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Conseil d’Etat, 10 avril 2009, n°296630 (Vaccinations obligatoires – Vaccin contre l’hépatite B – Sclérose en plaques – Aide-soignante – Responsabilité de l’Etat) 

En l’espèce, une aide-soignante atteinte d’une sclérose en plaques qu'elle impute à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue les 27 juillet, 9 septembre et 19 octobre 1988 au sein d’un centre hospitalier, a recherché la responsabilité sans faute de l'Etat au titre des dommages causés par les vaccinations obligatoires. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nancy qui a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande au motif que la responsabilité de l’Etat n’est pas engagée. Considérant qu'il résulte de l'instruction, que cet agent n'a présenté aucun antécédent de la sclérose en plaques avant de recevoir les trois premières injections du vaccin, que les premiers symptômes de l'affection ultérieurement diagnostiquée qui aient fait l'objet de constatations cliniques ont été ressentis dans un bref délai après la troisième injection et que dans ces conditions, l'affection doit être regardée comme imputable à la vaccination, le Conseil d’Etat considère par cet arrêt qu'il revient dès lors à l'Etat de réparer les dommages subis par cette aide-soignante du fait de cette affection.

Conseil d'État

N° 296630
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Daël, président
M. Philippe Ranquet, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
HAAS, avocat

lecture du vendredi 10 avril 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 août et 22 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Christiane A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 15 juin 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 juin 2004 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser une rente annuelle viagère de 35 000 euros en réparation du préjudice résultant de la sclérose en plaques dont elle est atteinte ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Auditeur,

- les observations de Me Haas, avocat de Mme A,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Haas, avocat de Mme A ;

Considérant que Mme A, atteinte d'une sclérose en plaques qu'elle impute à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue en tant qu'aide-soignante au centre hospitalier de Mulhouse, a recherché la responsabilité sans faute de l'Etat au titre des dommages causés par les vaccinations obligatoires ; que le ministre chargé de la santé, après avoir recueilli l'avis de la commission de règlement amiable des accidents vaccinaux, a proposé à l'intéressée, par une décision du 15 février 2002, une rente viagère annuelle indexée de 6 100 euros ; qu'estimant ce montant insuffisant, Mme A a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à ce que lui soit allouée une rente annuelle de 35 000 euros ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 juin 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 juin 2004 de ce tribunal rejetant sa demande au motif que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers « doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci » ; que cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit ; que devant le tribunal administratif de Strasbourg et devant la cour administrative d'appel de Nancy, Mme A a fait connaître sa qualité de fonctionnaire hospitalier ; qu'en ne communiquant pas sa requête à l'établissement hospitalier qui l'employait et à la Caisse des dépôts et consignations, en sa qualité de gérante de la caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité ; que ce dernier doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le tribunal administratif de Strasbourg était tenu de communiquer la demande de Mme A à l'établissement hospitalier qui l'employait et à la Caisse des dépôts et consignations ; que faute de l'avoir fait, il a entaché son jugement d'une irrégularité de nature à en justifier l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique : « Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention, de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe. » ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision proposant une indemnisation amiable à la requérante : « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation d'un dommage imputable directement à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre est supportée par l'Etat. » ; qu'aux termes de l'article 104 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « Les dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique sont applicables aux personnes visées à l'article L. 3111-4 du même code qui ont été vaccinées contre l'hépatite B avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales. » ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis au titre du règlement amiable, que Mme A n'a présenté aucun antécédent de la sclérose en plaques avant de recevoir les trois premières injections du vaccin les 27 juillet, 9 septembre et 19 octobre 1988 ; que les premiers symptômes de l'affection ultérieurement diagnostiquée qui aient fait l'objet de constatations cliniques ont été ressentis dès les mois de novembre et décembre 1988, soit dans un bref délai après la troisième injection ; que dans ces conditions, l'affection doit être regardée comme imputable à la vaccination ; qu'il revient dès lors à l'Etat, en application des dispositions précitées, de réparer les dommages subis par Mme A du fait de cette affection ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la sclérose en plaques dont est atteinte Mme A, après n'avoir d'abord causé que des troubles intermittents, entraîne en revanche au 25 octobre 2000, date du rapport de l'expert commis au titre du règlement amiable, une incapacité permanente partielle de 15 % et est susceptible de dégradation à l'avenir ; qu'elle a un retentissement important sur la vie professionnelle et familiale de l'intéressée ainsi que sur sa capacité à pratiquer ses activités de loisirs habituelles ; qu'elle est à l'origine d'une inquiétude permanente liée au risque d'aggravation ;

En ce qui concerne les pertes de revenus et l'incidence professionnelle :

Considérant que si Mme A a perdu, du fait des arrêts maladie directement causés par la sclérose en plaques dont elle est atteinte, le bénéfice de diverses primes, pour un montant total de 2 072 euros, celles-ci ont été compensées par l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité d'un montant cumulé de 8 000 euros, à la charge de la Caisse des dépôts et consignations qui, mise en cause dans la présente instance, n'en demande pas le remboursement ; qu'elle n'établit pas que sa maladie aurait été à l'origine d'autres préjudices de nature économique ;

En ce qui concerne les préjudices personnels :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément, du préjudice corporel, des souffrances endurées ainsi que du préjudice moral, important du fait du caractère évolutif de la pathologie de Mme A, en lui attribuant à ce titre une indemnité de 45 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a eu lieu de condamner l'Etat à verser à Mme A la somme de 45 000 euros ; que cette somme répare les conséquences de la pathologie dont elle a fait état jusqu'à la date de la présente décision ; qu'il appartient à cette dernière, dont l'état est évolutif, de demander le cas échéant la prise en charge des conséquences qui résulteraient dans le futur de l'aggravation de la pathologie dont elle est atteinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 900 euros que Mme A demande au titre des frais exposés par elle devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 juin 2006 de la cour administrative d'appel de Nancy et le jugement du 15 juin 2004 du tribunal administratif de Strasbourg sont annulés.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A une indemnité de 45 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A la somme de 4 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Christiane A, à la Caisse des dépôts et consignations, au centre hospitalier de Mulhouse, à la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, au groupe Arpège et à la ministre de la santé et des sports.