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Conseil d’Etat, 26 juin 2009, n°307369 (Praticiens hospitaliers à temps partiel – Praticiens hospitaliers à temps plein – Principe d’égalité – Différence de traitement)

Des praticiens hospitaliers à temps partiel ont demandé la condamnation de l'Etat au motif que le ministre de la santé, en édictant des arrêtés relatifs aux émoluments des praticiens à temps partiel qui fixent pour ceux-ci des rémunérations proportionnellement inférieures à celles afférentes aux mêmes échelons pour les praticiens à temps plein, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Ils ont sollicité la réparation financière du préjudice qui en serait résulté. La cour administrative d’appel les ayant déboutés de leur demande, ils ont formé un pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat a rejeté leur demande en considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire traite de manière différente des agents appartenant à un même corps si cette différence de traitement est justifiée par les conditions d'exercice des fonctions, par les nécessités ou l'intérêt général du service et si elle n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs susceptibles de la justifier.

Conseil d'État

N° 307369
Publié au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
M. Olivier Rousselle, rapporteur
SCP RICHARD, avocat

lecture du vendredi 26 juin 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1°), sous le n° 307369, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet 2007 et 8 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Xavier A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 06LY01128 du 11 mai 2007 par laquelle le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a, à la demande du ministre de la santé et des solidarités, annulé l'article 1er du jugement du 3 février 2006 du tribunal administratif de Grenoble condamnant l'Etat à verser à M. A la somme de 9 878 euros majorée des intérêts au taux légal, en réparation d'un préjudice financier résultant d'une discrimination salariale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre de la santé et des solidarités ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2°), sous le n° 307370, le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet 2007 et 11 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Charles B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 06LY01133 du 11 mai 2007 par laquelle le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a, à la demande du ministre de la santé et des solidarités, annulé l'article 1er du jugement du 3 février 2006 du tribunal administratif de Grenoble condamnant l'Etat à verser à M. B la somme de 10 948 euros majorée des intérêts au taux légal, en réparation d'un préjudice financier résultant d'une discrimination salariale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre de la santé et des solidarités ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu ;

Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 ;

Vu le décret n° 85-384 du 29 mars 1985 ;

Vu le décret n° 2002-1422 du 6 décembre 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Richard, avocat de M. A, et de Me Bouthors, avocat de M. B,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Richard, avocat de M. A et à Me Bouthors, avocat de M. B ;

Considérant que les pourvois n° 307369 et 307370 présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision ;

Considérant que M. A et M. B, praticiens hospitaliers à temps partiel, ont demandé la condamnation de l'Etat au motif que le ministre de la santé en édictant des arrêtés relatifs aux émoluments des praticiens à temps partiel qui fixent pour ceux-ci des rémunérations proportionnellement inférieures à celles afférentes aux mêmes échelons pour les praticiens à temps plein, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'ils ont sollicité la réparation financière du préjudice qui en serait résulté ; qu'ils se pourvoient en cassation contre les ordonnances par lesquelles, sur recours du ministre de la santé, la cour administrative d'appel de Lyon a jugé qu'en édictant pour les praticiens à temps partiel un régime de rémunération distinct de celui applicable aux praticiens exerçant à temps plein, l'Etat n'avait pas commis de faute et a annulé les jugements ayant condamné celui-ci à indemniser les intéressés ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 28 juillet 2005 applicable à la date des ordonnances litigieuses : Les présidents de tribunal administratif (...) et les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance :/ (...) 6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée (...) ; que ces dispositions permettent au juge de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série, dès lors que ces contestations ne présentent à juger que des questions de droit qu'il a déjà tranchées par une décision passée en force de chose jugée et qu'il se borne à constater matériellement des faits, susceptibles de varier d'une affaire à l'autre, sans avoir toutefois à les apprécier ou à les qualifier ;

Considérant que compte tenu du nombre d'affaires posant des questions identiques, le président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Lyon pouvait légalement recourir à la procédure prévue à l'article R. 222-1 précité ; que l'arrêt de la cour administrative d'appel sur lequel il s'est fondé avait l'autorité d'une décision passée en force de chose jugée, nonobstant la circonstance qu'il faisait l'objet d'un pourvoi en cassation ; que par suite, le moyen tiré de ce que le président de la troisième chambre ne pouvait faire usage des pouvoirs qu'il tire de l'article R. 222-1 du code de justice administrative doit être écarté ;

Considérant que, pour annuler les jugements qui lui étaient déférés, la cour a jugé que le moyen tiré d'une rupture d'égalité entre agents relevant d'un même statut ne pouvait être utilement invoqué dès lors qu'en vertu des dispositions législatives applicables les praticiens hospitaliers à temps partiel ne se trouvaient pas placés dans une situation statutaire identique à celle des praticiens exerçant à temps plein ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, applicable à une première partie de la période en litige : Le personnel des établissements publics de santé comprend (...) 1° Des médecins, des biologistes, des odontologistes et des pharmaciens dont les statuts et le régime de protection sociale, qui sont différents selon que ces praticiens consacrent tout ou partie de leur activité à ces établissements, sont établis par voie réglementaire ; que selon le même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 janvier 2002 : Le personnel des établissements publics de santé comprend (...) : 1° Des médecins, des odontologistes et des pharmaciens dont le statut, qui peut prévoir des dispositions spécifiques selon que ces praticiens consacrent tout ou partie de leur activité à ces établissements, est établi par voie réglementaire ; que l'article L. 6152-6 renvoie à des décrets en Conseil d'Etat l'application de cet article ;

