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Conseil d’État, 24 février 2015 n° 369074 et autres (Décret Bertrand - Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé - Transparence des avantages accordés)

Le Conseil national de l’ordre des médecins et l’Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP) demandaient l’annulation  pour excès de pouvoir :

-du décret n°2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme;

- ainsi que de la circulaire n°DGS/PF2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

Ils estimaient notamment que ce décret ne respectait pas la volonté du législateur et reprochaient plus spécifiquement le fait que les rémunérations versées aux professionnels de santé en contrepartie de travaux effectués pour le compte des entreprises dans le cadre d’une convention ne devaient pas être rendues publiques.

Le Conseil d’Etat annule une partie infime du décret précité en ce qu’il établissait une distinction entre les conventions qui devaient être signalées par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et celles qui devaient l’être par les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage. Pour ces dernières, n’étaient concernées que les conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales. Il annule également deux paragraphes de la circulaire précitée qui indiquaient que « ne sont pas considérés comme des avantages les rémunérations, les salaires et les honoraires  qui sont la contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service, perçus par les personnes mentionnées à l’article L. 1453-1 du code de la santé publique » et « toutefois, une rémunération manifestement disproportionnée par rapport au travail ou à la prestation de service rendue est susceptible d’être requalifiée en avantage ou en cadeau prohibé par les dispositions de l’article L. 4113-6 du code de la santé publique ».

 

Conseil d'État

N° 369074   

1ère et 6ème sous-sections réunies

Mme Julia Beurton, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats

lecture du mardi 24 février 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

1° Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 369074 les 5 juin 2013, 20 août 2013 et 26 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370431 les 22 juillet 2013 et 8 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association X. demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3° Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 370571 les 26 juillet 2013, 24 septembre 2013 et 26 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre des affaires sociales et de la santé n° DGS/PF2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l'application de l'article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de commerce ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1453-1 introduit dans le code de la santé publique par l'article 2 de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé : " I. - Les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés au II de l'article L. 5311-1 ou assurant des prestations associées à ces produits sont tenues de rendre publique l'existence des conventions qu'elles concluent avec : / 1° Les professionnels de santé relevant de la quatrième partie du présent code ; / 2° Les associations de professionnels de santé ; / 3° Les étudiants se destinant aux professions relevant de la quatrième partie du présent code ainsi que les associations et groupements les représentant ; (...) / II. - La même obligation s'applique, au-delà d'un seuil fixé par décret, à tous les avantages en nature ou en espèces que les mêmes entreprises procurent, directement ou indirectement, aux personnes, associations, établissements, fondations, sociétés, organismes et organes mentionnés au I. / III. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article, la nature des informations qui doivent être rendues publiques, notamment l'objet et la date des conventions mentionnées au I, ainsi que les délais et modalités de publication et d'actualisation de ces informations. Il précise également les modalités suivant lesquelles les ordres des professions de santé sont associés à cette publication " ; qu'en application du III de cet article, le décret du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme prévoit notamment la nature des informations qui doivent être rendues publiques et les modalités d'accès à ces informations ; que, par une circulaire du 29 mai 2013, le ministre des affaires sociales et de la santé a également précisé les modalités d'application de l'article 2 de la loi du 29 décembre 2011 ; que, par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre, le Conseil national de l'ordre des médecins et l'Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP) demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et de cette circulaire ;
 

Sur les obligations qui s'imposent aux entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage :

2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, toutes les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés au II de l'article L. 5311-1 du même code ou assurant des prestations associées à ces produits doivent rendre publique l'existence des conventions conclues avec des professionnels de santé, associations, étudiants, établissements ou autres organismes énumérés à cet article et, au-delà d'un seuil, les avantages en nature ou en espèces qu'elles procurent, directement ou indirectement, à ces personnes, associations, établissements et organismes ;

3. Considérant que le décret attaqué distingue, d'une part, les obligations de publicité qui s'imposent aux entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire destinés à l'homme, régies par les dispositions des articles R. 1453-2 à R. 1453-7 du code de la santé publique, et, d'autre part, celles applicables aux entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, mentionnés aux 14°, 15° et 17° du II de l'article L. 5311-1, régies par les dispositions des articles R. 1453-8 et R. 1453-9 du même code ; que l'article R. 1453-8 limite l'obligation de publication des conventions conclues avec les personnes et organismes mentionnés à l'article L. 1453-1, pour les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés aux 14°, 15° et 17° du II de l'article L. 5311-1, aux " conventions relatives à la conduite de travaux d'évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits " ; qu'en restreignant ainsi le champ de l'obligation de publicité des conventions pour les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, le pouvoir réglementaire a méconnu les dispositions de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique ; que l'association FORMINDEP est, par suite, fondée à demander l'annulation, dans cette mesure, du premier alinéa du I de l'article R. 1453-8 du même code ;
 

