Revenir aux résultats de recherche

Cour administrative d’appel de Douai, 10 janvier 2008, requête n° 06DA01014 (Prévention des risques liés à l'exposition du foetus à alcoolisation - Responsabilité Etat)

La cour administrative de Douai a rendu deux décisions dans lesquelles elle a du s'interroger sur la question de savoir si l'Etat était responsable de la consommation d'alcool des femmes enceintes ; les requérantes ayant donné naissance à deux enfants handicapés en raison de leur consommation d'alcool pendant leur grossesse.

Leur action en responsabilité de l'Etat tendait à obtenir réparation du préjudice moral qu'elles avaient subi, invoquant la négligence d'une part dans la mise en œuvre de certaines dispositions du code de la consommation et la formation des professionnels de santé, et d'autre part dans l'exercice des pouvoirs de police sanitaire. La Cour Administrative d'appel de Douai écarte la responsabilité de l'Etat « qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’Etat a commis une faute en s’abstenant de mettre en œuvre à l’époque une campagne ciblée de prévention et d’éducation qui lui aurait permis de disposer de l’information pertinente pour adopter face à l’alcool un comportement adéquat »

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE DOUAI.
1ère Chambre

N° 06DA01014
10 janvier 2008

Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour Mme Sandrine M, demeurant ..... par Me Titran, avocat ; Mme M demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0300297, en date du 23 mai 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation du préjudice moral qu'elle estime subir pour devoir assumer la charge, l'entretien et l'éducation d'un enfant poly-handicapé ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution et notamment l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 5 ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 ;

Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Considérant que Mme M a donné naissance, le 28 mars 1998 à Roubaix, à un enfant prénommé Alexandre souffrant de handicaps ; qu'elle demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser de son préjudice moral dès lors que, selon elle, il aurait manqué à ses obligations dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition de l'embryon et du fœtus à l'alcoolisation ; qu'elle estime que ces carences résultent, d'une part, d'un défaut de mise en œuvre de certaines dispositions du code de la consommation, d'autre part, d'une formation insuffisante des professionnels de santé et, enfin, de l'exercice insatisfaisant de la police sanitaire ; qu'elle relève régulièrement appel du jugement, en date du 23 mai 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public lorsqu'il constate au vu des pièces du dossier qu'une des conditions d'engagement de la responsabilité publique n'est pas remplie ; qu'alors même que les parties ne discutaient pas, en première instance, la réalité du syndrome d'alcoolisation fœtale dont était atteint l'enfant de Mme M, le Tribunal administratif de Lille a pu, sans soulever d'office un moyen et sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure, estimer, au vu des pièces qui lui étaient soumises et notamment des certificats médicaux produits, que l'origine des pathologies n'étant pas certaine, l'intéressée n'établissait pas le lien de causalité entre son préjudice et une prétendue carence de l'Etat ; que, par suite, Mme M n'est pas fondée à soutenir que le Tribunal aurait ainsi violé les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aurait, par suite, entaché son jugement d'irrégularité ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que, pour écarter l'existence d'un lien direct de causalité entre la carence fautive imputée à l'Etat et le préjudice subi par Mme M et ainsi rejeter l'action en responsabilité de cette dernière, le Tribunal administratif de Lille a estimé que les documents médicaux produits ne permettaient pas d'établir la réalité du syndrome d'alcoolisation fœtale c'est-à-dire du lien entre les handicaps de l'enfant de Mme M et une consommation d'alcool pendant la grossesse ; que, toutefois, il doit être regardé comme établi, au vu notamment des pièces produites en cause d'appel, que les handicaps de l'enfant trouvent leur cause dans la consommation d'alcool pendant la grossesse ; que, par suite, Mme M est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour rejeter sa demande, le Tribunal administratif de Lille s'est fondé sur l'absence de réalité du syndrome d'alcoolisation fœtale ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par Mme M devant le Tribunal administratif de Lille ;

