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Tribunal administratif de Paris, 11 juin 2015, n° 1218485 (Agence de biomédecine (ABM) – Annulation décision – Recherche embryon – Défaut consentement)

En l’espèce, un recours a été engagé par la Fondation X. contre  une décision  en date du 25 mai 2012 par laquelle le Directeur général de l’agence de la biomédecine autorise l’Institut Y. à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l’embryon ayant « pour finalité l’étude du rôle du couple dans le contrôle du cycle cellulaire des cellules souches embryonnaires humaine ».

En effet, la Fondation conteste le fait que l’ABM a autorisé ses travaux sans vérifier au préalable que les conditions légales de recueil du consentement et d’information du couple étaient bien remplies.

Le tribunal administratif de Paris juge pour annuler la décision que : « L’Agence de la biomédecine a entaché d’illégalité sa décision en autorisant le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines alors que le conditions légales tenant au recueil du consentement et à l’information du couple dont les embryons sont issus ou du membre survivant de ce couple n’étaient pas remplies (…) ; la décision attaquée  méconnaît les conditions légales sur le recueil du consentement et sur l’information prévues à l’article L. 2151-5 III du code de la santé publique ».

 

Tribunal administratif

de Paris

 

n° 1218485/6-3

 

Fondation X.

 

Mme Salzmann

Rapporteur

 

M. Dayan

Rapporteur public

 

Audience du 28 mai 2015

Lecture du 11 juin 2015

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris
(6ème Section - 3ème Chambre)

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2012, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 14 avril et 20 octobre 2014, les 21 avril et 18 mai 2015, la fondation X., représentée par Me Beauquier, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision en date du 25 mai 2012 par laquelle le directeur général de l’Agence de la biomédecine a autorisé L’Institut Y.  (unité UMR 972) à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur l’embryon ayant pour finalité l’étude du rôle du couple SDF-1 α / TGF-β dans le contrôle du cycle cellulaire des cellules souches embryonnaires humaines ;

2°) de mettre à la charge de l’Agence de la biomédecine une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

La fondation X. soutient que :

- elle a intérêt pour agir contre la décision attaquée et que son président a qualité pour agir ;

- au titre de la légalité externe, le caractère dérogatoire de l’autorisation implique une interprétation stricte des conditions d’autorisation posées par la loi ;

- au titre de la légalité interne, la décision attaquée méconnaît deux des conditions exigées par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique pour autoriser, à titre dérogatoire, les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines (ci-après « CSEh ») car le protocole autorisé n’est pas susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs et qu’il est possible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, à des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souche, mais utilisant des cellules souches hématopoïétiques ou des cellules souches pluripotentes induites humaines (« iPS ») dont l’efficacité est suffisamment démontrée par l’attribution du prix Nobel de médecine 2012 au professeur A et par le lancement d’essais cliniques ; qu’une recherche de type fondamental est exclue ;

- au titre de la légalité externe, l’Agence de la biomédecine a fait preuve de sa carence probatoire en ne produisant aucune étude permettant de démontrer qu’il est scientifiquement prouvé que les conditions posées par le code de la santé publique sont remplies ;

- il n’est pas fait référence dans la décision attaquée aux conditions de traçabilité des embryons et aux conditions matérielles de réalisation de la recherche ;

- le protocole de recherche n’est pas conforme aux articles 5 et 18 de la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine ;

- l’Agence de la biomédecine n’a pas respecté les conditions de fond posées par l’article L. 2151-5 III du code de la santé publique, relatif au recueil de consentement et à l’information du couple parental ;

- l’Agence de la biomédecine ne rapporte pas la preuve qu’elle a vérifié les modalités d’information et de recueil du consentement des parents ainsi que les modalités de traçabilité des embryons et les conditions matérielles de réalisation de la recherche ;

- la charge de la preuve concernant le respect des conditions fixées à l’article L. 2151-5 du code de la santé publique incombe à l’Agence de la biomédecine ;

- il existait à la date de la décision attaquée, soit cinq ans après la découverte des iPS, la possibilité de pratiquer la recherche sur des cellules souches non embryonnaires.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2014, et des mémoires, enregistrés les 9 septembre et 27 novembre 2014 et le 5 mai 2015, l'Agence de la biomédecine, représentée par Me Barre-Houdart, conclut au rejet de la requête, et à la condamnation de la Fondation X. au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Agence de biomédecine soutient que :

