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Tribunal administratif de Paris, 5 novembre 2012, n°1109961/6-3 (suivi de grossesse - responsabilité)

Mme X, alors âgée de 32 ans et enceinte de son second enfant s'est vu diagnostiquer un diabète gestationnel le 16 octobre 2009. Ce diabète a d'abord été traité par un régime alimentaire à compter du 13 novembre 2009 puis par insuline à partir du 11 décembre 2009. Le 21 décembre 2009, une échographie réalisée en urgence en raison de douleurs pelviennes et d'une absence de mouvement actif du fœtus depuis 24 heures a révélé le décès de celui-ci in utero. Après que ses demandes d'indemnisation auprès de la CRCI d'Ile de France et de l'hôpital Y aient été rejetées, Mme X a saisi le Tribunal administratif de Paris. Ce dernier rejette également sa requête en considérant notamment que « il ne résulte pas de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise remis à la CRCI d'Ile de France et dont les conclusions n'ont pas été, au cours de l'instance, contestées par les parties de façon suffisamment pertinente pour qu'une nouvelle expertise soit nécessaire, que le décès du fœtus que portait Mme X ait un lien de causalité direct et certain avec la prise en charge médicale dont elle faisait l'objet durant sa grossesse (…) ; qu'au demeurant, il résulte également de l'instruction que la pose du diagnostic de diabète gestationnel, le traitement mis en œuvre pour contrôler les glycémies et la surveillance du rythme cardiaque du fœtus, qui était encore tout à fait normal trois jours avant la date à laquelle la mort fœtale a été constatée, ont été conformes aux règles de l'art et aux données alors acquises de la science médicale (…) ; que, par voie de conséquence, la responsabilité de l'hôpital Y ne peut être engagée ».

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS

N° 110996116-3  

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

   Le tribunal administratif de Paris (6eme section - 3e chambre),

Audience du 11 octobre 2012 Lecture du 5 novembre 2012

Vu la requête, enregistrée le 3 juin 2011, présentée pour Mme X, demeurant au (…), par Me Sautier ; Mme X demande au tribunal :

  • à titre principal, de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 20 000 000 euros (vingt millions), en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du décès de son enfant à naître le 21 décembre 2009 ;
  • à titre subsidiaire, de désigner un expert avec pour mission de : reconstituer l'ensemble des faits ; dire quelle était le niveau de risque de sa grossesse, quelles ont été les précautions prises en conséquence, si elles ont été suffisantes et conformes aux borures pratiques médicales ; consigner ses doléances ; déterminer les raisons du décès de son enfant, survenu le 21 décembre 2009 ; dire si du fait d'une faute du ou des établissements hospitaliers ou encore du fait d'un soignant, une perte de chance a conduit à ce décès ou l'a favorisé ;

- de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 500 euros (trois mille cinq cents) qui sera versée à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Elle soutient que :

- la décision de rejet de sa demande indemnitaire préalable est insuffisamment motivée ;

- la responsabilité de l’AP-HP est engagée en raison d'une faute commise dans le diagnostic et dans l'organisation des soins qui a conduit l'équipe médicale à négliger le suivi particulier de la grossesse à risque qui était la sienne ; cette faute a fait perdre une chance de survie à son enfant ;

Vu l'ordonnance en date du 1 mars 2012 fixant la clôture d'instruction au
30 mars 2012, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2012, présenté par l'AP-HP, qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à ce que le tribunal ramène le montant de la condamnation à un niveau plus réaliste ;

L'AP-HP soutient que :

- sa responsabilité ne saurait être engagée, dès lors que, d'une part, le suivi du diabète de la requérante a été conforme aux règles de l'art, et que, d'autre part, le lien de causalité entre le diabète maternel et le décès du foetus n'est pas établi ;

- dans le cas où sa responsabilité devait être retenue, le montant demandé par la requérante devrait être ramené à un niveau conforme à ce qui est habituellement octroyé pour ce type de préjudices ;

Vu l'ordonnance en date du 28 mars 2012 rouvrant l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative, et celle en date du 15 mai 2012, fixant la clôture d'instruction au 6 juin 2012, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 11 janvier 2011 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a accordé à Mme X le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu la demande préalable d'indemnisation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2012

  • le rapport de M. Langrognet, rapporteur ;
  • et les conclusions de Mme Nikolic, rapporteur public ;

