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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er décembre 2010 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2010-620 DC


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2011.

Sur l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale :

La loi organique relative à la dette sociale ouvrait la voie à des transferts de ressources stables et durables de la sécurité sociale vers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) au risque de dégrader les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et de compromettre directement la réalisation des objectifs de celle-ci. Ces craintes sont confirmées par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 qui méconnaît de ce fait les exigences constitutionnelles rappelées de manière constante par votre juridiction (voir tout particulièrement vos décisions n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, cons. 21, et n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002, cons. 27).

Conscient de ce risque d'inconstitutionnalité, vous avez eu la sagesse de réagir sous la forme d'une double réserve d'interprétation destinée à éviter une dérive de la dette sociale et un déséquilibre des comptes de la sécurité sociale (votre décision n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010). Il vous appartient aujourd'hui de constater que vos avertissements n'ont pas été entendus par le législateur.

D'une part, vous avez enjoint au législateur de prévoir des ressources suffisantes pour que le terme prévu pour le remboursement de la dette sociale ne soit pas dépassé. Cette obligation s'impose y compris pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 ainsi que le confirment les commentaires rédigés sur cette décision aux Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel. Or, vous pourrez constater que les modalités retenues pour le remboursement de la dette sociale ne sont manifestement pas à la hauteur de cet objectif.

D'autre part, vous avez rappelé que « les lois de financement de la sécurité sociale ne pourront pas conduire, par un transfert sans compensation au profit de ladite caisse d'amortissement de recettes affectées aux régimes de sécurité sociale et aux organismes concourant à leur financement, à une dégradation des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale de l'année à venir ». Ce n'est que sous cette stricte réserve que vous avez admis la constitutionnalité des dispositions de la loi organique relative à la gestion de la dette sociale. Or, il est manifeste que l'extinction programmée ― à très court terme ― de deux des trois taxes affectées au régime général en compensation du transfert de recettes stables vers la CADES entraînera une perte de recette du régime général dont le financement pérenne n'est dès lors pas assuré. La certitude de l'extinction des ressources actuelles et l'incertitude des ressources qui peuvent ou non s'y substituer créent une insécurité budgétaire qui conduira les dirigeants de la branche famille à ne plus prendre les décisions nécessaires au plein accomplissement de ses missions constitutionnelles.

En passant outre les principes rappelés dans votre décision n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010 relative à la gestion de la dette sociale, la loi qui vous est présentement déférée méconnaît en effet de manière manifeste le dix-neuvième alinéa de l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » et porte ce faisant atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale (votre décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002). Il vous appartient dès lors de sanctionner la méconnaissance par le législateur de votre jurisprudence.

Cette méconnaissance est d'autant moins acceptable que votre décision, rendue le 10 novembre 2010, permettait une modification du projet de loi de financement de la sécurité sociale afin d'éviter une dégradation des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Votre jurisprudence autorise assurément des modifications introduites par voie d'amendement ― y compris lors de la commission mixte paritaire ― lorsqu'elles sont dictées « par la nécessité de respecter la Constitution » (votre décision n° 2000-430 DC). En l'occurrence, la modification du projet n'était pas seulement possible mais impérative eu égard à votre décision du 10 novembre 2010.

Il vous appartient désormais de démontrer au législateur la force juridique qui s'attache à votre jurisprudence et de censurer en conséquence les dispositions de la loi qui vous est présentement déférée en tant qu'elles méconnaissent les exigences constitutionnelles dont vous êtes le gardien.

Sur l'atteinte au principe d'égalité :

Vous pourrez en outre constater que l'article 12 ter (nouveau) de la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2011 méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

La loi relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a créé, à compter du 1er janvier 2006, une exonération de charges pour les associations ou entreprises de services à la personne agréées dans les conditions fixées à l'article L. 129-1 du code du travail. Cette mesure a été codifiée à l'article L. 241-10 du code de la sécurité sociale.

L'exonération porte sur les cotisations patronales d'assurances sociales, d'accidents du travail et d'allocations familiales. Elle s'applique aux gains et rémunérations versés aux salariés assurant des activités de services à la personne prévues par l'article D. 129-35 du code du travail. Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) employant des personnels d'aide à la personne, à savoir des aides-soignants et des agents de service (auxiliaires de vie), sont donc directement visés par cette mesure.

Le législateur, par la rédaction de l'article 12 ter du PLFSS, vient restreindre la notion de domicile uniquement au domicile privatif des personnes âgées, excluant ainsi des exonérations de charges les personnes qui résident en établissement.

Ainsi, la, suppression de la réduction de charges pour les personnels concernés des EHPAD constitue une mesure discriminatoire à l'égard des personnes dépendantes en établissement.

En effet la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005 a un double objet :
― favoriser l'emploi des services à la personne ;
― alléger la charge financière des personnes en situation de handicap ou dépendance.
Au regard de cet objet, la nature du domicile ne constitue pas une différence de situation en lien direct avec la différence de traitement que réalise l'article 12 ter du PLFSS.

Dans les deux cas, la personne est prise en charge à son domicile : lorsque la personne âgée décide de quitter son domicile pour s'installer en établissement, celui-ci devient son nouveau lieu de vie et donc son domicile principal. L'article 102 du code civil définit le domicile comme : « Le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ».

L'article 103 précise que « le changement de domicile s'opère par le fait d'une habitation dans un autre lieu, joint à l'intention d'y fixer son principal établissement ». Compte tenu de leur âge et de leur niveau de dépendance, les résidents ne peuvent plus se maintenir dans leur domicile d'origine, c'est donc leur intention d'élire domicile dans des établissements qui constituent leurs lieux d'habitation effectifs réels puisqu'ils n'en possèdent plus d'autres.

De plus, la résidence de la personne âgée au sein d'un établissement habilité à l'aide sociale ouvre droit au bénéfice d'une allocation logement réservée aux logements occupés à titre de domicile principal.

Enlin, la chambre du résident en EHPAD est définie comme un domicile par d'autres réglementations (décret relatif à l'interdiction de fumer).
Par conséquent, la restriction opérée par l'article 12 ter du PLFSS ne pèse pas sur les dépenses d'assurance maladie car elle ne concerne pas les personnels rémunérés sur la section soins.

La discrimination se fait donc au détriment des personnes les plus pauvres, puisque ce sont les établissements habilités à l'aide sociale qui sont concernés, et les plus dépendantes, puisque ce sont elles en pratique qui résident en établissernent.

Ainsi, l'article 12 ter conduit à traiter différemment des personnes placées dans une situation identique et méconnaît à ce titre le principe d'égalité.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous souhaitons qu'il plaise au Conseil de censurer la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Source : JORF n°0295 du 21 décembre 2010