Sur les conventions dont l'existence doit être rendue publique et les informations relatives à ces conventions devant être publiées :

4. Considérant, en premier lieu, d'une part, que les dispositions de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2011 dont elles sont issues, ne s'appliquent pas aux conventions qui ont pour objet l'achat de biens ou de services par les professionnels de santé ou les autres personnes ou organismes qu'il mentionne à des entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l'homme, non plus qu'aux contrats passés à des fins de publicité entre de telles entreprises et les éditeurs mentionnés aux 7° et 8° du même article, dans le cadre de relations commerciales normales ; qu'en précisant, au second alinéa du I de l'article R. 1453-2 du code de la santé publique, que l'obligation de déclaration ne s'applique pas aux conventions régies par les dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-7 du code de commerce qui ont pour objet l'achat de biens ou de services entre ces entreprises et les personnes, organismes ou organes mentionnés par l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, le décret attaqué doit être regardé comme ayant exclu les seuls conventions et contrats mentionnés ci-dessus ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que, en donnant cette précision, le pouvoir réglementaire aurait adopté des dispositions entachées d'incompétence et méconnu les dispositions des articles L. 1453-1 et L. 5311-1 du code de la santé publique doit être écarté ;

5. Considérant, d'autre part, que la circonstance que l'obligation de déclaration ne s'applique pas aux conventions régies par les dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-7 du code de commerce est sans incidence sur l'obligation qui s'impose à toutes les personnes mentionnées à l'article L. 1451-1 du code de la santé publique d'établir, en application de cet article, une déclaration mentionnant les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, qu'il a ou a eus pendant les cinq années précédant sa prise de fonctions avec des entreprises, établissements ou organismes relevant du champ de compétence de l'autorité en cause ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique ;

6. Considérant, en second lieu, que par l'article L. 1453-1 du même code, le législateur n'a pas imposé aux entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l'homme de publier le texte même des conventions conclues avec des professionnels de santé ou des établissements, organismes ou organes intervenant dans le domaine de la santé, mais seulement d'en rendre publics l'existence ainsi qu'un certain nombre d'informations, au nombre desquelles la date et l'objet, dont il a renvoyé au décret en Conseil d'Etat le soin de préciser la nature ; qu'il ne peut ainsi être regardé comme ayant entendu déroger, au-delà des dispositions qu'il a expressément prévues, aux dispositions législatives protégeant le caractère secret de certaines informations ; qu'ainsi, en prévoyant, au 3° du I de l'article R. 1453-3 du code de la santé publique, que chaque entreprise est tenue de rendre public " l'objet de la convention, formulé dans le respect des secrets protégés par la loi, notamment du secret industriel et commercial ", le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 1453-1 du même code ; que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas davantage fondé à soutenir que cette disposition serait entachée d'incompétence et conférerait aux entreprises un pouvoir d'appréciation excessif, en violation du droit à la protection de la santé ;
 

Sur la notion d'avantage :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, eu égard à leur objet et à l'intention du législateur lors de l'adoption de la loi du 29 décembre 2011 dont elles sont issues et rapprochées des dispositions de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique qui poursuivent la même finalité, que le législateur a entendu soumettre à une obligation de transparence les avantages procurés directement ou indirectement, en nature ou en espèces, à des professionnels de santé et à d'autres acteurs du domaine sanitaire par des entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l'homme ; qu'en mentionnant les avantages en espèces, il a entendu inclure dans le champ de l'obligation qu'il instituait les rémunérations accordées par ces entreprises à des professionnels de santé et à d'autres acteurs du domaine sanitaire, à l'exception des rémunérations des professionnels de santé exerçant leur activité principale en qualité de salarié de l'une de ces entreprises ;

