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Conseil d’Etat, 3 avril 2009, n° 308181 (Faute – Perte de chance – Indemnisation)

 

En l’espèce, une patiente, hospitalisée au sein d’une clinique psychiatrique privée, s’est enfuie de cet établissement et a été retrouvée quatre jours plus tard, souffrant d’une fracture du col du fémur. Elle a dès lors été transférée au service de réanimation d’un centre hospitalier mais est décédée en raison d’une embolie pulmonaire massive responsable d’une hypoxie cérébrale. La Cour administrative d’appel a considéré qu'en s'abstenant d'administrer à la patiente un traitement anticoagulant à titre préventif dès son hospitalisation, le centre hospitalier avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Elle l’a par conséquent condamné à réparer l'intégralité du préjudice résultant directement de la survenance de ce risque. A la suite d’un pourvoi en cassation formé par cet établissement public de santé, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel au motif qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, du fait de la faute commise par le centre hospitalier, la patiente avait perdu une chance d'échapper au risque d'embolie qui s'est réalisé et quelle avait été l'ampleur de la chance ainsi perdue afin de limiter à due proportion l'indemnisation due aux requérants, la cour avait entaché l'arrêt attaqué d'erreur de droit.

Conseil d'État
5ème sous-section jugeant seule

N° 308181

Inédit au recueil Lebon

Mme Hubac, président
M. Emmanuel Vernier, rapporteur
LUC-THALER ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; LE PRADO, avocat

Lecture du vendredi 3 avril 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 août et 2 novembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN, dont le siège est 20 avenue de Saint-Sordelin à Vaux-sur-Mer (16640) ; le CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 5 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé le jugement du 20 novembre 2003 du tribunal administratif de Poitiers rejetant la demande des consorts C tendant à ce qu'il soit condamné à leur verser diverses indemnités en réparation du préjudice résultant de l'embolie pulmonaire dont a été victime Mme C le 18 juillet 1998 et, d'autre part, l'a condamné à verser diverses indemnités aux consorts C et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête des consorts C et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Vernier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN, de Me Luc-Thaler, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée et de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat des consorts C,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN, à Me Luc-Thaler, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée et à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat des consorts C ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C, âgée de 72 ans et qui était hospitalisée dans une clinique psychiatrique privée à Saujon (Charente-Maritime), s'est enfuie de cet établissement le 12 juillet 1998 ; qu'elle a été retrouvée le 16 juillet, souffrant d'une fracture du col du fémur droit, et transférée au service de réanimation du CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN ; qu'elle a présenté, le 19 juillet 1998, une embolie pulmonaire massive responsable d'une hypoxie cérébrale ; qu'elle est décédée le 16 avril 2003 dans le service de long séjour du centre hospitalier, sans avoir repris connaissance ; que ses proches ont recherché la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN en réparation des préjudices ayant résulté de l'embolie pulmonaire, qu'ils imputaient à des négligences commises par les médecins ; que, par un jugement du 20 novembre 2003, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande indemnitaire ; que, par un arrêt du 5 juin 2007, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement, retenu l'entière responsabilité de l'établissement public et condamné ce dernier à verser diverses indemnités aux consorts C et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée ; que le CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'après avoir jugé qu'en s'abstenant d'administrer à Mme C un traitement anticoagulant à titre préventif dès son hospitalisation, le CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN avait commis une faute, la cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé, qu'alors même qu'il résultait de l'instruction que ce traitement n'était pas susceptible d'éliminer le risque d'embolie mais seulement de le diminuer, le centre hospitalier devait être condamné à réparer l'intégralité du préjudice résultant directement de la survenance de ce risque ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, du fait de la faute commise par le centre hospitalier, Mme C avait perdu une chance d'échapper au risque d'embolie qui s'est réalisé et quelle avait été l'ampleur de la chance ainsi perdue afin de limiter à due proportion l'indemnisation due aux requérants, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché l'arrêt attaqué d'erreur de droit ; que par suite, le CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN est fondé à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les consorts C au titre des frais exposés par eux devant le Conseil d'Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 5 juin 2007 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Les conclusions des consorts C tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE ROYAN, à M. Maurice C, à Mme Armelle B, à M. Guy B, à M. Julien B et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée.

Copie pour information en sera adressée au président de la cour administrative d'appel de Bordeaux.