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Cour administrative d'appel de Paris, n° 11PA01614, 10 mai 2012 (Autorité de la chose jugée)

Cet arrêt permet de préciser la notion d’autorité de la chose jugée, principe qui s'oppose à ce qu'une nouvelle demande soit formée au titre d’un litige qui a déjà donné lieu à un jugement définitif. En l’espèce le caisse primaire d’assurance maladie demandait à un établissement public de santé dont la responsabilité avait été reconnue pour une erreur de diagnostic prénatal le remboursement de prestations versées depuis la procédure initiée devant le tribunal administratif et confirmé en appel en 2003, en se fondant notamment sur le fait que l'évolution de ces frais par rapport à ce qui avait été estimé est consécutive au placement de la victime en institution spécialisée et à la différence entre les valeurs en francs initialement prises en compte et les valeurs en euros. La Cour rejette ces arguments en considérant que l'autorité de chose jugée, subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause, qui s'attache à l'arrêt de 2003 s'oppose à ce qu'il puisse être fait droit à la nouvelle demande de la caisse primaire d’assurance maladie tendant au versement d'un complément d'indemnité.
 
 
Vu la requête, enregistrée le 31 mars 2011, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE PARIS, dont le siège est au 21 rue Georges Auric à Paris Cedex 19 (75948), par Me Kato ; la CPAM DE PARIS demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0820461/64 du 21 janvier 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 553 174, 92 euros au titre des dépenses de santé qu'elle a engagées pour son assuré M. ... ;
2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 406 428, 90 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable d'indemnisation du 28 août 2008 ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale de M. ... aux fins de déterminer l'imputabilité des frais qu'elle a engagés en fonction de l'évolution de l'état de santé de ce dernier et de réserver ses droits jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La CPAM DE PARIS soutient que les frais futurs ne peuvent être évalués qu'à titre provisoire, leur montant évoluant en fonction de la situation de la victime et de la nécessité de frais de santé supplémentaires ; que depuis la procédure initiée devant le Tribunal administratif de Paris, elle a versé dans l'intérêt de M. ... de très nombreuses prestations qui s'élèvent à la somme de 672 195, 85 euros ; que l'évolution de ces frais par rapport à ce qui avait été estimé est consécutive à son placement en institution spécialisée, au chiffrage des frais d'hospitalisation postérieurs à 1991 qui n'avait pas pu être fait antérieurement, à la différence entre les valeurs en francs initialement prises en compte et les valeurs en euros ; qu'il appartient au tiers responsable d'indemniser intégralement les préjudices corporels, lesquels ne doivent pas reposer sur la solidarité nationale ; que par différence avec l'indemnisation qui lui a déjà été versée, l'AP-HP doit l'indemniser de la somme de 406 428, 90 euros restant due au titre de ses débours ; que si les éléments qu'elle produit n'étaient pas suffisants, il y aurait lieu de prescrire une expertise supplémentaire aux fins de déterminer l'imputabilité des frais qu'elle a engagés en fonction de l'évolution de l'état de santé de la victime ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2012, présenté pour l'AP-HP par Me Tsouderos, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la CPAM DE PARIS la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et subsidiairement demande à la Cour de ramener le montant des prétentions indemnitaires à de plus justes proportions ; l'AP-HP soutient que la requête est irrecevable à défaut de présenter des moyens contre le jugement attaqué ; que la CPAM DE PARIS, dont les droits au remboursement de frais futurs ont été fixés par une décision de justice devenue définitive, ne pourrait former une nouvelle demande que dans l'hypothèse où les frais résulteraient d'une aggravation de l'état de santé de la victime ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que la caisse n'est donc pas fondée à remettre en cause l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 24 juin 2003 de la Cour administrative d'appel de Paris ; que la caisse ne démontre pas qu'elle n'a pas pu chiffrer les frais d'hospitalisation exposés depuis le 1er janvier 1997 avant l'intervention de l'arrêt du 24 juin 2003 ; qu'en tout état de cause, la juridiction ayant définitivement statué sur les frais liés à la dépendance totale de la victime, l'autorité de chose jugée s'oppose à ce qu'une nouvelle demande soit formée à ce titre ; qu'au surplus l'attestation de débours du 30 mars 2011 comporte des frais sur lesquels il a déjà été statué ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 27 mars 2012, présenté pour la CPAM DE PARIS par Me Kato, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, portant à 1 800 euros sa demande de mise à la charge de l'AP-HP des frais exposés et non compris dans les dépens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; la CPAM DE PARIS fait valoir en outre que contrairement à ce que soutient l'AP-HP, elle a bien critiqué le jugement attaqué ; que le placement de M. ... en institution spécialisée est la preuve d'une modification dans sa situation et probablement d'une aggravation de son état de santé ; que l'autorité de chose jugée ne peut lui être opposée dans la mesure où ni le Tribunal administratif de Paris ni la Cour administrative d'appel de Paris n'ont statué sur les demandes qu'elle présente dans cette instance ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 avril 2012, présenté pour M. et Mme ... par Me Monégier du Sorbier ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
 
Vu le code de la santé publique ;
 
