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Cour administrative de Marseille, 10 novembre 2015, n° 14MA03355 (Procédure disciplinaire - Suspension conservatoire - Griefs - Caractère de vraisemblance - Faute grave - Présomption)

Cet arrêt rappelle que concernant une aide-soignante relevant des dispositions de la loi du 13 juillet 1983, "la suspension d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, qui a pour objet d'écarter l'intéressé du service pendant la durée normale de la procédure disciplinaire et pour une durée qui ne peut dépasser quatre mois que si l'intéressé est l'objet de poursuites pénales". Elle est "uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation".  La Cour administrative d'appel estime qu'une telle décision "peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave".

 

Cour administrative d'appel de Marseille

N° 14MA03355   

8ème chambre - formation à 3

M. GONZALES, président
Mme Christine MASSE-DEGOIS, rapporteur
M. ANGENIOL, rapporteur public
VAN ROBAYS, avocat

lecture du mardi 10 novembre 2015

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme X. a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision en date du 12 mars 2012 par laquelle la directrice de la maison de retraite publique Y. l'a suspendue de ses fonctions.

Par un jugement n° 1202136 du 28 mai 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mme X.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juillet 2014 et le 5 octobre 2015, Mme X., représentée par Me … demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 mai 2014 ;

2°) d'annuler la décision du 12 mars 2012 de la directrice de la maison de retraite publique Y.  la suspendant de ses fonctions ou à tout le moins de juger que cette décision ne pouvait perdurer au-delà d'une durée de quatre mois ;

3°) de condamner la maison de retraite Y. à lui payer 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la maison de retraite Y. la somme de 5 000 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- sa requête d'appel répond aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- la décision portant suspension de ses fonctions, qui ne repose sur aucune faute établie, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- en tout état de cause, elle aurait dû, en application de l'article 30, être réintégrée dans ses fonctions dans un délai de quatre mois alors qu'elle a fait l'objet d'une suspension jusqu'au 23 janvier 2013 ;

- en réparation du maintien injustifié en suspension au-delà du délai de quatre mois, elle s'estime fondée à obtenir la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2014, la maison de retraite publique Y., représentée par Me.., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelante la somme de 3 000 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'indemnité sont irrecevables ;

- la requête introductive d'instance, qui méconnaît l'article R. 412-1 du code de justice administrative, est irrecevable ;

- la mesure conservatoire de suspension était fondée, de même que la décision de prolongation, eu égard à l'enquête pénale en cours et à la gravité des faits reprochés ;

Vu :
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massé-Degois
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me... représentant Mme X et de Me.., substituant Me .., représentant la maison de retraite publique Y.

1. Considérant que Mme X., aide-soignante affectée à la maison de retraite publique Y., a fait l'objet d'une suspension de ses fonctions par une décision de la directrice de l'établissement en date du 12 mars 2012 ; que Mme X. relève régulièrement appel du jugement n° 1202136 du 28 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice de la maison de retraite du 12 mars 2012 ; que Mme X. demande à la Cour d'annuler le jugement entrepris, d'annuler la décision du 12 mars 2012 la suspendant de ses fonctions à compter du 13 mars 2012 ou, à tout le moins, de juger que cette décision ne pouvait perdurer au-delà d'une durée de quatre mois et de condamner la maison de retraite publique Y. à lui payer 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la maison de retraite publique Y. tirées du caractère nouveau en appel des conclusions indemnitaires de Mme X. et du défaut de demande préalable :

2. Considérant que Mme X. demande à la Cour de condamner la maison de retraite publique Y. à lui payer 20 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la prolongation de la mesure de suspension de ses fonctions entre le 12 juillet 2012 et le 24 janvier 2013 soit au-delà du délai de quatre mois prévu à l'article 30 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; que, toutefois, ainsi que le fait valoir la maison de retraite publique Y. dans son mémoire en défense enregistré le 7 novembre 2014, ces conclusions à fin d'indemnité, qui n'ont pas été soumises aux premiers juges et qui n'ont, en outre, pas été précédées d'une demande préalable, présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite, irrecevables ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par la maison de retraite publique Y. tirée du non respect de l'article R. 412-1 du code de justice administrative :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline./ Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'est prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions." ;

