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Tribunal administratif de Toulouse, 13 juin 2014, n° 1402902 (Droit de grève - Assignations - Liberté fondamentale - Atteinte - Rejet)

A la suite d’un préavis de grève pour une durée illimitée au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU), déposé le 28 mai 2014 avec effet à compter du 10 juin 2014, des agents des services des trois blocs opératoires de l’hôpital – orthopédie et traumatologie et céphalique, neurochirurgie et urgence – se sont déclarés grévistes. Le CHU a alors notifié des décisions individuelles d’assignation à l’égard de ces personnels grévistes.

Le syndicat des personnels de cet établissement a alors saisi le juge des référés afin de demander notamment la suspension des effets des mesures individuelles d’assignation. Il demande également au juge d’enjoindre l’hôpital de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un service minimum dans le délai de 2 jours suivant la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200€ par jour de retard.

Par ce jugement, le tribunal relève « qu’en l’absence de la réglementation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ». Il affirme « qu’ainsi les chefs des services publics, en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, peuvent fixer eux-mêmes, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue des limitations à apporter au droit de grève en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique ».

Le tribunal estime par conséquent « qu’il appartient au directeur du CHU de prendre les mesures nécessitées par le fonctionnement de ceux des services qui ne peuvent, en aucun cas, être interrompus, en imposant le maintien en service pendant les journées de grève, d’un effectif suffisant pour assurer, en particulier, la sécurité des personnes, la continuité des soins et des prestations hôtelières aux malades hospitalisés et la conservation des installations et du matériel, sans être tenu par les tableaux d'effectifs habituellement prévus les dimanches et jours fériés. Le syndicat n’est ainsi pas fondé à soutenir que le service minimum pendant la grève devrait correspondre seulement aux activités des trois salles d’urgence ou à celles maintenues pendant les jours fériés et weekends ». Le tribunal fait également état du fait que «   les 10, 11 et 12 juin 2014, environ 60 % de l’effectif normal pour assurer le fonctionnement des 25 blocs opératoires et 600 lits des services, dont environ 50 % des personnels grévistes soit les personnels assignés par les décisions attaquées, ont travaillé pendant ces jours de grève, tandis qu’environ 40 % des opérations médicales prévues ont été déprogrammées ; qu’il en résulte que la CGT CHU Toulouse n’est pas fondée à soutenir que les services auraient continué de fonctionner en assurant l’activité complète des blocs opératoires ». Il relève également que, dans le but d’organiser le service pendant la grève pour une durée illimitée, les personnels d’encadrement et médicaux, chirurgiens et anesthésistes, se sont réunis en conseil de bloc opératoire pour déterminer les opérations indispensables, notamment, à la sécurité des personnes et à la continuité des soins aux patients qui ne pouvaient pas être déprogrammées, et que c’est en fonction de ces données que le centre hospitalier a déterminé le personnel nécessaire pour y pourvoir et par suite, dans cette mesure, les assignations litigieuses.

Le tribunal administratif rejette ainsi la requête du syndicat en considérant que  les assignations attaquées ne peuvent être regardées comme disproportionnées au regard des nécessités imposées par la sécurité des patients et la continuité des soins et que l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est ainsi pas établie.

 

Tribunal administratif

de Toulouse

 

N° 1402902

 

Syndicat X.

 

Mme Carthé Mazères

Juge des référés

 

Ordonnance du 13 juin 2014

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Le juge des référés

Vu la requête, enregistrée le 11 juin 2014 sous le n° 1402902 à 18 heures 56 minutes, présentée pour le syndicat X., dont le siège est H..., par Me ...; le syndicat X. demande au juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

-la suspension des effets des mesures individuelles d’assignation prises par le centre hospitalier universitaire Y. (le CHU) à compter du 10 juin 2014 à l’encontre des agents grévistes des trois blocs opératoires de l’hôpital Z. : orthopédie et traumatologie, céphalique, et neurochirurgie et urgence;

-d’enjoindre au CHU de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un service minimum dans le délai de 2 jours suivant la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 € par jours de retard ;

-de mettre à la charge de le CHU une somme de 2 000 euros au titre de l’article L.761­1 du code de justice administrative ;

 

Le syndicat X. soutient que :

-72 % des agents des trois blocs opératoires de l’hôpital Z. se sont déclarés grévistes pour la grève illimitée à compter du 10 juin 2014 qui a fait l’objet d’un préavis le 28 mai ; les assignations notifiées aux agents portent atteinte à leur droit de grève constituant une liberté fondamentale ; l’urgence découle de cette situation ;

