Revenir aux résultats de recherche

Conseil d'Etat, 10 mars 2010, n°321125 (protection fonctionnelle - emploi fictif - poursuites pénales - absence de faute personnelle de l'agent)

Ce cas d'espèce est tout à fait singulier : Mme A, animatrice sportive au sein d'une commune et qui est par ailleurs une sportive de haut niveau devant poursuivre dans de bonnes conditions son entrainement en vue des sélections pour les jeux olympiques, se voit détachée auprès d'une communauté urbaine tout en restant de fait à la disposition de la commune (puisque siégeant au conseil municipal). Elle accepte donc pendant plusieurs années de recevoir un traitement sans travailler pour la communauté urbaine où elle était affectée. En conflit avec le maire de la commune quelques années plus tard, Mme A voit des poursuites pénales engagées à son encontre pour emploi fictif. Elle demande alors la protection fonctionnelle au regard de l'article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983. Cette protection lui est refusée.
Le Conseil d'Etat juge illégale la décision par laquelle la protection fonctionnelle demandée par un agent faisant l'objet de poursuites pénales lui avait été refusée, annule donc le refus de protection et enjoint à la commune d'accorder cette protection à son agent dans un délai d'un mois. En effet, le Conseil d'Etat considère que "les faits qui ont servi de fondement aux poursuites engagées contre Mme A devant le juge pénal étaient relatifs au détachement dont elle a fait l'objet entre 1991 et 1999 auprès de la communauté urbaine de D., alors qu'elle était agent de la commune de C-B ; qu'il ressort du dossier que si Mme A n'ignorait pas le caractère irrégulier de ce détachement qui ne s'est assorti d'aucun service effectif auprès de la communauté urbaine, ce détachement résultait de la volonté du maire de la commune de C-B, qui en a pris l'initiative et organisé les modalités ; que, dès lors, ces faits ne revêtent pas le caractère d'une faute personnelle de Mme A au sens des dispositions citées ci-dessus de la loi du 13 juillet 1983 ; que cette dernière est, par suite, fondée à demander l'annulation du refus qui lui a été opposé pour ce motif par le maire de la commune de C-B".

Conseil d'État
1ère et 6ème sous-sections réunies

N° 321125   


Mentionné dans les tables du recueil Lebon


M. Vigouroux, président
M. Alain Boulanger, rapporteur
Mlle Courrèges Anne, commissaire du gouvernement
SCP CAPRON, CAPRON ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 10 mars 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 septembre et 29 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Sandrine A épouse B, demeurant ... ; Mme B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2008 du tribunal administratif de Lille en tant que celui-ci a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 26 juillet 2004 par laquelle le maire de la commune de Coudekerque-Branche a rejeté sa demande de protection juridique, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à la commune de lui accorder le bénéfice de cette protection juridique dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Coudekerque-Branche la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi nº 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Boulanger, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A épouse B et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la commune de Coudekerque-Branche,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A épouse B et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la commune de Coudekerque-Branche ;

Considérant que, par une décision du 14 novembre 2007, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le jugement du 22 juin 2006 par lequel le tribunal administratif de Lille avait statué sur la décision du maire de la Commune de Coudekerque-Branche refusant d'accorder à Mme B le bénéfice de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, et a renvoyé l'affaire devant ce tribunal ; que celui-ci s'est trouvé de nouveau saisi de plein droit de la demande d'annulation de Mme B sur laquelle il s'était prononcé le 22 juin 2006 ; qu'il devait toutefois, avant de statuer sur cette demande, eu égard au fait nouveau que constituait la cassation de son premier jugement et en l'absence de mémoires présentés par l'ensemble des parties à la suite de cette cassation, faire connaître à ces parties qu'en raison de ce fait nouveau il leur était loisible de produire, si elles le jugeaient utile et dans le délai fixé par le tribunal, les observations qu'il leur paraîtrait opportun de lui adresser ;

Considérant qu'il est constant que, lorsqu'a été rendu le jugement attaqué du tribunal administratif de Lille, les parties n'avaient pas été mises à même par ce tribunal de produire, le cas échéant, leurs observations à la suite de la cassation du précédent jugement ; qu'est à cet égard sans incidence la circonstance que le tribunal avait, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, invité les parties à présenter des observations sur un moyen susceptible d'être relevé d'office, lequel était au surplus relatif à des conclusions qui n'étaient plus en litige ; que par ailleurs, si la commune de Coudekerque-Branche a produit un mémoire en réponse à cette communication, Mme B n'a produit aucun mémoire avant l'audience ; que le jugement litigieux a ainsi été rendu au terme d'une procédure irrégulière ; que Mme B est, dès lors, fondée à en demander l'annulation en tant que, par son article 1er, il a rejeté sa demande ;

Considérant qu'il incombe au Conseil d'Etat, en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983: Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales./ (...) La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle (...) ; qu'il en résulte que lorsqu'elle est saisie de la demande d'un de ses agents qui sollicite le bénéfice de la protection prévue par ces dispositions, une collectivité publique ne peut légalement refuser d'y faire droit qu'en opposant le caractère de faute personnelle des faits à l'origine des poursuites au titre desquelles la protection est demandée ;

Considérant que les faits qui ont servi de fondement aux poursuites engagées contre Mme B devant le juge pénal étaient relatifs au détachement dont elle a fait l'objet entre 1991 et 1999 auprès de la communauté urbaine de Dunkerque, alors qu'elle était agent de la commune de Coudekerque-Branche ; qu'il ressort du dossier que si Mme B n'ignorait pas le caractère irrégulier de ce détachement qui ne s'est assorti d'aucun service effectif auprès de la communauté urbaine, ce détachement résultait de la volonté du maire de la commune de Coudekerque-Branche, qui en a pris l'initiative et organisé les modalités ; que, dès lors, ces faits ne revêtent pas le caractère d'une faute personnelle de Mme B au sens des dispositions citées ci-dessus de la loi du 13 juillet 1983 ; que cette dernière est, par suite, fondée à demander l'annulation du refus qui lui a été opposé pour ce motif par le maire de la Commune de Coudekerque-Branche ;

Considérant qu'il résulte des mêmes dispositions de la loi du 13 juillet 1983 que la commune de Coudekerque-Branche était dès lors tenue d'accorder à Mme B le bénéfice de la protection qu'elles prévoient ; que, par voie de conséquence, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Coudekerque-Branche d'accorder à Mme B le bénéfice de la protection qu'elle a sollicitée dans le cadre de la procédure pénale engagée à son encontre ; qu'en revanche il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Coudekerque-Branche le versement à Mme B de la somme de 3 000 euros ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme B qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la commune et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 2 juillet 2008 est annulé.

Article 2 : La décision du maire de la commune de Coudekerque-Branche du 26 juillet 2004 est annulée.


Article 3 : Il est enjoint à la commune de Coudekerque-Branche d'accorder à Mme B la protection prévue à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dans le cadre de la procédure pénale engagée à son encontre, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.


Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme B est rejeté.


Article 5 : La commune de Coudekerque-Branche versera à Mme B la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Coudekerque-Branche au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Sandrine A épouse B et à la commune de Coudekerque-Branche.