4. Considérant que la suspension d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, qui a pour objet d'écarter l'intéressé du service pendant la durée normale de la procédure disciplinaire et pour une durée qui ne peut dépasser quatre mois que si l'intéressé est l'objet de poursuites pénales ; que la mesure de suspension prévue par les dispositions législatives précitées est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation ; qu'elle peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave ;

5. Considérant, d'une part, que, par un arrêté du 12 mars 2012, la directrice de la maison de retraite publique Y. a décidé de suspendre Mme X. de ses fonctions d'aide-soignante à compter du 13 mars 2012 jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur sa situation en raison de son comportement de nature à porter atteinte au bon fonctionnement de l'établissement d'accueil et dans l'intérêt des résidents, des familles, des personnels et de l'établissement en général ; que, par un nouvel arrêté du 6 juillet 2012, la directrice de la maison de retraite publique a renouvelé cette suspension à compter du 13 juillet 2012 jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur sa situation ; que, par le présent litige, Mme X. conteste l'arrêté du 12 mars 2012 décidant de la suspension de ses fonctions à compter du 13 mars 2012 ; qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 modifiée que la décision du 12 mars 2012 portant suspension, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'elle n'aurait pas pris effet à la date du 13 mars 2012, doit être regardée comme ayant épuisé ses effets à la date du 13 juillet 2012 ; que, par suite, et dès lors que Mme X. ne présente aucune conclusion à l'encontre de la décision du 6 juillet 2012 prolongeant la suspension de ses fonctions à compter de la date du 13 juillet 2012, l'appelante ne peut utilement reprocher à la maison de retraite publique à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 6 mars 2012 de ne pas l'avoir été rétablie dans ses fonctions le 12 juillet 2012 soit à l'expiration du délai de quatre mois prévu à l'article 30 susmentionné de la loi du 11 juillet 1983 ;

6. Considérant, d'autre part, qu'ainsi que l'a jugé le tribunal et contrairement à ce que soutient Mme X., qui se prévaut d'attestations de plusieurs de ses collègues ayant apprécié ses qualités relationnelles et son comportement auprès des patients de la maison de retraite, il ressort des pièces du dossier que les griefs articulés à l'encontre de cette dernière présentaient un caractère de vraisemblance suffisant pour qu'une mesure de suspension provisoire ait pu lui être légalement appliquée dans l'intérêt du service ; qu'ainsi, à la date à laquelle la décision contestée a été prise, il ressortait des pièces du dossier, en particulier des divers témoignages portés à la connaissance de la direction de la maison de retraite et du rapport rédigé le 10 mars 2012 sur la situation du service soins par la cadre de santé de l'établissement corroboré par la teneur du rapport hiérarchique de saisine du conseil de discipline, que les faits alors reprochés à l'intéressée, notamment un comportement agressif voire brutal avec certains des pensionnaires, qui ont par ailleurs fait l'objet d'un signalement au procureur de la République ainsi qu'au directeur de l'Agence régionale de Santé de la région Z. et qui, pour certains, étaient de nature à mettre en cause la sécurité des résidents qui lui étaient confiés, présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité justifiant que Mme X. ai été provisoirement écartée de ses fonctions à titre conservatoire, dans l'intérêt du service ; que, par voie de conséquence, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise la directrice de la maison de retraite publique Y. en décidant de suspendre Mme X. de ses fonctions d'aide-soignante à compter du 13 mars 2012 jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur sa situation en raison de son comportement de nature à porter atteinte au bon fonctionnement de l'établissement d'accueil et dans l'intérêt des résidents, des familles, des personnels et de l'établissement en général, ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 28 mai 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 12 mars 2012 de la directrice de la maison de retraite publique Y. décidant de la suspendre de ses fonctions d'aide-soignante à compter du 13 mars 2012 ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la maison de retraite publique Y.  qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme X. le versement d'une quelconque somme à la maison de retraite publique Y.  au titre de ces mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme X. est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la maison de retraite publique Y. sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X. et à la maison de retraite publique Y.