-les assignations attaquées vont au-delà de ce qui est nécessaire à la continuité du service public ce qui traduit une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale ; elles ont pour objet de contraindre ces personnels de poursuivre leur activité professionnelle dans les mêmes conditions que celles existantes avant le mouvement de grève et d’assurer la poursuite de l’activité complète des trois blocs opératoires ;

-en effet le service minimum ne saurait correspondre en l’espèce qu’aux activités des trois salles d’urgence (16, 17 et 18), alors que presque toutes les salles du service de blocs opératoires fonctionnent normalement, la majeure partie des interventions n’ayant pas été déprogrammée ; ainsi parmi les 81 agents grévistes, 39 infirmiers et aides-soignants sont assignés, soit la moitié ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2014, présenté pour le CHU par Me Dubourdieu, tendant au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du syndcat X. une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le CHU soutient que :

-la requête est irrecevable pour défaut d’intérêt pour agir du syndicat X., et dès lors que les assignations ont été entièrement exécutées ;

-que la condition d’urgence n’est pas justifiée ;

-que le moyen tiré d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est pas fondé ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 2 septembre 2013, par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Isabelle Carthé Mazères, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé ;

Après avoir au cours de l’audience publique du 13 juin 2014 à 15 heures 00 minutes, à laquelle les parties avaient été régulièrement convoquées, fait le rapport et entendu :

-Me , pour le syndicat X., qui a confirmé ses écritures ;

-Me , pour le centre hospitalier universitaire Y., qui a confirmé ses écritures ;

 

Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience publique, la clôture de l’instruction ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ; que le droit de grève présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de ces dispositions ;

2. Considérant que le syndicat X. demande la suspension des effets des décisions individuelles d’assignation notifiées par le CHU à des agents des services de l’hôpital Z. qui se sont déclarés grévistes, à la suite du préavis de grève pour une durée illimitée déposé le 28 mai 2014 avec effet à compter du 10 juin ;

3. Considérant que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ; qu’en l’absence de la réglementation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ; qu’ainsi les chefs des services publics, en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, peuvent fixer eux-mêmes, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue des limitations à apporter au droit de grève en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique ;

4. Considérant qu’il résulte de ce que précède qu'il appartient au directeur du Centre hospitalier universitaire Y. de prendre les mesures nécessitées par le fonctionnement de ceux des services qui ne peuvent, en aucun cas, être interrompus, en imposant le maintien en service pendant les journées de grève, d'un effectif suffisant pour assurer, en particulier, la sécurité des personnes, la continuité des soins et des prestations hôtelières aux malades hospitalisés et la conservation des installations et du matériel, sans être tenu par les tableaux d'effectifs habituellement prévus les dimanches et jours fériés ; qu’ainsi le syndicat X. n’est pas fondée à soutenir que le service minimum pendant la grève devrait correspondre seulement aux activités des trois salles d’urgence ou à celles maintenues pendant les jours fériés et weekends ;

5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que les 10, 11 et 12 juin 2014, environ 60 % de l’effectif normal pour assurer le fonctionnement des 25 blocs opératoires et 600 lits des services, dont environ 50 % des personnels grévistes soit les personnels assignés par les décisions attaquées, ont travaillé pendant ces jours de grève, tandis qu’environ 40 % des opérations médicales prévues ont été déprogrammées ; qu’il en résulte que le syndicat X. n’est pas fondée à soutenir que les services auraient continué de fonctionner en assurant l’activité complète des blocs opératoires ;

6. Considérant qu’il ressort des écritures du CHU et de ses explications orales que pour organiser le service pendant la grève déclarée pour une durée illimitée, les personnels d’encadrement et médicaux, chirurgiens et anesthésistes, se sont réunis en conseil de bloc opératoire pour déterminer les opérations indispensables, notamment, à la sécurité des personnes et à la continuité des soins aux patients qui ne pouvaient pas être déprogrammées, et que c’est en fonction de ces données que le centre hospitalier a déterminé le personnel nécessaire pour y pourvoir et par suite, dans cette mesure, les assignations litigieuses ;

7. Considérant que dans les conditions qui viennent d’être rappelées aux points 4, 5 et 6, les assignations attaquées ne peuvent être regardées comme disproportionnées au regard des nécessités imposées par la sécurité des patients et la continuité des soins ; qu’ainsi, en l’état de l’instruction, l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est pas établie ; que, par suite, il y a lieu de rejeter la requête du syndicat X. sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir ;

8. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme sur ce fondement ; qu’il n’y a pas lieu dans les circonstances de l’espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du syndicat X. la somme demandée par le CHU à ce titre ;

 

ORDONNE :

Article 1er : La requête du syndicat X. est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CHU tendant à l’application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat X. et au centre hospitalier universitaire Y.