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 avril 2012
- le rapport de Mme Renaudin, rapporteur,
- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
- et les observations de Me Tsouderos, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant que les époux ... ont saisi en 1992 le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la réparation de la faute commise par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en leur donnant de fausses assurances dans l'indication d'une nouvelle grossesse, alors que leur fils ... est né avec la même pathologie d'origine génétique que son frère, soit une encéphalopathie se traduisant par un retard moteur et cérébral important ; que par jugement en date du 9 juin 1998, ce tribunal a retenu la responsabilité de l'AP-HP et a condamné cette dernière à indemniser, d'une part, les parents de M. ... en leur allouant notamment une rente mensuelle au titre de la part des frais d'assistance d'une tierce personne non remboursée par la sécurité sociale, et, d'autre part, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS, au titre des débours passés qu'elle avait engagés pour son assuré, ainsi que des arrérages d'une rente dont le capital représentatif a été fixé à la somme de 1 889 310 francs (288 023, 45 euros), remboursables au fur et à mesure de leurs échéances et sur présentation des justificatifs des dépenses ; que sur appel de l'AP-HP, la Cour de céans, par arrêt en date du 24 juin 2003, a confirmé le jugement susmentionné en ce qui concerne la responsabilité de cette dernière et fait droit aux conclusions incidentes des époux ... tendant à la réformation du jugement, notamment en ce qui concerne la revalorisation de la rente qui leur avait été allouée ; que ladite rente a été portée par la Cour à la somme de 5 800 euros par mois pour toute la durée de vie de l'enfant, pour couvrir les charges particulières en matière de soins, d'assistance d'une tierce personne et d'éducation spécialisée, non prises en charge par la sécurité sociale ; que par cet arrêt, la Cour a confirmé l'évaluation faite par le Tribunal administratif de Paris du préjudice invoqué par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS, intervenue à l'instance, lequel n'était pas contesté par l'AP-HP ; que, par une requête enregistrée le 19 décembre 2008, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS, après avoir saisi l'AP-HP d'une réclamation préalable en date du 28 août 2008, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner cette dernière à lui verser la somme de 553 174, 92 euros au titre de l'ensemble des frais médicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation, de transport et d'appareillage engagés pour le compte de M. ... ; que par jugement du 21 janvier 2011, dont la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS relève régulièrement appel, ce tribunal a rejeté sa demande ;
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS demande, en cause d'appel, que lui soit octroyée la somme de 406 428, 90 euros, correspondant à la différence entre le coût de ses débours qui s'élève à un total de 672 195, 85 euros et la somme de 288 023, 45 euros qui lui a déjà été octroyée en application du jugement précité du 9 juin 1998 du Tribunal administratif de Paris, confirmé en appel ; que l'AP-HP fait valoir en défense que, la juridiction ayant définitivement statué sur les frais liés à la dépendance totale de M. ..., l'autorité de chose jugée s'oppose à ce qu'une nouvelle demande soit formée à ce titre ;
Considérant que l'autorité de chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause ;
 
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS fait valoir que la différence dans le chiffrage de ses débours, lesquels ne pouvaient être déterminés que provisoirement au moment de l'introduction de sa demande devant le Tribunal administratif de Paris en juin 1998, s'explique, d'une part, par la prise en compte de frais d'hospitalisation postérieurs à 1991 qui ne pouvaient être évalués auparavant et, d'autre part, par le placement de M. ... dans une institution spécialisée, à titre complet, depuis le mois d'août 2008, dont elle assume la charge ; qu'il résulte cependant de l'instruction que l'indemnisation de ces chefs de préjudice patrimoniaux a déjà été prise en compte par le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 9 juin 1998 et par l'arrêt de la Cour de céans en date du 24 juin 2003 rendu sur appel dudit jugement et devenu définitif ; qu'ainsi la demande présentée le 19 décembre 2008 devant le tribunal administratif par la CPAM DE PARIS reposait sur la même cause juridique que celle sur laquelle le tribunal et la Cour de céans avaient statué, respectivement, par le jugement du 9 juin 1998 et l'arrêt du 24 juin 2003 précités, et concernait les mêmes parties ; que la nouvelle demande de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS, laquelle n'établit pas l'existence d'une aggravation du préjudice sur lequel le tribunal administratif et la Cour se sont déjà prononcés, présente le même objet que sa demande précédente, sur laquelle il a définitivement été statué ; que, par suite, l'autorité de chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la Cour en date du 24 juin 2003 s'oppose à ce qu'il puisse, en tout état de cause, être fait droit à la nouvelle demande de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS tendant au versement d'un complément d'indemnité au titre des prestations versées à M. ... en raison des conséquences dommageables de la faute commise par l'AP-HP ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'AP-HP à lui rembourser les dépenses de santé au bénéfice de M. ... dont elle fait état ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant que les dispositions de l'article L, 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'AP-HP et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article 1 : La requête de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS est rejetée.
Article 2 : La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS versera la somme de 1 500 euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à M. et Mme .... Copie en sera adressée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2012 à laquelle siégeaient
Mme Vettraino, président de chambre,
Mme Folseheid, président assesseur,
Mme Renaudin, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 10 mai 2012