Pendant longtemps, la douleur a été vécue comme une fatalité. Jusqu'à une période récente, malgré les progrès de la médecine, la douleur, toujours confinée au rang de symptôme, n'a que rarement, en tant que telle, intéressé le chercheur ou le médecin. Pourtant l'évolution des connaissances nous donne aujourd'hui des moyens importants permettant dans la quasi-totalité des cas de réduire dans des proportions considérables la douleur des malades et des opérés. Force est de constater, tant au niveau de la formation que de l'exercice, que dans notre pays ces possibilités sont sous-utilisées. Trop peu de médecins disposent d'un carnet à souche permettant la prescription d'antalgiques majeurs. La France est très en retard dans ce domaine, et son classement au 40e rang des nations pour ce qui concerne la consommation de morphine est l'expression la plus manifeste de cette insuffisance.
Plusieurs actions ont déjà été entreprises par les pouvoirs publics dans le domaine de la lutte contre la douleur, et notamment :
Douleur des malades en fin de vie et les modalités de leur prise en charge a fait l'objet d'une première réglementation par les pouvoirs publics qui, dès 1986, ont mis l'accent sur la création d'unités de soins palliatifs, structures multidisciplinaires prenant en charge les malades en phase terminale et s'efforçant en particulier de soulager leurs souffrances et de les accompagner. Il existe actuellement 40 unités de ce type, dont 10 unités mobiles qui interviennent à la demande auprès des services de l'hôpital ou dans le cadre de consultations externes. Ces unités contribuent à diffuser un savoir et des modalités de prise en charge globale du malade en vue de lutter contre la douleur. Pour autant, la lutte contre la douleur ne se limite pas aux malades en phase terminale, la douleur chronique ou la douleur aiguë, par exemple en phase post-opératoire, constituent des champs d'intervention tout aussi importants.
Plusieurs publications du ministère chargé de la santé ont été consacrées aux actions dans le domaine de la douleur, notamment la brochure 'Soulager la souffrance' tirée à 200 000 exemplaires et diffusée gratuitement à l'ensemble du corps médical. Cette brochure actualisée a été rééditée en 1993, elle est actuellement en cours de rediffusion. De même, les travaux conduits par le groupe, de travail composé de spécialistes de la lutte contre la douleur et mis en place par la direction générale de la santé sur le traitement des douleurs chroniques ont également été publiés dans le Bulletin officiel du ministère des affaires sociales (n° 91-3 bis) disponible à la direction des Journaux officiels.
Formation des acteurs impliqués dans la lutte contre la douleur est fondamentale pour améliorer sa prise en charge. L'organisation des études d'infirmiers a intégré cette notion dans le cursus obligatoire de tout étudiant. Des items relatifs à la prise en compte des souffrances et de l'inquiétude des patients font depuis peu partie du premier cycle des études médicales. Une formation spécifique sur la douleur pour les futurs médecins est également prévue au cours du troisième cycle (D.E.S. d'oncologie et D.I.U d'évaluation et traitement de la douleur), Les étudiants en médecine restent cependant dans l'ensemble peu formés à la pratique des traitements de la douleur. Il faut toutefois noter que ce thème est retenu au titre de la formation continue des médecins généralistes depuis 1990.
La présente circulaire a pour objet de rappeler que chaque médecin est pour beaucoup un médecin de la douleur, et d'offrir aux malades douloureux des possibilités élargies d'accès au traitement et au soulagement de leur douleur. Se rapportant à l'organisation des soins et à la prise en charge des douleurs chroniques, elle rend compte de la possibilité actuelle de contrôler la douleur dans la majorité des cas. L'objectif poursuivi est de combler le retard de la France dans ce domaine.
1. La douleur chronique et les principes de sa prise en charge
Si les connaissances progressent dans la compréhension de ses mécanismes, la douleur reste un phénomène complexe encore difficile à définir. Elle est à la fois sensation et émotion désagréable. Si elle a un support neurophysiologique, elle a également une dimension psychique dont le retentissement est variable selon les individus. Les malades concernés sont ceux qui, après un diagnostic médical apparemment correct, continuent à souffrir de douleurs persistantes.
1.1. Définition de la douleur chronique
Par douleur chronique, on entend une douleur rebelle aux traitements antalgiques usuels qui évolue depuis au moins six mois.
