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Cour administrative d’appel de Nancy, 22 novembre 2010, n°10NC01448 (Référé – Provisions – Expertise – CRCI)

Par cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Nancy indique qu’en référé, le juge peut accorder des provisions suite à une expertise diligentée par une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux qui met en cause la responsabilité d’un service public hospitalier concernant une infection nosocomiale.

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE NANCY.
Le Conseiller d’Etat, Président de la Cour
M. X
N° 10NC01448
22 novembre 2010

Vu la requête, enregistrée le 1er septembre 2010, présentée pour M. X, demeurant (...) par Me Mouhou ;
M. X demande à la Cour :

1°) – d’annuler l’ ordonnance du 16 août 2010 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté, d’une part, sa demande tendant à ordonner une expertise médicale et, d’autre part, sa demande tendant à condamner le Centre hospitalier Manchester à lui verser une provision d’un montant de 12 000 euros au titre de la réparation des préjudices résultant des conséquences dommageables de sa prise en charge et une provision d’un montant de 3 000 euros au titre des frais de procédure ;

2°) – de faire droit à sa demande d’expertise ;

3°) – de condamner le Centre hospitalier Manchester à lui verser une provision de 12 000 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

4°) – de condamner le Centre hospitalier Manchester à lui verser une provision de 3 000 euros à valoir sur les frais inhérents à la procédure ;

5°) – de condamner le Centre hospitalier Manchester aux entiers dépens et à lui verser une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- une expertise ordonnée par une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux ne prive aucun justiciable de demander une expertise judiciaire ;
- la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux n’étant pas une juridiction, le justiciable ne dispose d’aucune garantie au titre des droits de la défense ;
- lors de la procédure d’expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, il n’a été assisté ni par un médecin conseil ni par un avocat ;
- l’expertise n’a pas apprécié correctement le préjudice qu’il a subi ;
- le ministère de la défense l’a déclaré totalement inapte et l’a rayé des cadres des contrôles le 5 avril 2010 ;
- il se trouve depuis cette date dans une situation de totale précarité ;
- l’assureur du Centre hospitalier Manchester lui a fait une proposition d’indemnisation insuffisante ;
- il a la possibilité, sur la base d’une nouvelle expertise de trouver un accord avec l’assureur du centre hospitalier ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2010, présenté pour le Centre hospitalier Manchester de Charleville-Mézières, par Me Le Prado ;

Le Centre hospitalier Manchester demande à la Cour de rejeter la requête de M. X ;

Il soutient que :

- le requérant n’est pas fondé à soutenir que le refus d’une seconde expertise le priverait de droits dont bénéficie tout justiciable devant la juridiction administrative ;
- les opérations d’expertise ordonnées par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux respectent le principe du contradictoire ;
- il revient au juge des référés d’apprécier l’utilité d’une seconde expertise au regard des motifs de droit et de fait invoqués dans la requête dont il est saisi ;
- l’objet de la mission d’expertise sollicitée est similaire à celui confié aux experts désignés par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux ;
- M. X ne fait état d’aucune complication d’ordre médical qui serait survenue depuis le dépôt du rapport d’expertise en 2008 ;
- il n’est pas démontré que le non renouvellement du contrat de M. X est en en relation avec les conséquences dommageables des soins qu’il a reçus au Centre hospitalier Manchester ;
- le requérant n’a pas répondu à l’offre d’indemnisation qui lui a été présentée par l’assurance du centre hospitalier et ne fait état d’aucune difficulté pour la percevoir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique

Vu le code de justice administrative ;

Sur le bien fondé de la demande d’expertise :

Considérant qu’aux termes de l’ article R. 532-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction (…) » ;

