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Cour Administrative d'Appel de Bordeaux, 6 mai 2008, n° 06BX01709 (Contamination par le virus de l'hépatite C)

En l’espèce, un patient a fait l’objet d’une transfusion sanguine le 10 août 19979 au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU) à la suite d’un accident de la circulation. Sa contamination par le virus de l’hépatite C n’a été diagnostiquée que le 7 décembre 1995. Par cet arrêt, la cour administrative d’appel a tout d’abord rappelé que les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels et des établissements de santé se prescrivent par 10 ans à compter de la consolidation des dommages. Elle précise également, au regard de l’espèce, que l’absence d’indication permettant de connaître l’origine du plasma transfusé est exclusivement imputable au CHU lequel doit être regardé comme étant le fournisseur du plasma transfusé. Par conséquent, sa responsabilité doit être engagée en l’absence même de faute à raison des conséquences dommageables résultant de la défectuosité de ce produit.

Cour Administrative d'Appel de Bordeaux
2ème chambre (formation à 3)

N° 06BX01709

M. DUDEZERT, président
Mme Mathilde FABIEN, rapporteur
Mme VIARD, commissaire du gouvernement
SCP LE BAIL - LE BAIL - VIDAL, avocat

Lecture du mardi 6 mai 2008

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu I °) la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 4 août 2006 sous le n° 06BX01709, présentée pour M. Patrick X, demeurant ..., par la SCP Le Bail - Vidal ;

Il demande à la Cour :

- d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux du 14 juin 2006 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi par suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

- de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité de 150 000 euros ainsi qu'une somme de 5 000 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

Vu II °) la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 15 septembre 2006 sous le n° 06BX01976, présentée pour la CPAM de la Gironde par la SCP Favreau et Civilisé ;

Elle demande à la Cour :

- d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux en date du 14 juin 2006 en tant qu'il rejette sa demande tendant à la condamnation du CHU de Bordeaux à lui verser notamment une indemnité en remboursement des prestations versées à son assuré ou pour son compte et qui seraient liées à sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

- de condamner le CHU de Bordeaux, en premier lieu, à lui rembourser une somme de 5 425,42 euros au titre de prestations versées pour le compte de M. X, en deuxième lieu, à lui verser une somme de 114 289,77 euros au titre des arrérages échus du 1er septembre 1997 au 31 mars 2006 de la rente d'invalidité servie à M. X ainsi qu'à lui rembourser les arrérages à échoir si mieux n'aime le CHU verser un capital représentatif de 132 819,97 euros, en troisième lieu, à lui rembourser les frais futurs de traitement médical si mieux n'aime le CHU s'en libérer par le paiement d'un capital représentatif de 5 659,83 euros, et en quatrième lieu, à lui verser une somme de 100 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant que les requêtes n° 06BX01709 et n° 06BX01976 présentées respectivement par M. X et la CPAM de la Gironde sont dirigées contre le même jugement en date du 14 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à leur verser une indemnité ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt ;

Sur la recevabilité de la requête de M. X :

Considérant que la requête d'appel présentée par M. X ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance ; que la fin de non recevoir opposée de ce chef par le CHU de Bordeaux n'est en conséquence pas fondée ;

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée en première instance :

Considérant que M. X a saisi le 18 juillet 2003 le CHU de Bordeaux d'une demande indemnitaire tendant à la réparation des conséquences dommageables de sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiquée le 7 décembre 1995 et qu'il estime être imputable à une transfusion de produit sanguin réalisée au CHU de Bordeaux le 10 août 1979 ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que l'état de santé de M. X résultant de sa contamination ne peut être regardé comme consolidé ; qu'il ne peut en conséquence être regardé comme ayant eu connaissance de sa créance dès le 7 décembre 1995 ; que, par suite, le délai de prescription quadriennale prévu à l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 n'a pas commencé à courir à cette date et n'a pu expirer le 5 mars 2002, date d'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, codifiées à l'article L 1142-28 du code de la santé publique, prévoyant que les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels et établissements de santé se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation des dommages ; que l'exception de prescription quadriennale opposée par le CHU de Bordeaux n'est en conséquence pas fondée ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ;