Considérant qu'ont été pris sur ce fondement, d'une part, le décret du 24 février 1984, désormais codifié aux articles R. 6152-1 et suivants du code de la santé publique, s'agissant des praticiens hospitaliers à temps plein et, d'autre part, le décret du 29 mars 1985, modifié par un décret du 6 décembre 2002 et désormais codifié aux articles R. 6152-201 et suivants du même code, s'agissant des praticiens hospitaliers à temps partiel ; que l'article R. 6152-220 dispose que : Les praticiens perçoivent après service fait : 1° Des émoluments mensuels variant selon l'échelon des intéressés et la durée des obligations hebdomadaires de service hospitalier. Ces émoluments sont fixés par arrêté des ministres chargés du budget, de la santé et de la sécurité sociale. Ils suivent l'évolution des traitements de la fonction publique, constatée par le ministre chargé de la santé ; 2° Des indemnités et allocations dont la liste est fixée par décret ; que les arrêtés relatifs aux émoluments des praticiens exerçant leur activité à temps partiel dans les établissements publics de santé ont continûment fixé ces derniers à un niveau proportionnellement inférieur à ceux prévus pour les praticiens hospitaliers à temps plein ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que si le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2002 ayant modifié l'article L. 6152-1, illégalement rompu l'égalité entre les praticiens à temps plein et à temps partiel était, ainsi que l'a jugé la cour, inopérant dès lors que ces praticiens relevaient de deux statuts différents et se trouvaient, compte tenu des différences qu'ils comportaient, dans des situations différentes, la cour ne pouvait, sans erreur de droit, écarter le moyen pour ce motif pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de cette loi qui a posé le principe d'un statut unique commun aux praticiens à temps partiel et aux praticiens à temps plein, tout en laissant au pouvoir réglementaire la faculté d'édicter des dispositions spécifiques selon que ces praticiens consacrent tout ou partie de leurs activités à l'hôpital ; que les ordonnances attaquées doivent, par suite être annulées en tant qu'elles se prononcent sur la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2002 dans cette mesure ;

Considérant qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler les affaires au fond en statuant par une même décision sur les conclusions d'appel principal du ministre chargé de la santé dans les affaires n° 06LY01128 et n° 06LY01133 ;

Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire traite de manière différente des agents appartenant à un même corps si cette différence de traitement est justifiée par les conditions d'exercice des fonctions, par les nécessités ou l'intérêt général du service et si elle n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs susceptibles de la justifier ;

Considérant qu'un praticien des hôpitaux à temps plein exerce la totalité de son activité professionnelle dans l'établissement public, à raison de dix demi-journées par semaine et peut, selon l'article L. 6154-1 du code de la santé publique, être autorisé à exercer une activité libérale à l'hôpital dans la limite de deux demi-journées à des tarifs conventionnés, tandis qu'en vertu des articles R. 6152-222 et suivants du code de la santé publique, les praticiens des hôpitaux à temps partiel sont tenus à un exercice normal à l'hôpital de six demi-journées par semaine mais qui peut être réduit jusqu'à deux demi-journées par semaine et peuvent exercer une activité privée rémunérée en dehors de leurs obligations statutaires, sous réserve de ne pas user de leur fonction hospitalière pour accroître leur clientèle privée ; que, du fait de ces différences d'accès au secteur de la médecine libérale, de la part prise par les praticiens hospitaliers à temps plein dans l'organisation et le fonctionnement du service et de l'intérêt général qui s'attache à la valorisation d'une activité à temps plein au sein des établissements publics de santé et bien que praticiens hospitaliers à temps plein et à temps partiel relèvent désormais, comme il été dit, d'un même statut, le pouvoir réglementaire a pu sans méconnaître le principe d'égalité entre agents d'un même corps, prévoir que la rémunération des praticiens à temps plein serait proportionnellement plus élevée que celle des praticiens à temps partiel ; que les différences relatives de rémunération, comprises entre 7% et 10%, ne sont pas manifestement disproportionnées et sont en rapport avec les objectifs qui les fondent ; que par suite aucune faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat n'a été commise dans l'exercice du pouvoir réglementaire ;

Considérant qu'il s'ensuit, en l'absence d'autres moyens soulevés par M. A et M. B susceptibles d'être examinés dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, que le ministre de la santé et des solidarités est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er des jugements attaqués, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser M. A et M. B ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat les sommes que demandent M. A et M. B au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : Les ordonnances n° 06LY01128 et n° 06LY01133 sont annulées en tant qu'elles ont fait droit aux conclusions des appels principaux du ministre de la santé et des solidarités pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2002.

Article 2 : Les articles 1er des jugements n° 0405050 et n° 0405042 du tribunal administratif de Grenoble du 3 février 2006 sont annulés.

Article 3 : Les conclusions des demandes n° 0405050 et n° 0405042 présentées par M. A et M. B devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à la condamnation de l'Etat sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions des pourvois de M. A et M. B devant le Conseil d'Etat est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Xavier A, à M. Charles B et à la ministre de la santé et des sports.