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Conseil d’Etat, 27 mars 2009, n° 291406 (Praticien contractuel – Fin de contrat – Congés payés et précarité)

Le Conseil d’Etat a estimé qu’un praticien contractuel a droit, en fin de contrat, aux indemnités de congés payés et de précarité, malgré le fait qu’il percevait une rémunération supérieure au maximum réglementaire.

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 291406   


Inédit au recueil Lebon


M. Daël, président
M. Marc Lambron, rapporteur
SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ, avocats


Lecture du vendredi 27 mars 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mars et 5 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mostafa A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 janvier 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a réformé le jugement du 3 avril 2001 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en ramenant à 1 200 euros la somme que le centre hospitalier de Vouziers a été condamné à lui verser ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Vouziers la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 modifié ;

Vu le décret n° 93-701 du 27 mars 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Lambron, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier de Vouziers a fait appel, à plusieurs reprises depuis 1982, aux services de M. A, médecin chirurgien, recruté en application de l'article 2 du décret du 27 mars 1993, pour exercer des missions ponctuelles et compléter l'effectif de chirurgie de son établissement ; que chaque contrat de recrutement conclu avec ce médecin, sur le fondement de l'article L. 714-27 du code de la santé publique et du décret du 27 mars 1993, stipulait que M. A percevrait une rémunération, majorée d'une indemnité de déplacement, tenant compte, d'une part, des gardes qu'il assure, d'autre part, des nuits qu'il effectue dans cet hôpital ; que, par lettre du 9 avril 1999, le centre hospitalier de Vouziers a informé M. A, qu'à la suite du recrutement d'un praticien hospitalier qualifié en chirurgie, il renonçait à ses services à compter du 15 avril 1999 ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt, rendu sur appel du centre hospitalier de Vouziers, par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne condamnant cet établissement à lui verser les sommes de 10 482,88 euros (68.763,18 F) et 6.918,70 euros (45.383,70 F) au titre des indemnités de congés payés et de l'indemnité de précarité, dont il avait demandé le versement à la suite de la rupture de son contrat et, d'autre part, ramené à 1 200 euros la somme réparant son préjudice économique et son préjudice moral ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice économique et le préjudice moral :

Considérant que M. A n'invoque aucun moyen à l'encontre de cette partie de l'arrêt ; que ses conclusions tendant à sa cassation ne sont ainsi pas recevables et doivent par suite être rejetées ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur les indemnités de précarité et de congés payés :

Considérant, d'une part, qu'aux termes des dispositions de l'article 8 alors en vigueur du décret du 27 mars 1993, relatif aux praticiens contractuels des établissements publics de santé : « I - La rémunération des praticiens contractuels est fixée selon les règles suivantes ; 1° Les praticiens contractuels recrutés en application des 1°, 2°, 4° et 5° de l'article 2 ci-dessus sont rémunérés sur la base des émoluments applicables aux praticiens à temps plein ou aux praticiens à temps partiel recrutés en début de carrière, proportionnellement à la durée de travail définie au contrat en ce qui concerne les praticiens à temps partiel. Ces émoluments peuvent être majorés dans la limite des émoluments applicables aux praticiens parvenus au 4ème échelon de la carrière majorés de 10 p. 100 ; (...). II - La participation des praticiens contractuels au service de gardes et astreintes est indemnisée, selon les modalités définies par l'arrêté prévu au 2° de l'article 28 du décret n° 84-131 du 24 février 1984 susvisé. » ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 9 alors en vigueur de ce même décret : « Les dispositions du code du travail et celles du code de la sécurité sociale sont applicables aux praticiens contractuels en tant qu'elles sont relatives aux congés annuels ou de maladie, de maternité ou d'adoption, à l'indemnité prévue à l'article L. 122-3-4 du code du travail et aux allocations d'assurance prévues à l'article L. 351-12 du code du travail. » ;