Les douleurs chroniques se répartissent en plusieurs catégories :
- les douleurs cancéreuses qui peuvent être provoquées par le cancer lui-même (les plus fréquentes, et il s'agit alors d'un envahissement loco-régional englobant les plexus nerveux ou de métastases osseuses), secondaires au cancer (notamment des spasmes musculaires, des constipations, des escarres...), d'origine iatrogène (notamment douleurs cicatricielles post-opératoires, plexites postradiques, stomatites résultant d'une chimiothérapie...) ou encore dues à une maladie concomitante ;
- les douleurs liées à l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine qui sont souvent plurifocales et de mécanismes divers (nociception, désafférentation, mixtes...) nécessitent une prise en charge précoce ;
- les douleurs chroniques non malignes qui perturbent la vie des malades atteints, souvent pendant de longues années puisque leur ancienneté est en moyenne de sept ou huit ans. Elles risquent d'autant plus de ne pas être soulagées que leur origine ne met pas en jeu un risque vital. Les douleurs les plus fréquemment rencontrées sont les douleurs d'origine musculo-squelettique ou vertébrale, les douleurs neurologiques par lésion du système nerveux périphérique ou central, les céphalées et les douleurs psychogènes.
La méconnaissance de la douleur et du traitement de celle-ci chez l'enfant est liée à la difficulté de son évaluation et aux réticences des médecins face à l'utilisation d'antalgiques puissants, dont l'efficacité est pourtant démontrée. Chez l'enfant exposé à la douleur, comme par exemple le tout-petit (particulièrement dans un environnement de soins intensifs), l'enfant polyhandicapé, l'enfant atteint d'une pathologie chronique invalidante, d'un cancer, du sida, ou l'enfant brûlé, des conséquences sévères apparaissent dans des délais plus courts que chez l'adulte, et justifient une attention particulière. Des méthodes d'évaluation de la douleur chez l'enfant ont depuis peu été élaborées, elles sont basées sur l'observation des comportements de celui-ci.
Pour ce qui concerne l'adulte, des échelles d'évaluation de la douleur ont été constituées depuis plus longtemps (échelle verbale, échelle visuelle analogique...).
1.2. Principes de prise en charge de la douleur
Lutter contre la douleur implique sa prévention, son évaluation et son traitement.
Le malade douloureux chronique doit pouvoir bénéficier d'une prise en charge spécifique fondée sur les règles d'organisation et les principes thérapeutiques suivants :
- assurer une approche pluridisciplinaire pour appréhender les diverses composantes du syndrome douloureux chronique et proposer une combinaison des techniques pharmacologiques, physiques, psychologiques et chirurgicales ;
- décider d'une thérapie adaptée après bilan complet comprenant la réévaluation du diagnostic initial ;
- obtenir du malade sa confiance, sa coopération avec l'équipe soignante, son adhésion au traitement et, en cas d'insuccès partiel ou total, lui apprendre à vivre avec sa douleur ;
- prendre en compte l'environnement familial, culturel et social du patient ;
- pratiquer régulièrement une évaluation rétrospective du travail accompli par l'équipe, participer à la recherche et à l'enseignement.
2. Les modalités de prise en charge de la douleur chronique
2.1. Le rôle du médecin traitant
Le médecin traitant est le premier confronté à la plainte d'un malade douloureux et, quelle que soit la filière de soins vers laquelle il oriente ce malade, en fonction de la persistance de la douleur, il est le garant de la prise en charge globale de celui-ci. Il doit donc être partie prenante de toutes les décisions thérapeutiques ; encore faut-il qu'il possède la parfaite connaissance de la clinique et du maniement des antalgiques, mais également les qualités nécessaires d'écoute du malade et de sa famille.
Au domicile, les soins doivent être dispensés dans les meilleures conditions, ce qui suppose donc que puisse être pris en compte l'environnement psychologique et matériel du malade et de sa famille, et que les intervenants, tant le médecin traitant que les infirmières et les autres personnels soignants appelés auprès du malade, qu'ils relèvent de services d'hospitalisation ou de soins à domicile ou qu'ils soient d'exercice libéral, aient pu bénéficier de la double formation à visée technique et psychologique qui s'impose.
