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Tribunal administratif de Paris, 21 avril 2011, n° 0913382 (Infection nosocomiale - cause étrangère - action subrogatoire de l'ONIAM - rejet)

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris
(6ème Section - 3ème Chambre)

N°0913382/6-3

Mme Guilloteau Rapporteur
M. Gaspon Rapporteur public
Audience du 7 avril 2011 Lecture du 21 avril 2011

Vu la requête, enregistrée le 6 août 2009, présentée pour l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ONIAM), dont le siège est Tour Gallieni II 36 avenue du général de Gaulle à Bagnolet cedex (93175), par l'association d'avocats Vatier et associés ; l'ONIAM demande au tribunal :

- de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 4 585, 32 euros en remboursement des indemnités servies aux consorts ... ;
- de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 1 200 euros au titre des frais d'expertise avancés ;
- de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 687, 80 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du ler janvier de l'année suivant l'introduction de sa requête et de la capitalisation desdits intérêts ;
- de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

L'ONIAM soutient que :

- il est subrogé dans les droits des consorts ... conformément à l'article L. 1142- 15 du code de la santé publique dès lors qu'il a procédé à l'indemnisation de ceux-ci en se substituant à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris qui a refusé de suivre l'avis de la CRCI estimant sa responsabilité engagée sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du même code :
- la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris est engagée sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors qu'il résulte des conclusions de l'expertise que Mme ... a été victime d'une infection nosocomiale et que l'établissement de soins ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère à l'origine de cette infection;
- l'Assistance publique-hôpitaux de Paris doit par suite être condamnée à lui rembourser la somme de 4 585, 32 euros qu'il a versée aux ayants droit de la victime ;
- l'Assistance publique-hôpitaux de Paris doit en outre être condamnée à lui rembourser la somme de 1 200 euros au titre des frais d'expertise qu'il a réglés ;
- l'Assistance publique-hôpitaux de Paris doit enfin être condamnée à lui verser la somme de 687, 80 euros au titre de pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

Vu la demande en date du 19 février 2009 adressée par l'ONIAM à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris et la décision en date du 29 juin 2009 par laquelle l'établissement public hospitalier l'a rejetée ;

Vu la mise en demeure adressée le 29 décembre 2010 à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2011, présenté par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ; l'AP-HP conclut au rejet de la requête ;

L'AP-HP fait valoir que sa responsabilité n'est pas engagée dès lors que les infections dont a été victimes Mme ..., dont les experts ont seulement estimé qu'elles avaient pu concourir à son décès, trouvent leur origine dans la grave pathologie dont souffrait la patiente et dans son état d'immunodépression qui rendaient inévitable la survenue d'infections et qu'elle rapporte ainsi la preuve d'une cause étrangère au sens du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 février 2011, présenté pour l'ONIAM qui persiste dans ses écritures ;

L'ONIAM soutient en outre que :

- la gravité de l'état antérieur de Mme ... a été prise en compte dès lors que la survenue du décès de la victime n'a été regardée comme imputable aux infections nosocomiales qu'a hauteur de 10 %;
- la gravité de l'état antérieur de la patiente ne peut constituer une cause étrangère exonératoire de responsabilité, d'autant que l'expertise diligentée par la CRCI a permis d'établir que l'infection avait causé un préjudice distinct en concourant à la survenue du décès ;

Vu le courrier du 20 août 2009 par lequel la requête a été communiquée à la MGEN ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 376-1 ;
Vu l'arrêté du 18 mars 2009 du Vice-président du Conseil d'Etat fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 2011 :

- le rapport de Mme Guilloteau ;
- les conclusions de M. Gaspon, rapporteur public ;
- et les observations de Me Maréchal représentant l'ONIAM ;

