d'une tenue uniforme entre personnel de surveillance et personnel soignant. Le préfet de police a indiqué que désormais des badges permettaient de mieux identifier l'un et l'autre. Il convient de renoncer au port de la blouse infirmière pour les surveillants.
De même, on doit garder à l'esprit que le séjour dans l'établissement, qui a un rôle exclusif d'orientation, ne peut avoir nécessairement qu'un caractère très provisoire. L'organisation de la présence médicale en vigueur lors de la visite avait pour résultat que les personnes arrivant après 14 heures devaient obligatoirement, alors même qu'aucune nécessité thérapeutique ou de prise en charge ne l'exigeait, demeurer sur place jusqu'au lendemain. Une solution au moins provisoire a été trouvée depuis. Il convient d'en assurer la pérennité.
Surtout, il existe une certaine confusion dans les orientations décidées sur place entre procédures d'hospitalisation d'office et d'hospitalisation à la demande d'un tiers, dont les procédures sont pourtant soigneusement distinguées par la loi. Cette confusion résulte des difficultés qu'ont les proches d'obtenir l'autorisation de visiter des patients, par conséquent d'être en mesure s'ils le souhaitent d'engager des procédures d'hospitalisation à la demande d'un tiers. Des clarifications doivent être engagées sur ce point.
Les éléments qui précèdent ne nécessitent pas à eux seuls la publication de recommandations. En revanche, le principe même de l'existence de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police mérite des choix clairs.
Comme il est rappelé dans un avis du Contrôleur général publié ce même jour, l'hospitalisation sans consentement, dont l'admission dans l'établissement est un des outils, est, notamment, une privation de liberté. Celle-ci doit donc s'entourer des garanties nécessaires à l'équilibre entre préservation de l'ordre public et droits de la personne. Ces garanties impliquent que les décisions prises le soient par les personnes qui en ont la charge sur ces seules considérations.
Il est incontestable que l'organisation particulière de Paris a sa traduction en matière d'hospitalisation d'office, comme l'établit le code de la santé publique : d'une part, le préfet de police, et non pas le préfet du département, est l'auteur des arrêtés qui ordonnent le placement d'une personne en hospitalisation d'office, le prolongement de la mesure ou sa mainlevée ; d'autre part, sur le fondement de la police municipale exercée à Paris précisément par le préfet de police, les commissaires de police d'arrondissement et non pas le maire prennent des mesures provisoires à l'égard des personnes « dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes » (art. L. 3213-2 de ce code).
Mais cette compétence particulière ne peut fonder l'existence de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Elle serait en effet identique si les mesures provisoires étaient prises dans les centres hospitaliers de droit commun, qui sont ceux visés à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique. Autrement dit, si de fait l'établissement tire son origine de la compétence donnée au préfet de police en 1800, le maintien de cette compétence n'exige nullement le maintien de l'établissement sous sa forme actuelle.
Il n'appartient évidemment pas au contrôle général de se prononcer sur un choix d'organisation administrative. Mais la question de savoir si cette organisation présente les garanties suffisantes au sens où elles ont été mentionnées ci-dessus l'intéresse. En l'état, il ne le semble pas.
D'une part, l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ne dispose d'aucune autonomie. Elle est un service d'une des directions de cette préfecture (la direction des transports et de la protection du public), dépendant en particulier de la sous-direction de la protection sanitaire et de l'environnement. Ses ressources lui sont assurées par le truchement de la préfecture de police. A supposer que les médecins qui y exercent ne sont pas sous l'autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, comme le ministre prend soin de le rappeler dans ses observations (pas plus que, s'agissant de l'exercice de leur art, les praticiens hospitaliers ne le sont de la direction d'un hôpital), ils sont rémunérés par elle, les conditions matérielles de leurs fonctions et la gestion de leur carrière en dépendent. L'établissement n'a donc rien à voir avec un centre hospitalier habilité à accueillir des malades mentaux. Par conséquent, les dispositions propres aux droits des personnes accueillies en hôpital ne s'y appliquent pas (par exemple les « droits de la personne » figurant au début du code de la santé publique) et aucune autorité de santé n'est compétente pour y vérifier les contenus et les modalités de soins.
D'autre part, s'il est vrai qu'existe une commission départementale des hospitalisations psychiatriques chargée, à Paris comme dans les autres départements, de connaître de toutes les mesures d'hospitalisation sans consentement et de visiter les établissements pour y entendre les malades, ses membres sont, dans la capitale, nommés par le préfet de police (art. R. 3223-1 du code de la santé publique). Par conséquent, les contrôles de l'établissement n'offrent pas les garanties d'indépendance de ceux qui ont lieu dans les autres départements.
Enfin, dès lors qu'elle ne ressortit pas à la catégorie des établissements hospitaliers qui relèvent de l'article L. 3222-4 du code, l'infirmerie psychiatrique n'est pas visitée par les magistrats des tribunaux compétents et, notamment, par le parquet. Certes, le préfet de police fait valoir que ces visites ont lieu de facto. Elles ne sont cependant pas garanties.
Dans ces conditions, il ne paraît pas possible de penser que les décisions d'orientation qui y interviennent sont prises avec toutes les assurances nécessaires. Le dispositif entretient le doute sur la distance entre considérations d'ordre public et considérations médicales. Ce faisant, il ne s'agit pas de faire supporter ce doute sur le comportement et la conscience professionnelle des médecins et des soignants, qui n'encourent aucune critique. Mais pourquoi l'appréciation compétente d'une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ? Il y a là les conditions d'une confusion dans la matière délicate de la privation de liberté pour motifs psychiatriques auxquelles il importe de mettre fin.
On fait valoir que l'établissement assure une médecine d'urgence bienvenue, pouvant appréhender en particulier les phénomènes de violence. Mais, outre qu'elle est pratiquée semble-t-il avec un fort développement des moyens de contention, on peut se demander si son appartenance à la préfecture de police n'exacerbe pas, chez certains patients, les manifestations de violence. En tout état de cause, seuls 41 % des patients sont placés après leur séjour dans l'établissement en hospitalisation d'office : par conséquent, tous ne sont pas violents.
En tout état de cause, si l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police était sans équivalent lors de son apparition, voici plus de deux siècles, tel n'est plus le cas aujourd'hui. Les centres hospitaliers de droit commun assurent des prises en charge de même nature : à Paris, les hôpitaux accueillent un nombre bien supérieur d'urgences psychiatriques que l'infirmerie psychiatrique ― dans un rapport de un à huit environ ― qui n'a, d'ailleurs, aucun équivalent dans une autre agglomération française.
C'est pourquoi il est recommandé au Gouvernement de mettre dès qu'il sera possible le transfert des moyens de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police au dispositif hospitalier de droit commun, sans modifier naturellement les compétences en matière de police sanitaire attribuées au préfet de police et aux commissaires de police.
Source : JORF n°0067 du 20 mars 2011 texte n° 38