à titre principal :

- la requête est irrecevable car la qualité pour agir du président de la fondation X.  et l’intérêt à agir de la fondation ne sont pas justifiés au regard des statuts ;

à titre subsidiaire :

- la décision attaquée ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dès lors que le protocole de recherche autorisé est susceptible de mener à des progrès médicaux majeurs, par sa visée cognitive et thérapeutique à la fois ; que, par ailleurs, il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains, dès lors que l'objet même de la recherche et la spécificité des cellules souches embryonnaires humaines font obstacle à l'utilisation d'autres cellules et que le recours aux cellules iPS ne peut être envisagé ; - le moyen de légalité externe tiré d’un défaut de motivation de la décision est tardif et donc irrecevable ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de la convention d’Oviedo est inopérant ;

- la charge de la preuve incombe à la fondation X.  ;

- la procédure d’instruction permettant de vérifier que les conditions légales ont été remplies et a été parfaitement respectée avant l’adoption de la décision d’autorisation ;

- les conditions légales de recueil du consentement des parents ont été respectées.

 

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

 

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Salzmann,

- les conclusions de M. Dayan, rapporteur public,

- et les observations de Me Hourdin pour la Fondation X.  et de Me Uzel pour l’Agence de la biomédecine.

 

Deux notes en délibéré présentées pour l’Agence de la biomédecine par Me Uzel ont été enregistrées le 28 mai 2015.

1. Considérant que par une décision du 25 mai 2012, prise sur le fondement des dispositions de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, l’Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée de cinq ans, L’Institut Y. (unité UMR 972) à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur l’embryon ayant pour finalité l’étude du rôle du couple SDF-1 α / TGF-β dans le contrôle du cycle cellulaire des cellules souches embryonnaires humaines ; que la fondation X.  demande l’annulation de cette décision ;

 

Sur les fins de non-recevoir opposées par l’Agence de la biomédecine :

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de ses statuts : « La fondation X.  a pour but de poursuivre l’oeuvre à laquelle le professeur J.L. a consacré sa vie : / la recherche médicale sur les maladies de l’intelligence et sur les maladies génétiques, / - l’accueil et les soins des personnes, notamment celles atteintes de la trisomie 21 ou d’autres d’anomalies génétiques, dont la vie et la dignité doivent être respectées de la conception à la mort » ; que, conformément à l’article 2 de ces statuts, qui énumère les moyens d’action permettant à la fondation de poursuivre la réalisation de son objet, la fondation finance des projets de recherche en matière de thérapie cellulaire préservant, dans le respect des principes énoncés dans ses statuts, l’intégrité des embryons humains ; que la fondation justifie ainsi, en raison de son objet, d’un intérêt à agir contre une décision qui a pour effet d’autoriser des recherches sur des cellules dont l’obtention a rendu nécessaire la destruction d’embryons issus de fécondations in vitro ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’un tel intérêt doit être écartée ;

3. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 8 des statuts de la fondation X.  : « Le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile. (…) Le président ne peut être représenté en justice que par un mandataire agissant en vertu d’une procuration spéciale » ; qu’aucun autre organe de la fondation ne tient des mêmes statuts le pouvoir de la représenter en justice et de décider d’engager en son nom une action en justice ; qu’ainsi, l’action est régulièrement engagée par M. B, président de la fondation requérante ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l’absence de qualité pour agir de ce dernier doit être écartée ;

 

Sur les conclusions à fin d’annulation :

4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, applicable à la date de la décision contestée : « I.-La recherche sur l'embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches est interdite. /II.-Par dérogation au I, la recherche est autorisée si les conditions suivantes sont réunies : 1° La pertinence scientifique du projet de recherche est établie ; 2° La recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ; 3° Il est expressément établi qu'il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ; 4° Le projet de recherche et les conditions de mise en oeuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires(…)./ III.-Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. Dans le cas où le couple ou le membre survivant du couple consent à ce que ses embryons surnuméraires fassent l'objet de recherches, il est informé de la nature des recherches projetées afin de lui permettre de donner un consentement libre et éclairé. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Dans tous les cas, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté. / IV.-Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées aux II et III du présent article sont satisfaites (…). /V.-Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 2151-2 du même code : « Le directeur général de l'agence de la biomédecine peut autoriser un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions. Outre la vérification des conditions fixées à l'article L. 2151-5, l'agence de la biomédecine s'assure de la faisabilité du protocole (…) ; qu’aux termes de l’article R. 2151-4 du même code : « (…) L'information relative à la nature des recherches projetées porte sur les différentes catégories de recherches susceptibles d'être mises en oeuvre dans le cadre de l'article L. 2151-5. Il est précisé au couple ou au membre survivant du couple que les embryons ayant fait l'objet d'une recherche ne peuvent être transférés à des fins de gestation et qu'ils sont détruits au cours de la recherche. (…) Le responsable de la recherche doit pouvoir justifier à tout moment au cours de celle-ci du recueil des consentements (…) » ;