8. Considérant que le II de l'article R. 1453-2 du code de la santé publique, issu du décret attaqué, se borne à rappeler les dispositions du II de l'article L. 1453-1 du même code en prévoyant que " Les mêmes entreprises rendent publics, dans les conditions définies à la présente section, les avantages en nature ou en espèces qu'elles procurent directement ou indirectement aux personnes, (...) organismes ou organes mentionnés au I de l'article L. 1453-1, y compris dans le cadre des conventions mentionnées au premier alinéa du I du présent article " ; que le II de l'article R. 1453-3 du même code, également issu du décret attaqué et qui énumère les informations qui doivent être rendues publiques, dispose que, pour les avantages mentionnés au II de l'article R. 1453-2, l'entreprise rend publics " 2° le montant, toutes taxes comprises, arrondi à l'euro le plus proche, la date et la nature et de chaque avantage perçu par le bénéficiaire au cours d'un semestre civil " ;

9. Considérant que, d'une part, contrairement à ce qui est soutenu, le pouvoir réglementaire n'était pas tenu de définir la notion d'avantage, qu'il soit direct ou indirect, pour l'application de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique ; que, d'autre part, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué, qui se borne à reprendre les termes de la loi, aurait exclu du champ de l'obligation de déclaration les rémunérations versées par les entreprises aux professionnels de santé et aux autres acteurs du domaine sanitaire ;

10. Considérant, en revanche, que la circulaire attaquée précise que " Ne sont pas considérés comme des avantages les rémunérations, les salaires et les honoraires qui sont la contrepartie d'un travail ou d'une prestation de service, perçus par les personnes mentionnées à l'article L. 1453-1 du code de la santé publique. / Toutefois, une rémunération manifestement disproportionnée par rapport au travail ou à la prestation de service rendue est susceptible d'être requalifiée en avantage ou en cadeau prohibé par les dispositions de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique " ; qu'en excluant ainsi du champ des informations devant être rendues publiques, par des dispositions impératives à caractère général, l'ensemble des rémunérations, salaires et honoraires versés par une entreprise produisant ou commercialisant des produits de santé à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l'homme qui sont la contrepartie d'un travail ou d'une prestation, le ministre des affaires sociales et de la santé a méconnu les dispositions de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique ; que, par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé à en demander l'annulation dans cette mesure, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de sa requête dirigé contre les mêmes dispositions ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que l'article L. 4113-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2011, interdit aux membres des professions médicales, aux étudiants se destinant à des professions de santé et aux associations les représentant de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; qu'il prévoit toutefois, sous certaines conditions, des exceptions pour, d'une part, les avantages prévus par conventions, passées entre ces personnes et des entreprises, qui ont pour objet explicite et but réel des activités de recherche ou d'évaluation scientifique et, d'autre part, l'hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations de promotion ou de manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique lorsqu'elle est d'un niveau raisonnable et limitée à l'objectif professionnel et scientifique principal de la manifestation ; que le II de l'article R. 1453-2 du code de la santé publique, qui se borne à poser un principe de publicité des avantages en nature ou en espèces, n'a ni pour objet ni pour effet de déroger aux interdictions prévues par l'article L. 4113-6 du même code ; que, par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait méconnu ces dispositions ;

12. Considérant, en dernier lieu, que les obligations de publicité prévues à l'article L. 1453-1 du code de la santé publique s'adressent aux seules entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l'homme et non aux professionnels de santé, établissements, organismes et organes avec lesquels elles concluent des conventions ou auxquels elles procurent des avantages ; que, par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que le pouvoir réglementaire, en n'imposant pas aux groupements qui ont reversé à leurs membres tout ou partie d'un avantage accordé par une entreprise entrant dans le champ de l'article L. 1453-1 d'informer celle-ci de ce reversement, aurait méconnu les dispositions de cet article ;

Sur les modalités d'association des ordres des professions de santé :