Avec les établissements, la liaison à établir doit permettre au médecin traitant d'adresser ses patients résistant aux traitements antalgiques usuels à une structure spécialisée, pour avis diagnostique, pour la mise au point de traitements mieux adaptés, voire pour l'hospitalisation éventuelle de ceux-ci. Des consultations externes doivent être organisées permettant de faire le point sur la prise en charge des malades et la mise en œuvre des techniques disponibles.
2.2. Les structures spécialisées dans l'évaluation et le traitement de la douleur
Tout médecin peut, dans le cadre de ses compétences, se consacrer aux malades douloureux chroniques mais, pour que cette activité s'intègre dans une structure spécialisée dans l'évaluation et le traitement de la douleur, celle-ci doit répondre aux critères évoqués ci-dessous.
2.2.1. Rôle des structures spécialisées dans le traitement de la douleur :
Les activités d'une unité spécialisée dans l'évaluation et le traitement de la douleur chronique sont de quatre types :
- évaluation et orientation thérapeutique : le médecin traitant adresse le patient pour avis diagnostique et thérapeutique ;
- traitement et suivi à long terme : en collaboration avec le médecin traitant, les services de soins et d'hospitalisation à domicile ;
- enseignement auprès des autres services et des médecins ;
- recherche fondamentale et appliquée.
2.2.2. Composition des équipes :
La structure doit être dirigée par un médecin et regroupe plusieurs intervenants (cf. annexe I), dont au moins trois médecins. Deux d'entre eux seront des médecins somaticiens de disciplines différentes (dont l'un au moins devrait avoir une formation neurologique suffisante), accompagnés d'un médecin psychiatre. Les disciplines représentées doivent être en cohérence avec les pathologies examinées. Les spécialistes somaticiens les mieux préparés à prendre en charge les patients douloureux chroniques sont l'anesthésiste, le médecin interniste ou le pédiatre, le neurochirurgien, le neurologue, l'oncologue et le rhumatologue. L'un d'eux assure la coordination du travail des infirmiers, des aides-soignants, des kinésithérapeutes, des psychologues... susceptibles d'avoir à intervenir.
Dans tous les cas, une formation complémentaire, sous la forme d'un diplôme interuniversitaire sur la douleur, est recommandée.
Toute unité d'évaluation et de traitement de la douleur chronique doit assurer un fonctionnement en équipe avec réunion de synthèse, ce qui suppose de disposer de locaux spécifiques.
2.2.3. Modes d'organisation :
Plusieurs catégories d'unités peuvent être envisagées, prenant en compte la nature de leur activité ou leur organisation au sein des établissements de santé.
a) Nature des activités :
- certaines unités de lutte contre la douleur peuvent être orientées vers une pathologie spécifique (par exemple le cancer, les migraines). Pour être considérées comme structures spécialisées dans la lutte contre la douleur, elles doivent fonctionner sur le principe de multidisciplinarité, quelle que soit leur situation au sein des établissements de soins ;
- d'autres unités peuvent prendre en charge des douleurs d'origine pathologique différentes, qui seront organisées sur les modes définis ci-après.
b) Organisation de l'activité au sein des établissements de santé :
Trois niveaux d'organisation peuvent être distingués :
- des équipes mobiles d'intervention pluridisciplinaire prenant en charge des malades souffrant de douleurs chroniques d'étiologies variées : elles interviennent, selon le même modèle d'organisation que les équipes mobiles de soins palliatifs, par le biais de consultations externes et internes, à la demande des services, sans se substituer nécessairement à eux dans le domaine des prescriptions ;
- certaines équipes peuvent, en outre, disposer ou accéder à des lits d'hospitalisation et/ou de places d'hôpital de jour au sein de services ou de départements de l'établissement. Elles sont ainsi en mesure de mettre en œuvre des procédures d'assurance qualité et d'évaluation des soins ;
- des pôles de référence hospitalo-universitaires ayant une triple mission de soins, de recherche et d'enseignement : ils regroupent des cliniciens spécialisés, des enseignants-chercheurs, voire des scientifiques, et permettent ainsi d'aborder conjointement la prise en charge des malades, la formation des médecins et du personnel paramédical et les différents aspects de la recherche médicale. Ces structures ont à leur disposition des locaux de consultation, des laboratoires d'exploration neurophysiologique et comportent un secteur propre d'hospitalisation ou disposent d'un accès permanent à des lits d'hospitalisation dans une unité fonctionnelle.