Considérant, en premier lieu, qu'en se prévalant, de manière générale, d'une carence de l'Etat dans la mise en œuvre des dispositions des articles L. 123-1 et R. 112-9 du code de la consommation vis-à-vis des producteurs et des distributeurs de boissons alcoolisées, Mme M ne met pas la Cour en mesure d'apprécier si et dans quelle mesure la responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative pourrait être recherchée sur un tel fondement, ni, au surplus, de vérifier qu'il existerait un lien de causalité entre le préjudice allégué et la prétendue faute que l'administration aurait pu commettre en matière d'étiquetage des produits alcoolisés et d'information des consommateurs sur les dangers que ces produits peuvent comporter à l'égard des femmes enceintes ; qu'il est, par ailleurs, seulement allégué par l'intéressée que, pour n'avoir pas su résister à des groupes de pression intervenant dans le secteur des boissons alcoolisées, l'Etat aurait commis une faute et porté ainsi atteinte au droit qu'elle invoque à la protection de la loi et à la sûreté résultant selon elle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction et il est seulement allégué que, dans l'exercice notamment de son pouvoir réglementaire pour fixer les programmes des études des professionnels de santé, ou dans l'exercice de la mission qui lui incombe pour s'assurer de la qualité de la formation de ces professionnels, l'Etat aurait commis une faute ; que la circonstance que des études ou enquêtes ont pu mettre en évidence chez les praticiens une certaine méconnaissance du devoir d'information de la femme enceinte sur les dangers d'une exposition de l'embryon et du fœtus à l'alcool et sur les précautions à prendre en la matière tout au long de la grossesse ou une ignorance des caractéristiques du syndrome d'alcoolisation fœtale, n'est pas, par elle-même, de nature à établir la responsabilité de l'Etat dans la mesure où un enseignement initial en ce domaine -en particulier à la faculté de médecine de Lille- est assuré et où les professionnels de santé ont également une obligation d'actualisation de leurs connaissances tout au long de leur activité ; qu'au surplus, le lien direct de causalité entre une faute éventuelle de l'Etat et le préjudice n'est pas établi ;

Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 355-1 du code de la santé publique, applicable à l'époque où Mme M était enceinte (devenu l'article L. 3311-1 du même code), dispose que : « L'Etat organise et coordonne la prévention et le traitement de l'alcoolisme, sans préjudice du dispositif prévu à l'article L. 326 du présent code. / Les dépenses entraînées par l'application du présent article sont à la charge de l'Etat sans préjudice de la participation des régimes d'assurance maladie aux dépenses de soins » ; qu'aux termes de l'article L. 97-1 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme dans sa version issue de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 (codifié désormais sous le premier alinéa de l'article L. 3311-3 du code de la santé publique) : « Les campagnes d'information menées dans le cadre de la lutte anti-alcoolique doivent comporter des messages de prévention et d'éducation. (...) » ;

Considérant que les pathologies qui correspondent au syndrome d'alcoolisation fœtale résultent d'une alcoolisation in utero de l'embryon ou du fœtus ; que la protection des embryons et fœtus pendant la grossesse relève, par suite, de la prévention et du traitement de l'alcoolisme au sens des dispositions figurant à l'époque à l'article L. 355-1 -désormais à l'article L. 3311-1- du code de la santé publique ; que si, comme l'a d'ailleurs indiqué le ministre chargé de la santé, le 11 octobre 1990, dans une réponse à une question parlementaire : « Les effets de la consommation d'alcool sur l'embryon et le fœtus sont actuellement bien connus et se manifestent par des avortements spontanés, de la prématurité ou de la post-maturité, ou par le syndrome d'alcoolisme fœtal ou embryo-fœtopathie alcoolique » en précisant que « la prévention de ces pathologies passe par une diminution ou une suppression de la consommation d'alcool par la femme enceinte », il ne résulte pas de l'instruction, au regard de l'état des données expérimentales, cliniques et épidémiologiques disponibles sur le sujet et notamment avant la publication en 2001 par l'Inserm d'une expertise collective, que l'Etat disposait, à l'époque où Mme M était enceinte, d'une information suffisamment certaine et précise sur le risque qu'un enfant à naître présente à la suite d'une consommation pourtant modérée d'alcool par la femme enceinte, un syndrome d'alcoolisation fœtale ; que, par suite, l'Etat n'a pas méconnu l'obligation légale qui lui incombe en matière de prévention et d'éducation à l'égard notamment des femmes enceintes, en s'étant abstenu de lancer, au cours des années quatre-vingt-dix, des campagnes spécifiques recommandant une abstinence totale de boissons alcoolisées par la femme enceinte ; que, par ailleurs, les nombreuses campagnes à vocation plus générale sur les dangers liés à l'alcool devaient déjà inciter notamment les futures mères à réduire fortement si ce n'est à supprimer toutes boissons alcoolisées de leur consommation ; que Mme M n'est donc pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant de mettre en œuvre à l'époque une campagne ciblée de prévention et d'éducation qui lui aurait permis de disposer de l'information pertinente pour adopter face à l'alcool un comportement adéquat ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'Etat aurait commis de faute dans l'exercice de son pouvoir général de police sanitaire ou dans la mise en œuvre de la protection de la santé de la mère et de l'enfant qui figure au 11 du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme M n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat et à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, les conclusions qu'elle a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme M est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Sandrine M et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 décembre 2007

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président-assesseur ;

- les observations de Me Titran, pour Mme M ;

- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ; M. Olivier Yeznikian, Président.