Considérant que, selon les dispositions de l'article L. 122-3-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, lorsqu'à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée les relations de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à une indemnité de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, dont le montant ne peut être inférieur au dixième de la rémunération totale brute, qui lui est versée à la fin du contrat ; que, selon celles de l'article L. 122-3-4 du même code, le salarié placé dans la même situation de rupture de son contrat a droit à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation, calculée en fonction et de sa rémunération et de celle de la durée du contrat, également versée à l'issue du contrat en même temps que le dernier salaire ; qu'il résulte de ces dispositions, rendues applicables aux praticiens contractuels des établissements de santé par l'article 9 du décret du 27 mars 1993, que les indemnités de congés payés et de précarité sont calculées à partir de la rémunération versée au salarié et s'ajoutent à celle-ci pour être versées en fin de contrat ; que, par suite, en jugeant que le plafond de la rémunération des praticiens contractuels fixé à l'article 8 du décret du 27 mars 1993 devait s'entendre comme incluant les indemnités de congés payés et de précarité et, en déduisant de la circonstance que M. A avait perçu une rémunération supérieure à ce plafond son absence de droit au bénéfice d'une indemnité de congés payés et d'une indemnité de précarité, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit dans cette mesure être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;

Considérant, d'une part, qu'en informant M. A par lettre du 9 avril 1999 que, contrairement à ce qui avait été prévu, il ne serait pas fait appel à ses services pour la période du 15 au 19 avril 1999 et pour celle du 23 au 26 avril 1999 à la suite du recrutement d'un praticien hospitalier, et que, par conséquent, il ne serait pas recruté par un contrat à durée déterminée, le centre hospitalier de Vouziers a renoncé à recourir aux services de ce médecin contractuel ; qu'il en résulte que M. A est en droit d'obtenir les indemnités prévues aux articles L. 123-3-3 et L. 123-3-4 du code du travail, sans que le centre hospitalier de Vouziers puisse utilement invoquer la circonstance que l'intéressé ne se serait pas porté candidat sur le poste de praticien hospitalier déclaré vacant ;

Considérant, d'autre part, que la circonstance que le centre hospitalier ait consenti à M. A une rémunération supérieure au maximum réglementaire est sans influence sur le droit que l'intéressé tenait des dispositions sus-rappelées de percevoir des indemnités de congés payés et de précarité ;

Considérant, enfin, qu'à défaut d'une convention par laquelle les parties se seraient expressément entendues sur un forfait incluant les indemnités en cause, les contrats successivement conclus par M. A avec le centre hospitalier ne peuvent être regardés comme ayant entendu allouer à ce dernier une rémunération forfaitaire incluant ces indemnités ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Vouziers n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 3 avril 2001 en tant qu'il l'a condamné à payer à M. A la somme de 10 482,88 euros, au titre d'arriérés de congés payés, et la somme de 6 918,70 euros, au titre de l'indemnité de précarité ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que M. A a droit à ce que les sommes de 10 482,88 euros et de 6 918,70 euros portent intérêts à compter du 27 avril 1999, date de réception de sa réclamation préalable au centre hospitalier de Vouziers ; qu'il a demandé la capitalisation des intérêts le 5 juillet 2006 ; qu'il y a lieu de faire droit à sa demande à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier de Vouziers une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt du 12 janvier 2006 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé en tant qu'il annule le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il condamne le centre hospitalier de Vouziers à verser 10 482,88 euros au titre de l'indemnité de congés payés et 6 918,70 euros au titre de l'indemnité de précarité à M. A.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Vouziers devant la cour administrative de Nancy, en tant qu'elles portent sur les indemnités de congés payés et de précarité dues à M. A, sont rejetées.


Article 3 : Les sommes de 10 482,88 euros et de 6 918,70 euros qui ont été allouées à M. A par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne porteront intérêts à compter du 27 avril 1999. Les intérêts échus du 5 juillet 2006 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.


Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 5 : Le centre hospitalier de Vouziers versera au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 3 000 euros à M. A.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Mostafa A, au centre hospitalier de Vouziers et à la ministre de la santé et des sports.