13. Considérant que le III de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique prévoit que le décret en Conseil d'Etat auquel est renvoyé les conditions d'application de cet article précise les modalités suivant lesquelles les ordres des professions de santé sont associés à la publication des informations qui doivent être rendues publiques ; que ces dispositions ne font pas obligation au pouvoir réglementaire de prévoir une association permanente des ordres des professions de santé à la publication des informations en cause ; qu'il était ainsi loisible au pouvoir réglementaire de prévoir une publication sur un site internet public unique, sous la seule autorité du responsable de ce site, tout en disposant que, à titre transitoire, les informations seraient rendues publiques sur le site internet du conseil national de l'ordre de la profession de santé concernée ; que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les dispositions du III de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique auraient été méconnues ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association FORMINDEP est fondée à demander l'annulation du décret attaqué en tant seulement que, par des dispositions qui sont divisibles de ses autres dispositions, il limite l'obligation de publication des conventions conclues avec les personnes et organismes mentionnés à l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, pour les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés aux 14°, 15° et 17° du II de l'article L. 5311-1, aux conventions relatives à la conduite de travaux d'évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits ; que le Conseil national de l'ordre des médecins est seulement fondé à demander l'annulation des deux derniers alinéas du a) du 2 du C de la 1ère partie de la circulaire du ministre des affaires sociales et de la santé du 29 mai 2013 qu'il attaque, qui sont divisibles du reste de la circulaire ;
 

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des médecins et une somme de 1 000 euros à verser à l'association FORMINDEP au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : Le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme est annulé en tant qu'il insère dans le code de la santé publique, au premier alinéa du I de l'article R. 1453-8, les mots " relatives à la conduite de travaux d'évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits ".

Article 2 : Les deux derniers alinéas du a) du 2 du C de la 1ère partie de la circulaire du ministre des affaires sociales et de la santé du 29 mai 2013 relative à l'application de l'article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 2 000 euros et à l'association FORMINDEP une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La requête n° 369074 du Conseil national de l'ordre des médecins, le surplus des conclusions de sa requête n° 370571 et le surplus des conclusions de la requête de l'association FORMINDEP sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins, à l'Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

 

 

 

 

Conseil d'État

N° 370432
ECLI:FR:CESSR:2015:370432.20150224
Inédit au recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
Mme Julia Beurton, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public

Lecture du mardi 24 février 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet 2013 et 8 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire prévue à l'article L. 1452-2 du code de la santé publique ; 

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur, 

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé : " L'expertise sanitaire répond aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire " ; qu'en vertu de l'article L. 1452-2 inséré dans ce code par la même loi : " Une charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d'intérêts, les cas de conflit d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts " ; qu'en application de ces dispositions, la charte de l'expertise sanitaire a été approuvée par un décret du 21 mai 2013, dont l'association FORMINDEP demande l'annulation pour excès de pouvoir ; 

2. Considérant, en premier lieu, que la charte de l'expertise sanitaire, qui a valeur réglementaire, mentionne la définition de l'expertise donnée par une norme AFNOR " qualité en expertise - prescriptions générales de compétence pour une expertise " et précise que " les activités d'expertise sanitaire soumises à la présente charte sont celles qui ont pour objet d'éclairer le décideur et d'étayer sa prise de décision en santé et en sécurité sanitaire en fournissant une interprétation, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondés que possible, élaborés à partir de l'analyse critique des meilleures connaissances disponibles et de démonstrations argumentées sur des critères explicites, accompagnées d'un jugement professionnel fondé sur l'expérience des experts " ;

3. Considérant que les dispositions des articles L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique citées au point 1, qui déterminent les principes qui doivent guider une expertise sanitaire et prévoient l'approbation d'une charte de l'expertise sanitaire par décret en Conseil d'Etat, ne donnent pas de définition de l'expertise ; que la charte de l'expertise sanitaire à laquelle le législateur a confié le soin de préciser divers points applicables aux expertises dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire pouvait, sans empiéter sur la compétence réservée au législateur par l'article 34 de la Constitution, préciser la définition de l'expertise au sens des dispositions qu'elle prévoyait ; que la circonstance qu'elle mentionne les termes d'une norme AFNOR qui n'a pas fait l'objet d'une approbation ministérielle et qu'elle s'en inspire en les adaptant à l'expertise sanitaire est sans incidence sur la compétence du pouvoir réglementaire pour adopter la définition litigieuse ; que, par suite, les moyens tirés de l'incompétence du décret attaqué et de la méconnaissance des articles L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique en ce que la charte comporte une définition de l'expertise doivent être écartés ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la définition de l'expertise adoptée par la charte litigieuse, qui prévoit notamment que l'interprétation, l'avis ou la recommandation fournis doivent être " aussi objectivement fondés que possible " n'a ni pour objet ni pour effet de méconnaître le principe d'impartialité qui doit guider toute expertise sanitaire en vertu des dispositions de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique ; que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que cette mention constituerait une remise en cause du principe d'impartialité et méconnaîtrait, à ce titre, les dispositions de l'article L. 1452-1 ; 

