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Conseil d’Etat, 8 avril 2009, n° 322193 (Fonctionnaire – Statut – Mise à la retraite – Rémunération – Grade – Affectation)

Cet arrêt porte sur la situation d'un fonctionnaire du ministère du travail qui, à l'issue de sa mise à disposition auprès du secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, n’a reçu pendant six ans aucune proposition d’affectation. Une décision du Directeur de l’administration générale a par la suite estimé qu’ayant atteint l’âge de soixante ans, le requérant pouvait demander son départ à la retraite, et a prononcé la suspension de sa rémunération.  Les ministères en charge du travail et de la santé ont pour leur part rejeté implicitement la demande d'affection présentée par le fonctionnaire. Saisit d'une requête en annulation de ces décisions, le Conseil d’Etat énonce dans cet arrêt que tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir dans un délai raisonnable une affectation correspondant à son grade. Par ailleurs, il précise que si l’administration estimait le requérant inapte à l’exercice de ses fonctions correspondant à son grade, il lui appartenait d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle. Aussi, il annule la décision refusant implicitement de donner une affectation au requérant et la décision de suspension de son traitement, qui sont toutes deux entachées d’illégalité.

Conseil d'État
1ère sous-section jugeant seule
N° 322193
Inédit au recueil Lebon

M. Arrighi de Casanova, président
M. Alexandre Lallet, rapporteur
Mlle Courrèges Anne, commissaire du gouvernement
SCP DELVOLVE, DELVOLVE, avocats

Lecture du mercredi 8 avril 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°), sous le n° 322193, la requête, enregistrée le 5 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Alain A, demeurant aux ... ; le requérant demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité et la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative ont rejeté sa demande d'affectation en date du 25 juillet 2008 ;

2°) d'enjoindre à l'administration de lui donner une affectation correspondant à son grade ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 322194, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 18 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alain A demeurant aux ... ; le requérant demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 juin 2008 par laquelle le directeur de l'administration générale, du personnel et du budget du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité et du ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative a suspendu sa rémunération, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 25 juillet 2008 contre cette décision ;

2°) d'enjoindre aux ministres intéressés de lui verser sa rémunération à compter du 1er septembre 2008 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ainsi que la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 99-945 du 16 novembre 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lallet, Auditeur,

- les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. A,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. A ;

Considérant que M. A, administrateur civil au ministère du travail depuis 1975, n'a reçu aucune affectation depuis que, par un arrêté du 19 juin 2001, il a été mis fin aux fonctions qu'il occupait à compter du 4 avril 2000 au cabinet du secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; que la partie indemnitaire de sa rémunération a été supprimée à compter du 1er septembre 2003 ; que, par une décision du 25 juin 2008, le directeur de l'administration générale, du personnel et du budget, service commun aux ministères chargés du travail et de la santé, lui a fait savoir, d'une part, qu'ayant atteint l'âge de soixante ans, il pouvait demander sa mise à la retraite, d'autre part, que sa rémunération serait suspendue à compter du 1er septembre 2008 ; que, le 25 juillet 2008, M. A a demandé qu'une proposition d'affectation lui soit faite et que la décision suspendant sa rémunération soit retirée ; que le requérant demande, par les deux requêtes visées ci-dessus et qu'il y a lieu de joindre, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 25 juin 2008 ainsi que de la décision implicite née du silence opposé à sa demande d'affectation ;

Sur le refus implicite de donner une affectation à M. A :

Considérant que, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir dans un délai raisonnable une affectation correspondant à son grade ;

Considérant que M. A, qui a servi au cabinet du secrétaire d'Etat à l'économie solidaire sous le régime de la mise à disposition, n'a pas cessé d'être en position d'activité au ministère chargé du travail et de relever pour sa gestion de la direction générale de l'administration, du personnel et du budget de ce ministère ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration lui ait adressé, depuis 2001, des fiches de poste ou lui ait proposé des emplois ; que si l'administration estimait le requérant inapte à l'exercice de fonctions correspondant à son grade, ce qui au demeurant n'est pas soutenu, il lui appartenait d'engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que la décision refusant implicitement de lui donner une affectation alors qu'il avait été maintenu six ans sans emploi, est entachée d'illégalité ; que cette décision doit, dès lors, être annulée ; qu'il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre aux ministres compétents de proposer dans un délai d'un mois à M. A une affectation correspondant à son grade ;

Sur la décision suspendant le versement du traitement de M. A :

Considérant que si, en principe, un fonctionnaire n'a droit à sa rémunération qu'après service fait, cette règle ne peut être opposée à M. A à qui l'absence de service fait n'est pas, pour l'essentiel, imputable ; que, dès lors, la décision du 25 juin 2008 suspendant le versement du traitement du requérant à compter du 1er septembre 2008 est entachée d'illégalité ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A est fondé à en demander l'annulation ; qu'il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et à la ministre de la santé et des sports de verser au requérant, dans un délai de 8 jours, s'ils ne l'ont pas encore été, les traitements dus à compter du 1er septembre 2008 ;

Considérant, enfin, qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite de rejet de la demande de M. A tendant à ce que lui soit proposée une affectation ainsi que la décision du 25 juin 2008 suspendant le versement de son traitement à compter du 1er septembre 2008 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et à la ministre de la santé et des sports de proposer dans un délai d'un mois à M. A une affectation correspondant à son grade et, dans un délai de 8 jours, de lui verser les traitements dus à compter du 1er septembre 2008.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Alain A, au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et à la ministre de la santé et des sports.