Considérant que Mme X, alors âgée de trente-deux ans et enceinte d'un second enfant, grossesse pour laquelle elle était suivie à l'hôpital Y, établissement relevant de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), s'est vu diagnostiquer, le 16 octobre 2009, dans le courant de la vingt-neuvième semaine d'aménorrhée, un diabète gestationnel, d'abord traité par régime alimentaire à compter du 13 novembre 2009 puis par insuline à partir du 11 décembre 2009 ; que le 21 décembre 2009, une échographie réalisée en urgence en raison de douleurs pelviennes et d'une absence de mouvement actif du foetus depuis vingt-quatre heures a révélé le décès de celui-ci in utero ; que le 19 février 2010, Mme X et son compagnon ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d'Île-de-France, laquelle, au vu d'un rapport d'expertise déposé le 4 août 2010, a émis un avis en date du 8 mars 2011 rejetant la demande d'indemnisation formée par les cieux plaignants ; que par lettre en date du 29 avril 2011, l'AP-HP a rejeté la réclamation indemnitaire préalable dont Mme X l'avait saisie le 18 février 2011, aux fins d'être indemnisée des dommages subis du fait du décès de son enfant à naître ; que, par la présente requête, Mme X demande que l'AP-HP soit condamnée à l'indemniser de ses préjudices ;

Sur la légalité de la décision rejetant la demande préalable d'indemnisation :

Considérant que la décision de l'AP-HP a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de Mme X qui, en formulant les conclusions analysées ci-dessus, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux ; que, au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision de refus d'indemnisation est inopérant et doit être écarté ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. [...] » ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise remis à la CRCI d'Île-de-France et dont les conclusions n'ont pas été, au cours de l'instance, contestées par les parties de façon suffisamment pertinente pour qu'une nouvelle expertise soit nécessaire, que le décès du foetus que portait Mme X ait un lien de causalité direct et certain avec la prise en charge médicale dont elle faisait l'objet durant sa grossesse, bien que l'expert ait estimé qu'il paraissait «probable que [la cause du décès] soit en rapport avec le diabète maternel (sans que le mécanisme puisse en être précisé) » ; qu'au demeurant, il résulte également de l'instruction que la pose du diagnostic de diabète gestationnel, le traitement mis en oeuvre pour contrôler les glycémies et la surveillance du rythme cardiaque du foetus, qui était encore tout à fait normal trois jours avant la date à laquelle la mort foetale a été constatée, ont été conformes aux règles de l'art et aux données alors acquises de la science médicale ; que les requérants n'apportent pas d'éléments tangibles susceptibles d'établir que des erreurs auraient été commises par l'expert dans le relevé des faits médicaux auxquels il a procédé dans son rapport ; que si les requérants peuvent être regardés comme entendant se prévaloir d'un retard fautif à la réalisation d'un accouchement par césarienne, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que l'équipe médicale, qui avait envisagé cette option thérapeutique clans l'éventualité où le diabète gestationnel deviendrait facteur de risques pour l'état de santé de la requérante et de son enfant à naître, pouvait sans méconnaître les règles de l'art et les données alors acquises de la science médicale, décider de laisser se poursuivre la grossesse et de surseoir à la réalisation d'une telle intervention ; qu'en effet, le tableau clinique de la mère et du foetus, antérieurement à la découverte du dommage le 21 décembre 2009, ne rendait pas impérative, compte tenu des résultats positifs des examens régulièrement réalisés, l'indication de ce type de geste opératoire ; qu'enfin, il résulte de l'instruction que l'organisation et le fonctionnement du service de la maternité de l'hôpital Y n'ont pu prendre aucune part dans le décès du foetus ; que, par voie de conséquence, la responsabilité de l'AP-HP ne peut être engagée ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que la présente instance n'a pas donné lieu à des frais d'expertise, qui ont été pris en charge par la CRCI d'Île-de-France au cours de la procédure de règlement amiable du litige ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par Mme X et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE:

Article 1er: La requête de Mme X est rejetée.

Article 2: Le présent jugement sera notifié à Mme X, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 1 1 octobre 2012, à laquelle siégeaient :

Mine Doumergue, président, M. Dayan, premier conseiller,M. Langrognet, conseiller.

Lu en audience publique le 5 novembre 2012.