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Cour administrative d'appel de Paris, 27 mai 2013, n°12PA01842 (Responsabilité hospitalière - Faute - Rupture dans la continuité des soins - Absence)

M.X. est atteint depuis l'adolescence d'une myopathie entraînant une infirmité motrice des membres inférieurs et d'une partie du bras droit. Il est régulièrement suivi pour cette pathologie par l'institut spécialisé du groupe hospitalier Y (AP-HP). En 2009, ressentant d'importantes douleurs, M. X. a tenté de joindre le Dr. Z. qui le suivait régulièrement à l'institut, sans succès. Il n'a pu "obtenir par téléphone un entretien ni un rendez-vous d'urgence, le secrétariat de ce service lui proposant un délai de quatre mois". Quinze jours plus tard, M. X. a tenté de joindre le Dr Z. une fois encore, en vain.

M. X. estime que le silence du Dr. Z. constitue une rupture fautive dans la continuité des soins susceptible d’engager la responsabilité de l'hôpital Y.

La Cour estime que "les patients d'un établissement public de santé ne sont placés dans une situation contractuelle ni avec cet établissement ni a fortiori avec un praticien dudit établissement, sauf à ce que celui-ci exerce pour partie en secteur privé ; qu'ils ne sont donc pas en droit d'exiger qu'un médecin plutôt qu'un autre les prenne en charge ; que par ailleurs, la circonstance que l'institut [spécialisé], qui suit les patients atteints de myopathie au sein de l'hôpital Y., ne dispose pas d'un service d'urgences médicales n'est pas de nature à caractériser un mauvais fonctionnement du service public hospitalier dès lors qu'il n'est ni soutenu ni même allégué que l'intéressé, qui ne s'est pas déplacé, n'aurait pu être pris en charge par les urgences de cet établissement, avant d'être réorienté vers le service adéquat du centre hospitalier qui l'aurait soigné en liaison avec les médecins dudit institut ; que la responsabilité de l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris ne saurait dès lors être engagée sur le fondement d'une rupture fautive dans la continuité des soins hospitaliers".

Cour administrative d'appel de Paris

N° 12PA01842   

Inédit au recueil Lebon

8ème chambre

Mme MILLE, président
Mme Pascale BAILLY, rapporteur
M. LADREYT, rapporteur public
D., avocat

lecture du lundi 27 mai 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
 

Vu la requête, enregistrée le 26 avril 2012, présentée pour M. X., demeurant au..., par Me A.; M. X. demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1006646/6-3 du 16 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à l'indemniser du préjudice résultant du défaut de prise en charge par le service de neurologie de l'hôpital Y. ;

2°) d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise, compte tenu du non-respect du principe du contradictoire par l'expert nommé par le Tribunal administratif de Paris et, dans cette hypothèse, condamner l'AP-HP au paiement d'une provision de 100 000 euros ;

3°) de condamner l'AP-HP au paiement d'une somme de 200 000 euros en réparation du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 avril 2010 ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP les dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2013 :

- le rapport de Mme Bailly, rapporteur,

- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public ;

- et les observations de Me C., pour M. X. et de Me D. pour l'AP-HP ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.X., alors âgé de 49 ans, atteint depuis l'adolescence d'une myopathie entraînant une infirmité motrice des membres inférieurs et d'une partie du bras droit, était régulièrement suivi pour cette pathologie par l'institut de myologie du groupe hospitalier Y.; que mi-janvier 2009, il a ressenti d'importantes douleurs du bas de l'omoplate gauche irradiant dans le bras gauche, qui ont été traitées par antalgiques et morphine prescrits par son médecin traitant en liaison avec son rhumatologue ; que souhaitant joindre le docteur Z. qui le suivait à l'institut de myologie, il n'a pu, ni son médecin traitant, obtenir par téléphone un entretien ni un rendez-vous d'urgence, le secrétariat de ce service lui proposant un délai de quatre mois ; que le 3 février 2009, constatant un déficit moteur de sa main gauche, M. X. a essayé, tout aussi vainement, d'entrer en contact avec le docteur Z. ; que le 4 février suivant, un scanner prescrit par son médecin traitant a révélé une arthrose cervicale qui a donné lieu à une corticothérapie prescrite par son rhumatologue, laquelle a entraîné la disparition des douleurs ; que le 6 février 2009, un neurologue du même institut que celui où exerçait le docteur Z. lui a téléphoné pour lui recommander de poursuivre la corticothérapie mais pendant cinq jours seulement, en diminuant les doses ; qu'estimant le silence observé par le docteur Z. assimilable à une rupture fautive dans la continuité des soins qui lui étaient dus, M. X. relève régulièrement appel du jugement du 16 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de cette faute ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que pour rejeter la demande de M. X. tendant à ce que soit ordonnée une nouvelle expertise, le Tribunal administratif de Paris a, après avoir rejeté les conclusions de l'intéressé aux fins de constatation de l'irrégularité de l'expertise, considéré que les éléments figurant au rapport d'expertise et au dossier médical de celui-ci étaient suffisants pour statuer ;