Considérant que la prescription d’une mesure d’expertise est subordonnée au caractère utile de cette mesure ; qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande d’expertise dans la perspective d’une action en responsabilité du fait des conséquences dommageables d’un acte médical, d’apprécier son utilité au vu des pièces du dossier, notamment du rapport de l’expertise prescrite par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux s’il existe, et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient selon la demande, la mesure sollicitée ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. X, qui conteste les conclusions d’une expertise prescrite le 4 mars 2008 par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux de Champagne Ardenne aux fins de décrire les conditions de sa prise en charge par le Centre hospitalier Manchester de Charleville-Mézières et d’évaluer les préjudices subis, demande au juge des référés d’ordonner une nouvelle expertise ; que si le requérant fait valoir qu’une telle expertise est nécessaire pour lui permettre d’être assisté par un médecin conseil et un avocat et pour évaluer avec exactitude les préjudices subis, notamment son préjudice professionnel, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu des conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations d’expertise et du contenu du rapport des experts, qui est suffisamment argumenté pour permettre au juge du fond, éventuellement saisi, de se prononcer, la mesure sollicitée par l’intéressé présente un caractère utile ; que dès lors, M. X n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;

Sur le bien fondé de la demande de provision :

Considérant qu’aux termes de l’ article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. (…) » ;

Considérant qu’aux termes du I de l’ article L. 1142-1 du code de la santé publique alors applicable : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’il rapportent la preuve d’une cause étrangère. » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d’expertise ordonné le 4 mars 2008 par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux de Champagne Ardenne, que le varus tibial séquellaire à gauche dont souffre M. X est la conséquence de l’infection dont il a été victime lors de sa prise en charge au Centre hospitalier Manchester et qui n’a pas fait l’objet d’un traitement adapté ; que le centre hospitalier n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’une cause étrangère dans la survenance de cette infection ; que, dans ces conditions, en vertu des dispositions précitées de l’ article L. 1142-1 du code de la santé et compte tenu des préjudices subis par M. X, la responsabilité de cet établissement est susceptible d’être engagée ; qu’après l’avis émis le 6 octobre 2008 par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux au vu du rapport d’expertise, l’assureur du Centre hospitalier Manchester a transmis le 19 août 2009 à M. X une proposition d’indemnisation d’un montant de 13 700 euros en réparation de l’ensemble des préjudices subis ; que si le Centre hospitalier Manchester fait valoir qu’à la date où il a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, M. X n’avait, un an après que cette proposition lui a été faite, ni donné suite à celle-ci ni engagé d’action contentieuse sur le fond et ne faisait état d’aucune difficulté pour percevoir l’indemnisation proposée, il n’en demeure pas moins que l’obligation de cet établissement à réparer les conséquences dommageables résultant de l’infection dont a été victime l’intéressé lors de sa prise en charge n’est pas sérieusement contestable ; que, par suite, M. X est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ; que le montant de 12 000 euros de la provision sollicitée, au titre de la réparation du préjudice, n’est pas, eu égard à la proposition d’indemnisation faite par le centre hospitalier, sérieusement contestable ; qu’en revanche, l’obligation relative aux frais inhérents à la procédure dont se prévaut le requérant ne présente pas, en l’état de l’instruction, de caractère non sérieusement contestable ; que, par suite, les conclusions de M. X tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser une provision à ce titre ne peuvent qu’être rejetées ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. X est seulement fondé à demander l’annulation de l’ ordonnance du 16 août 2010 du juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu’elle a rejeté sa demande de provision ; qu’il y a lieu, en l’état de l’instruction, de condamner le Centre hospitalier Manchester à verser à titre provisionnel une somme de 12 000 euros à M. X à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’ article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le Centre hospitalier Manchester à verser une somme de 1 000 euros à M. X au titre des dispositions de l’
article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ORDONNE :

ARTICLE 1er : L’ ordonnance du 16 août 2010 du juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulée en tant qu’elle a rejeté la demande de provision de M. X.
ARTICLE 2 : Le Centre hospitalier Manchester de Charleville-Mézières est condamné à verser une provision de 12 000 euros (douze mille euros) à M. X.
ARTICLE 3 : Le Centre hospitalier Manchester de Charleville-Mézières est condamné à verser une somme de 1 000 euros (mille euros) à M. X au titre des dispositions de l’
article L. 761-1 du code de justice administrative .
ARTICLE 4 : Le surplus de la requête de M. X est rejeté.
ARTICLE 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. X, au Centre hospitalier Manchester de Charleville-Mézières et à la Caisse primaire d’assurance maladie de Charleville-Mézières.

D. GILTARD, Président.