5. Considérant, en troisième lieu, que la charte litigieuse définit, au A de son III, la notion de lien d'intérêts comme recouvrant " les intérêts ou les activités, passés ou présents, d'ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l'expert en relation avec l'objet de l'expertise qui lui est confiée " ; que, d'une part, en faisant ainsi référence à l'objet de l'expertise, la charte a visé l'ensemble des intérêts ou activités ayant un lien avec la ou les questions posées aux experts, y compris en raison de l'intérêt direct ou indirect que des acteurs des domaines de la santé et de la sécurité sanitaire, notamment des entreprises, peuvent avoir aux réponses susceptibles d'être apportées par l'expertise ; que l'association requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la définition retenue méconnaîtrait le principe d'impartialité qui doit guider toute expertise sanitaire ; que, d'autre part, la définition contestée est sans incidence sur l'obligation, qui s'impose à toute personne réalisant une expertise pour le ministre chargé de la santé ou les différentes instances et organismes auxquels le législateur a donné des compétences dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire, d'établir, en vertu des dispositions combinées des articles L. 1451-1 et L. 1452-3 du code de la santé publique, une déclaration mentionnant les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, qu'elle a ou a eus pendant les cinq années précédant son expertise avec, notamment, des entreprises ou organismes dont les activités entrent dans le champ de compétence de l'autorité sanitaire pour laquelle elle réalise cette expertise ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la définition de la notion de lien d'intérêts adoptée par la charte litigieuse méconnaîtrait les articles L. 1451-1, L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique doit être écarté ; 

6. Considérant, en quatrième lieu, que la charte litigieuse précise, au A de son III, qu'" un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle les liens d'intérêts d'un expert sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l'exercice de sa mission d'expertise au regard du dossier à traiter " ; que cette définition n'est, contrairement à ce qu'affirme l'association requérante, pas de nature à remettre en cause l'appréciation objective qui doit être portée, au vu des liens déclarés par l'expert et eu égard aux questions auxquelles l'expertise doit répondre, sur l'existence éventuelle d'un conflit d'intérêts ; que l'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'impartialité applicable à toute expertise sanitaire et l'article L. 1451-1 du code de la santé publique ;

7. Considérant, en cinquième lieu, que la charte litigieuse précise, en son IV, les cas exceptionnels dans lesquels, ainsi que le prévoit l'article L. 1452-2 du code de la santé publique, cité au point 1, il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts ; qu'elle prévoit que cette possibilité est limitée à la double condition que, d'une part, l'expertise en cause présente un intérêt scientifique ou technique indispensable et, d'autre part, l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise n'ait pu trouver aucun expert de compétence équivalente dans le domaine concerné qui ne soit pas en situation de conflit d'intérêts ; qu'elle dispose également que ces experts ne peuvent en aucun cas participer à la rédaction des conclusions ou des recommandations de l'expertise mais peuvent, en revanche, à titre d'exemple, être auditionnés par l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise ou apporter une contribution écrite ; qu'elle prévoit enfin que l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise arrête les modalités particulières selon lesquelles l'expert peut apporter son concours, celles-ci devant être, d'une part, portées à la connaissance du commanditaire et, d'autre part, décrites, avec les motifs du recours à cet expert, en annexe de l'avis, de la recommandation ou du rapport produit par l'expertise ;

8. Considérant, d'une part, que les règles ainsi définies n'excèdent pas l'habilitation conférée à la charte litigieuse par l'article L. 1452-2 du code de la santé publique pour déterminer " les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts " ; que, d'autre part, la charte, qui définit les critères en vertu desquels il est possible de recourir à un expert présentant un conflit d'intérêts ainsi que le cadre général des modalités de son intervention, a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 1452-2, renvoyer aux organismes chargés de l'expertise le soin de préciser, au cas par cas, les conditions concrètes de l'association de cet expert ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la charte, en adoptant une définition trop large des cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts et en renvoyant aux organismes la détermination des modalités de prise en compte de ces expertises, méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1452-2 du code de la santé publique ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association FORMINDEP doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association FORMINDEP est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.