3. Considérant que M. X. conteste le caractère contradictoire de l'expertise du docteur W., expert désigné par le Tribunal administratif de Paris, au motif que l'expert a reçu, de la part de l'AP-HP, communication de son dossier médical postérieurement à la réunion d'expertise et qu'il n'a pu, de ce fait, y avoir accès ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des mentions portées par l'expert dans son rapport, que le conseil de M. X. a transmis à l'expert en début d'expertise l'ensemble des éléments médicaux relatifs à sa prise en charge au cours de l'année 2009 ; que si l'AP-HP a adressé à l'expert, postérieurement à la réunion d'expertise, une copie du dossier médical de M. X. relatif à la période s'étendant du 1er décembre 2000 au 9 septembre 2005, la transmission de ces éléments, qui étaient seulement de nature à éclairer l'expert sur l'historique de la maladie génétique présentée par M.X., n'a pas été de nature à entacher d'irrégularité l'expertise dès lors que la mission d'expertise portait exclusivement sur les conditions de prise en charge de M. X. en janvier/février 2009 ; que le Tribunal administratif de Paris a pu régulièrement se référer à cette expertise pour se prononcer sur la demande de M. X. ;

Sur les conclusions aux fins de désignation d'un nouvel expert :

5. Considérant que la prescription d'une mesure d'expertise est subordonnée au caractère utile de cette mesure ; que les opérations d'expertise se sont déroulées au contradictoire de l'ensemble des parties et ont été régulièrement conduites ; que l'expert s'est prononcé sur les conditions de prise en charge de M. X. en février 2009 et a répondu à l'ensemble des questions de la mission d'expertise ; que l'analyse critique de ce rapport, réalisée à la demande de l'assureur de M. X. par un expert neurologue, ne justifie pas la nécessité de nommer un nouvel expert dès lors que la Cour dispose de l'ensemble des éléments lui permettant de statuer sur le litige ; que les conclusions présentées par M. X. aux fins de désignation d'un nouvel expert doivent, par suite, être rejetées ;

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris :

6. Considérant que M.X., qui ne s'est pas adressé au service des urgences du groupe hospitalier Y., fait valoir qu'une prise en charge en urgence par le docteur Z. lui-même, neurologue-myologue qui le suivait à l'institut de myologie et qui aurait seul été en mesure de se prononcer sur l'origine de ses douleurs, sur leur lien avec sa myopathie et sur le traitement le plus compatible avec cette pathologie, aurait conduit ce médecin à lui prescrire plus tôt une corticothérapie et aurait ainsi permis une résorption rapide de l'oedème qui est à l'origine du déficit moteur subsistant de son bras gauche ;

7. Considérant cependant que les patients d'un établissement public de santé ne sont placés dans une situation contractuelle ni avec cet établissement ni a fortiori avec un praticien dudit établissement, sauf à ce que celui-ci exerce pour partie en secteur privé ; qu'ils ne sont donc pas en droit d'exiger qu'un médecin plutôt qu'un autre les prenne en charge ; que par ailleurs, la circonstance que l'institut de myologie, qui suit les patients atteints de myopathie au sein de l'hôpital Y., ne dispose pas d'un service d'urgences médicales n'est pas de nature à caractériser un mauvais fonctionnement du service public hospitalier dès lors qu'il n'est ni soutenu ni même allégué que l'intéressé, qui ne s'est pas déplacé, n'aurait pu être pris en charge par les urgences de cet établissement, avant d'être réorienté vers le service adéquat du centre hospitalier qui l'aurait soigné en liaison avec les médecins dudit institut ; que la responsabilité de l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris ne saurait dès lors être engagée sur le fondement d'une rupture fautive dans la continuité des soins hospitaliers ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X. n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique- Hôpitaux de Paris à l'indemniser du préjudice résultant du défaut de prise en charge par l'institut de neurologie de l'hôpital Y. ; que ses conclusions aux fins d'indemnisation, comme, par voie de conséquence, celles de la caisse primaire d'assurance maladie V., doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. X. d'une part et la caisse primaire d'assurance maladie V. d'autre part et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. X. la somme demandée par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CPAM V. sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.