Considérant qu'en 1995, Mme ..., alors âgée de 53 ans, a appris qu'elle était porteuse d'un myélome multiple ; qu'elle a suivi deux protocoles de chimiothérapie en 1997 et a bénéficié d'une autogreffe de cellules souches périphériques en avril 1998 ; qu'elle s'est soumise de nouveau en 2001 à deux protocoles de chimiothérapie, suivis en novembre 2001 d'une seconde autogreffe ; qu'elle a été hospitalisée à compter du 20 février 2002 dans les services de l'hôpital ... (Assistance publique-hôpitaux de Paris/ AP-HP) en vue d'une greffe de cellules souches périphériques prélevées sur sa soeur, qui a été réalisée le 26 février ; que l'état de santé de Mme ... s'est cependant dégradé à compter du 7 mars suivant, date à laquelle elle a été admise en réanimation, jusqu'à son décès le 5 avril 2002 ; que l'époux et les trois enfants de la victime ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales d'lle-de-France (CRCI), qui a estimé par un avis du 14 décembre 2005 que Mme ... avait été victime d'infections nosocomiales engageant la responsabilité de l'AP-HP et ayant concouru à la survenue de son décès à hauteur de 10 % ; que l'établissement public hospitalier ayant refusé de faire une proposition d'indemnisation aux consorts ..., l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ONIAM) s'est substitué à lui conformément à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et a versé aux intéressés une indemnité de 4 585, 32 euros ; que l'AP-HP ayant refusé par décision du 29 juin 2009 de procéder au remboursement de ces sommes, l'ONIAM a introduit la présente requête ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 susvisée « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute./ Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.(...) » ; que, d'autre part, l'article L. 1142-14 du code de la santé publique dispose que : « Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé (...), l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis (...) / Cette offre indique l'évaluation retenue, le cas échéant à titre provisionnel, pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice. Les prestations et indemnités qui font l'objet d'une déduction du montant de l'offre sont remboursées directement par l'assureur du responsable du dommage aux débiteurs concernés. x; qu'aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : « En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur ( ...) L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur. Sauf dans le cas où le délai de validité de la couverture d'assurance garantie par les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 251-2 du code des assurances est expiré, l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis. » ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'ONIAM s'est substitué à la personne responsable du dommage et que la victime a accepté l'offre d'indemnisation de l'ONIAM, cet office est subrogé dans les droits de la victime à concurrence des sommes versées et est ainsi investi, dans cette limite, de tous les droits et actions que le subrogeant pouvait exercer ; que si l'offre ainsi acceptée vaut transaction opposable au responsable du dommage ou à son assureur, ces derniers disposent de la faculté de contester devant le juge tant le principe que le montant des indemnités allouées à la victime et que le juge n'est pas lié, lorsqu'il reconnait que la responsabilité de l'établissement de soins est engagée, par la détermination et l'évaluation du préjudice auxquelles a procédé l'ONIAM ;

Considérant, en premier lieu, que l'AP-HP ayant refusé d'adresser aux consorts ... une proposition d'indemnisation à la suite de la notification de l'avis de la CRCI, l'ONIAM, qui a versé aux intéressés une indemnité d'un montant de 4585, 32 euros, est subrogé dans leurs droits en application des dispositions de l'article L. 1142-15 ; que l'office est par suite fondé à rechercher, dans la limite des sommes versées, la responsabilité de l'AP-HP en raison des préjudices qu'il a ainsi indemnisés ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment des conclusions du rapport de l'expertise diligentée par la CRCI, que pour permettre la réalisation de l'allogreffe, Mme ... a dû se soumettre à un traitement chimiothérapique et médicamenteux lourd visant à détruire les cellules de sa moelle osseuse ; qu'après réalisation de la greffe, la patiente a développé le 7 mars 2002, soit durant la phase d'aplasie médullaire, une pneumopathie qui a nécessité qu'elle soit intubée et transférée en service de réanimation ; que les experts ont indiqué qu'elle avait sans doute été victime à cette date d'une infection pulmonaire ; qu'en dépit de l'adaptation de l'antibiothérapie, une infection par pseudomonas a été détectée le 19 mars 2002 dans les prélèvements pulmonaires pratiqués systématiquement ; qu'il résulte des conclusions du rapport d'expertise que les infections contractées par Mme ... avaient pu concourir à son décès mais que les complications infectieuses de ce type de greffe sont « par essence inévitables », que la patiente présentait un état d'immunodépression extrême et, qu'au demeurant, le service avait mis en oeuvre des protocoles de prévention des infections extrêmement rigoureux ; qu'ainsi, compte tenu de la particulière vulnérabilité de la patiente aux complications infectieuses résultant du traitement nécessité par le caractère réfractaire de sa pathologie, l'AP-HP doit être regardée comme rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens des dispositions précitées de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; que l'AP-HP ne peut par suite être tenue pour responsable des conséquences dommageables des infections dont a été victime Mme ... ; qu'il suit de là que l'action subrogatoire introduite par l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique doit être jetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par l'ONIAM au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article ler : La requête présentée pour l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES, à M. ..., à Mme ... , à Mlle ..., à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris et à la Mutuelle générale de l'éducation nationale.

Copie en sera adressée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2011, à laquelle siégeaient :
M. Samson, président,
M. Dayan, premier conseiller, Mme Guilloteau, conseiller,
Lu en audience publique le 21 avril 2011.