5. Considérant, en outre, qu’aux termes de l’article R. 2151-6 du code de la santé publique : « La demande d'autorisation d'un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires est adressée au directeur général de l'agence de la biomédecine (…) ou déposée (…) auprès de l'agence(…). Cette demande est accompagnée d'un dossier qui comprend tous les éléments permettant de vérifier que les conditions légales sont remplies et dont la forme et le contenu sont fixés par décision du directeur général de l'agence (…) » ; que la décision n° 2006-07 de la directrice générale de l’agence de la biomédecine du 10 février 2006 a fixé la composition du dossier prévu à l’article R. 2151-6 du code de la santé publique à produire à l’appui d’une demande d’autorisation de protocoles de recherche sur l’embryon ou les cellules embryonnaires ; que cette décision comporte un modèle de formulaire spécifique de demande d’autorisation de protocole de recherche traitant notamment des aspects éthiques relatifs au consentement du couple ou du membre survivant du couple dont les embryons sont issus et à son information détaillée ; que ce modèle prévoit notamment que le dossier doit être accompagné du formulaire-type de consentement attestant de l’information adressée aux couples ;

6. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’une recherche ne peut être conduite que sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental et qu’il appartient à l’agence de la biomédecine, lorsqu’elle autorise un protocole de recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires humaines, de s’assurer notamment que sont satisfaites les conditions de mise en oeuvre de cette recherche en ce qui concerne les principes éthiques relatifs au consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus ou du membre survivant de ce couple et à son information conforme aux dispositions précitées, aux fins de garantir son consentement libre et éclairé ;

7. Considérant que pour contester la décision attaquée, la fondation X.  soutient que l’Agence de la biomédecine a entaché d’illégalité sa décision en autorisant le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines alors que les conditions légales tenant au recueil du consentement et à l’information du couple dont les embryons sont issus ou du membre survivant de ce couple n’étaient pas remplies ; que la circonstance que l’autorisation accordée constituait un renouvellement de l’autorisation délivrée le 17décembre 2010 qui n’a fait l’objet d’aucun recours contentieux est inopérante ; que l’Agence de la biomédecine qui ne verse aucun formulaire type de recueil du consentement et d’information du couple parental que le demandeur aurait joint à sa demande n’établit pas que ces conditions légales auraient été remplies ; qu’il ne ressort pas des accords conclus entre le Wicell Research Institute et l’Institut Y.   ni, au demeurant, des extraits des lignes directrices et du registre du NIH (National Institute of Health) sur l’inscription des lignées utilisées, joints aux notes en délibéré produites par la partie défenderesse, que les cellules souches embryonnaires humaines dont sont dérivées les lignées auraient été obtenues après l’information et le consentement écrit et préalable prescrits au III de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, de nature à garantir un consentement libre et éclairé du couple ou du membre survivant du couple, notamment s’agissant des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple, la nature des recherches projetées, la confirmation du consentement dans un délai de trois mois et le caractère révocable du consentement, sans motif, avant le début des recherches ; que, dès lors, la décision attaquée méconnaît les conditions légales sur le recueil du consentement et sur l’information prévues à l’article L. 2151-5 III du code de la santé publique ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la fondation X.  est fondée à demander l’annulation de la décision du 25 mai 2012 ;

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la fondation X. , qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Agence de la biomédecine la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la fondation X.  et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 25 mai 2012 par laquelle l’Agence de la biomédecine a autorisé L’Institut Y.   (unité UMR 972) à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur l’embryon ayant pour finalité l’étude du rôle du couple SDF-1 α / TGF-β dans le contrôle du cycle cellulaire des cellules souches embryonnaires humaines est annulée.

Article 2 : L’Agence de la biomédecine versera à la fondation X.  la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l’Agence de la biomédecine présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la fondation X. et à l’Agence de la biomédecine.