Considérant qu'à la suite d'un accident de la circulation lui ayant occasionné une plaie profonde à la cheville et au pied gauches, M. X a été hospitalisé le 10 août 1979 au CHU de Bordeaux où il a fait l'objet d'une transfusion de produit sanguin ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que si le dossier de l'intéressé mentionne la réalisation d'une transfusion de plasma frais de 350 ml, il ne comporte aucun numéro de lot, ni aucune indication relative à sa nature et à son origine ; que l'établissement français du sang, interrogé par l'expert, a précisé que, compte tenu de la quantité transfusée, il s'agissait probablement de plasma frais lyophilisé émanant de plusieurs donneurs sans apporter de précision sur l'origine possible de ce produit ; que le CHU de Bordeaux se borne à soutenir qu'il ne lui appartient pas de contrôler la qualité des produits délivrés par un centre de transfusion sanguine en s'abstenant d'apporter toute précision permettant de considérer que le plasma transfusé le 10 août 1979 aurait pu lui être fourni par un centre doté d'une personnalité juridique distincte de celle de l'établissement public hospitalier ; que, dans ces conditions, et alors que l'absence d'indication permettant de connaître l'origine du plasma transfusé lui est exclusivement imputable, il doit être regardé comme étant le fournisseur du plasma transfusé, sa responsabilité étant en conséquence susceptible d'être engagée, en l'absence même de faute, à raison des conséquences dommageables résultant d'une éventuelle défectuosité de ce produit ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, qu'une transfusion de plasma frais lyophilisé comportait en 1979 des risques importants de contamination par le virus de l'hépatite C compte tenu de l'absence à cette époque de dépistage de ce virus, qui n'a été identifié qu'ultérieurement, ainsi que du nombre de donneurs ; que la circonstance que la contamination de M. X n'a été révélée que le 7 décembre 1995 ne saurait permettre d'établir son absence d'imputabilité à la transfusion réalisée le 10 août 1979 ; que si l'intéressé, né en 1955, a présenté une jaunisse à l'âge de 14 ans, celle-ci n'a pas donné lieu à un diagnostic d'hépatite virale ; que si M. X, qui n'a pas reçu de transfusion de produit sanguin autre que celle ici en litige, a subi des explorations et des injections dans le cadre du traitement de la paraplégie dont il est atteint depuis octobre 1985, et dont l'origine ne peut être imputée avec certitude au virus de l'hépatite C, il ne résulte pas des conclusions de l'expert que la probabilité d'une contamination à l'occasion de ces traitements ait été significative alors qu'il indique que le taux actuellement reconnu de transmission non transfusionnelle du virus de l'hépatite C est limité à 23 % ; que, dans ces conditions, la contamination dont a été victime M. X doit être regardée comme ayant pour origine la défectuosité du produit sanguin lui ayant été transfusé le 10 août 1979 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité du CHU de Bordeaux se trouve engagée à raison des conséquences dommageables de la contamination par le virus de l'hépatite C dont a été victime M. X ;

Sur le préjudice subi par M. X :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'hépatite C présentée par M. X ne nécessite actuellement aucun traitement médical, son état ne pouvant cependant être regardé comme consolidé ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans ses conditions d'existence et des souffrances morales liées à la connaissance et à l'existence de sa contamination en les évaluant à 3 000 euros ; que s'il appartient à l'intéressé, en cas d'aggravation de son préjudice lié à sa contamination, de saisir, s'il s'y croit fondé, le CHU de Bordeaux d'une nouvelle demande indemnitaire, il ne saurait prétendre à la réparation d'un préjudice futur et incertain ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité et l'a condamné à supporter les frais d'expertise ; que ce jugement doit être annulé et que le CHU de Bordeaux doit être condamné à lui verser une indemnité de 3 000 euros ;

Sur les conclusions indemnitaires de la CPAM de la Gironde :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que la paraplégie dont M. X est atteint ne peut, en l'état des données actuelles de la science, être imputée avec certitude à sa contamination par le virus de l'hépatite C ; que, par suite, la CPAM de la Gironde n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant au remboursement par le CHU de Bordeaux de débours liés exclusivement à cette paraplégie ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant à l'annulation partielle du jugement et à la condamnation du CHU à lui verser une indemnité ;

Sur les frais de l'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros, par ordonnance du président du Tribunal administratif de Bordeaux du 3 novembre 2005, à la charge du CHU de Bordeaux ;

Sur l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le CHU de Bordeaux, qui n'est pas la partie perdante dans le litige l'opposant à la CPAM de la Gironde, soit condamné à verser à cette dernière la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de condamner à ce titre le CHU de Bordeaux à verser à M. X une somme de 1 300 euros ;

DECIDE :

Article 1 : Le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux en date du 14 juin 2006 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. X et le condamne à supporter les frais d'expertise ;

Article 2 : Le CHU de Bordeaux est condamné à verser à M. X une indemnité de 3 000 euros ainsi qu'une somme de 1 300 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les frais de l'expertise d'un montant de 1 000 euros sont mis à la charge du CHU de Bordeaux.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X et la requête de la CPAM de la Gironde sont rejetés.