Les deux premiers niveaux d'organisation correspondent, dans les établissements publics de santé, à des unités fonctionnelles de services ou de départements, voire à des fédérations résultant du regroupement d'unités fonctionnelles appartenant à des services ou des départements différents.
Le développement de pôles de références régionaux doit être prioritairement favorisé, compte tenu de leur rôle dans la diffusion des connaissances et des pratiques. Rattachés à des centres hospitaliers universitaires, ils constituent des services ou des départements, Toutefois, la mise en place d'une équipe mobile d'intervention, au sein d'un centre hospitalier universitaire, peut constituer une première étape préparant l'individualisation d'un véritable pôle de référence régional.
Je vous demande de bien vouloir dresser dans le cadre de vos compétences géographiques un état des lieux recensant les structures de prise en charge de la douleur correspondant aux critères ci-dessus définis, et de me faire parvenir les résultats au plus tard pour le 30 mars 1994. Vous trouverez en annexe un guide de recensement.
Je vous demande de bien vouloir diffuser largement les présentes informations auprès des directeurs d'établissements de santé publics et privés, des médecins responsables d'unités dans ces établissements, ainsi qu'auprès des représentants de l'ordre des médecins.
Références: B.O. n° 91-3 bis. La douleur chronique : les structures spécialisées dans son traitement; Circulaire DGS/3 D du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale; Fascicule DGS/CFES (réédition 1993) : 'Soulager la souffrance : soigner et accompagner jusqu'au bout'. Pièces jointes : 2 annexes.
ANNEXE I
Grille descriptive des intervenants susceptibles d'être intégrés dans une structure de traitement de la douleur chronique
Coordinateur spécialisé.
Médecin interniste.
Neurologue.
Neurochirurgien.
Anesthésiste.
Cancérologue.
Rhumatologue.
Médecin de rééducation fonctionnelle.
Neurophysiologue.
Psychiatre.
Pharmacien.
Infirmière.
Masseur-kinésithérapeute.
Ergothérapeute.
Rééducateur en psycho-motricité.
Psyclologue.
Assistante sociale.
Secrétaire.
Intervenants stagiaires.
ANNEXE II
Guide de recensement des centres ou des consultations de lutte contre la douleur
Ce guide a pour objet d'établir un bilan de l'existant en termes de prise en charge de la douleur dans les régions et départements relevant de votre compétence. Il sera suivi de l'établissement d'une liste des structures, hospitalières ou non, de prise en charge de la douleur, telles que définies par la circulaire, qui sera publiée au terme de ce recensement.
Les modalités d'organisation du recueil des données sont les suivantes :
Les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (inspection de la santé) sont chargées de diffuser le questionnaire ci-joint à l'ensemble des établissements publics ou privés de santé relevant de leur compétence. En vue de connaître l'existant dans les structures ambulatoires, vous pourrez vous rapprocher du conseil départemental de l'ordre des médecins. Les médecins responsables de ces différentes structures sont chargés de remplir le questionnaire eux-mêmes et de le retourner aux D.D.A.S.S. dont ils relèvent.
Les directions départementales des affaires sanitaires et sociales s'assureront du retour de l'ensemble des questionnaires diffusés, dans les délais prévus par la circulaire. Elles en feront parvenir copie, pour information, aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales dont elles relèvent.
L'ensemble des réponses devront être retournées par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales avant le 30 mars 1994, à l'adresse suivante : direction générale de la santé, bureau SQ 2, 1, place Fontenoy, 75350 Paris 07-SP, tél. : 46-62-46-83 ou 46-62-46-40.
ENQUETE 1993
PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR
(cf. document original)
Direction générale de la santé Sous-direction du système de santé et de la qualité des soins Bureau des pathologies, de l'organisation des soins et des urgences.
Le ministre délégué à la santé à Messieurs les préfets des région (directions régionales des affaires sanitaires et sociales) ; Mesdames et Messieurs les préfets des département (directions départementales des affaires sanitaires et sociales).
Texte non paru au Journal officiel.
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