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Conseil d'Etat, 30 mars 2005, Observatoire international des prisons - section française (patient détenu - mesures de sécurité adaptées et proportionnées - confidentialité des relations entre les détenus et les médecins qu'ils consultent)

Vu la requête, enregistrée le 29 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE), dont le siège est 31, rue des Lilas à Paris (75019) ; l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 18 novembre 2004 relative à l'organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l'objet d'une consultation médicale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 mars 2005, présentée pour l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son article 3 ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Considérant que l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) demande l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 18 novembre 2004 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a donné aux services de l'administration pénitentiaire des instructions relatives à l'organisation des escortes pénitentiaires des détenus qui font l'objet d'une extraction en vue d'une consultation médicale à l'extérieur d'un établissement pénitentiaire ;

Considérant que le premier alinéa de l'article 803 du code de procédure pénale dispose que : "Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite" ; qu'aux termes de l'article D. 294 de ce code : "Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions ou tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de détenus. Ces derniers sont fouillés minutieusement avant leur départ. Ils peuvent être soumis, sous la responsabilité du chef d'escorte, au port des menottes, ou, s'il y a lieu, des entraves dans les conditions définies à l'article D. 283-4" et de l'article D. 283-4 de ce code : "Dans les conditions définies par l'article 803, et par mesure de précaution contre les évasions, les détenus peuvent être soumis au port des menottes, ou, s'il y a lieu, des entraves pendant leur transfèrement ou leur extraction ou, lorsque les circonstances ne permettent pas d'assurer efficacement leur garde d'une autre manière" ; qu'enfin, l'article D. 397 de ce code dispose : "Lors des hospitalisations et des consultations ou examens (…) les mesures de sécurité adéquates doivent être prises dans le respect de la confidentialité des soins" ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre de mesures de sécurité particulières et le recours le cas échéant à des mesures de coercition sous la forme d'entraves, ne sauraient se limiter au seul transport des détenus, mais peuvent, si nécessaires, être étendus à la consultation et aux soins médicaux eux-mêmes lorsqu'ils ne peuvent être dispensés au sein de l'établissement de détention ; que, toutefois, les mesures de sécurité mises en œuvre par l'administration pénitentiaire lors de l'extraction et du séjour dans un établissement hospitalier d'un détenu doivent, d'une part, être adaptées et proportionnées à la dangerosité du détenu et au risque d'évasion que présente chaque cas particulier et, d'autre part, assurer en toute hypothèse, la confidentialité des relations entre les détenus et les médecins qu'ils consultent ;

Considérant que la circulaire attaquée indique qu'il appartient aux "chefs d'établissement, en considération de la dangerosité du détenu pour autrui ou pour lui même, des risques d'évasion, et de son état de santé, de définir si le détenu doit ou non faire l'objet de moyens de contrainte, et d'en préciser leurs natures, soit des menottes, soit des entraves, soit les deux moyens en même temps lorsque la personnalité du détenu le justifie et que son état de santé le permet./ L'application de ces dispositions commande de prendre en compte toutes les informations contenues dans son dossier individuel et connues sur l'intéressé… Parmi les éléments d'appréciation pouvant justifier le recours aux menottes ou s'il y a lieu aux entraves figurent la longueur de la peine encourue ou subie, le régime de détention, l'importance du reliquat de la peine, l'existence d'incidents disciplinaires récents et leur degré de gravité, la présence d'antécédents révélant une personnalité dangereuse" ; qu'elle prévoit ainsi que les moyens de contrainte et de surveillance, et notamment le recours aux menottes et aux entraves, doivent être définis en fonction des dangers qui résultent de la personnalité et du comportement du détenu concerné, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, expressément reprises dans la circulaire ; que par suite l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE n'est pas fondé à soutenir que ce dispositif serait contraire aux dispositions précitées du code de procédure pénale en ce qu'il n'interdirait pas le menottage et l'entrave systématique pendant la consultation médicale de détenus ne présentant que de faibles risques d'évasion ou de dangerosité ;

Considérant que conformément à l'article L. 1110-4 du code la santé publique, le détenu a, comme tout malade, droit au secret médical et à la confidentialité de son entretien avec son médecin ; que la circulaire litigieuse prévoit, sans ménager d'exceptions à cette règle, que "quel que soit le niveau de surveillance retenu, le chef d'escorte devra veiller à ce que les mesures de sécurité mises en œuvre n'entravent pas la confidentialité de l'entretien médical" ; qu'elle prévoit une possibilité de surveillance indirecte des détenus par le personnel pénitentiaire, sous réserve que ceux-ci fassent l'objet d'une fouille par palpation à la fin de la consultation et précise que "l'exécution de la mission de l'administration pénitentiaire doit dans tous les cas s'exercer dans le respect et la reconnaissance du travail et des missions des personnels sanitaires" ; qu'il résulte de ces dispositions de la circulaire attaquée que la surveillance constante du détenu pendant la consultation médicale, lorsqu'elle est justifiée par sa personnalité et les dangers de fuite ou d'agression contre lui même ou des tiers, doit s'effectuer sans qu'il soit porté atteinte à la confidentialité de l'entretien médical ; qu'il appartient aux fonctionnaires de l'administration pénitentiaire de définir, conformément aux dispositions rappelées ci-dessus du code de procédure pénale et du code de la santé publique, les modalités de surveillance directe ou indirecte et, si nécessaire, de contrainte proportionnée conciliant sécurité et confidentialité de l'entretien avec le médecin ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée serait contraire aux dispositions de l'article D. 397 du code de procédure pénale doit être écarté ;

Considérant que l'association requérante soutient que les mesures de sécurité prévues par la circulaire attaquée, notamment pour les détenus les plus dangereux pour lesquels elle autorise le menottage dans le dos ainsi que l'entrave et la présence de l'escorte à l'occasion de la consultation médicale, porteraient atteinte à la dignité humaine et seraient constitutives d'un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, ce moyen doit être écarté, dès lors que les dispositions en cause n'ont vocation à être mises en œuvre que dans la mesure où apparaîtraient des "risques sérieux d'évasion et de trouble à l'ordre public" et n'instituent ainsi aucun traitement excédant par lui-même le niveau de contrainte strictement nécessaire au déroulement d'une consultation médicale dans des conditions de sécurité satisfaisantes ; que, de la même manière, l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) n'est pas fondé à soutenir que la circulaire serait contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention en ce qu'elle préconiserait un dispositif de sécurité particulier pour les détenus munis de béquilles dès lors qu'il ressort des termes mêmes de la circulaire que celui-ci n'est préconisé qu'en cas de risque d'évasion accru ou de trouble particulier à l'ordre public et notamment "lorsque la personnalité du détenu le justifie" ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANÇAISE) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SECTION FRANCAISE) et au garde des sceaux, ministre de la justice.