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Conseil d’Etat, 26 septembre 2008, n° 281693 (Indemnisation des ayants droit – décès d’un praticien hospitalier à la suite d’une maladie professionnelle)

 

Le Conseil d’Etat a considéré que les dispositions de l’article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale (CSS) font obstacle à ce que l’épouse et les enfants d’un praticien hospitalier, décédé à la suite d’une maladie professionnelle contractée alors qu’il exerçait ses fonctions au sein d’hôpitaux de l’AP-HP, recherchent dans les conditions de droit commun la responsabilité de cet établissement public de santé. Cet article dispose en effet, sous réserve de certaines dispositions, qu’« aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ».
La Haute juridiction a relevé que le fibrosarcome dont était atteint ce professionnel de santé devait bien être regardé comme une maladie professionnelle et a rappelé que les ayants droit au sens de l’article L. 451-1 du CSS sont, dans le cas où la maladie professionnelle est suivie d’un décès, les personnes énumérées par les articles L. 434-7 à L. 434-14 du CSS au nombre desquelles figurent le conjoint et les enfants de la victime décédée.

Conseil d'État

N° 281693   

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

5ème et 4ème sous-sections réunies

M. Vigouroux, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
SCP RICHARD ; FOUSSARD, avocat


Lecture du vendredi 26 septembre 2008

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés le 20 juin 2005 et le 19 octobre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Sophie A, Mlle Charlotte A et Mlle Géraldine A, demeurant toutes trois ... ; elles demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 29 mars 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 juillet 1997 ordonnant une expertise sur leur demande de condamnation de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser des indemnités en réparation des préjudices résultant pour elles du décès de M. A, leur époux et père, survenu le 27 février 1990, d'autre part, annulé le jugement du même tribunal administratif du 8 avril 1999 en tant qu'il a statué sur leurs demandes d'indemnité et, enfin, rejeté leur demande présentée en première instance ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 1999 et de condamner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à verser des indemnités de 1 002 580,22 euros à Mme Sophie A, de 192 236 euros à Mlle Géraldine A et de 239 652,15 euros à Mlle Charlotte A, assorties des intérêts à compter du 16 octobre 1991 et des intérêts des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Richard, avocat de Mme Sophie A et autres et de Me Foussard, avocat de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que Mme Sophie A et Mlles Charlotte et Géraldine A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 29 mars 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé deux jugements du tribunal administratif de Paris des 2 juillet 1997 et 8 avril 1999 statuant sur leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris à leur verser des indemnités en réparation des préjudices résultant pour elles du décès de M. A, leur époux et père, survenu le 27 février 1990, a rejeté cette demande ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Paris, en jugeant que M. A, en tant que praticien hospitalier, était soumis, pour la couverture du risque maladies professionnelles, aux dispositions du Livre IV du code de la sécurité sociale et qu'il en résultait que les consorts A, en leur qualité d'ayants droit de M. A, ne pouvaient rechercher, devant la juridiction administrative, conformément au droit commun, la responsabilité de l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris, employeur de leur époux et père, n'a pas répondu au moyen par lequel les consorts A soutenaient que, en l'espèce, les dispositions de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale n'avaient pas lieu de s'appliquer dès lors qu'il résultait de décisions du juge judiciaire que la pathologie dont était décédé M. A n'avait pas été prise en charge au titre de la législation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles ; qu'il y a lieu par suite d'annuler son arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 6 janvier 1999 ainsi que de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (région d'Orléans) du 18 décembre 2002, que le fibrosarcome dont était atteint M. A devait être regardé comme maladie professionnelle ;

Considérant toutefois qu'aux termes de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, « Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée, conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit » ; que les ayants droit au sens de ces dispositions sont, dans le cas où la maladie professionnelle est suivie d'un décès, les personnes énumérées par les articles L. 434-7 à L. 434-14 du code de la sécurité sociale, au nombre desquelles figurent le conjoint et les enfants de la victime décédée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale font obstacle à ce que Mme Sophie A et Mlles Charlotte et Géraldine A, qui imputent le décès de leur époux et père, survenu le 27 février 1990, à une maladie professionnelle contractée alors qu'il exerçait les fonctions de praticien hospitalier au sein d'hôpitaux de l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris, recherchent, dans les conditions du droit commun, la responsabilité de cet établissement public au titre de l'obligation qui lui incombe de garantir ses agents contre les dommages corporels qu'ils peuvent subir dans l'accomplissement de leur service ;

Considérant que les décisions du juge judiciaire invoquées par les requérantes, qui ne leur ont pas d'ailleurs dénié la qualité d'ayants droit et qui ont regardé leurs demandes comme mal dirigées sans statuer au fond, ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée à l'égard de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, laquelle n'était pas partie aux instances dans lesquelles elles ont été rendues ; qu'elles sont dès lors sans incidence sur le présent litige ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts A ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par son jugement du 8 avril 1999, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à leur verser des indemnités ; qu'il y a lieu, toutefois, dans les circonstances de l'espèce, d'annuler ce jugement en tant que, par son article 3, il a mis les frais d'expertise à la charge des consorts A et de mettre ces frais à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant que, le jugement du 8 avril 1999 étant devenu définitif en tant que qu'il rejette la demande d'indemnités, l'appel incident de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 2 juillet 1997 ordonnant une expertise est devenu sans objet ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demandent les consorts A ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge des consorts A la somme que demande l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris ;

D E C I D E :


Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 29 mars 2005 et l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 1999 sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de l'appel présenté par Mme Sophie A, Mlles Charlotte A et Géraldine A ainsi que le surplus des conclusions de leur pourvoi sont rejetés.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'appel incident de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Article 4 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Article 5 : Les conclusions de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Sophie A, à Mlle Charlotte A, à Mlle Géraldine A, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.