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Cour de cassation, 18 novembre 2014, n° 13-88246 (Masseurs-kinésithérapeutes - Exercice professionnel - Inscription - Ordre - Obligation - Exercice illégal)

La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que des kinésithérapeutes fonctionnaires hospitaliers devaient être inscrits à l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes sous peine de commettre le délit d’exercice illégal de la profession.

En effet, elle considère que «l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute est subordonné à l’inscription au tableau de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes pour toute personne exerçant cette profession sur le territoire national, à l’exception des masseurs-kinésithérapeutes relevant du service de santé des armées et, qu’en l’absence de cette inscription, l’élément matériel du délit d’exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute est constitué ».

En l’espèce, deux masseurs-kinésithérapeutes étaient poursuivis du chef d’exercice illégal de leur profession pour ne pas s’être inscrits au tableau tenu par leur ordre. La Cour d’appel de Chambéry avait débouté le conseil départemental de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Haute Savoie le  30 octobre 2013 en considérant qu’il existait un doute sur le fait que l’exercice illégal de cette profession serait constitué en cas de défaut d’enregistrement du diplôme ou de défaut d’inscription sur le tableau tenu par l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

 

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du mardi 18 novembre 2014

N° de pourvoi: 13-88246
Publié au bulletin Cassation partielle

M. Guérin (président), président
SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :
- Le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes A., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 30 octobre 2013, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Mme X., épouse Y., et de M. Z. du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 octobre 2014 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, MM. Pers, Fossier, Mmes Mirguet, Vannier, Duval-Arnould, Schneider, Farrenq Nési, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Raysséguier ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle BARTHÉLEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD et POUPOT, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général RAYSSÉGUIER ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3 du code pénal, L. 4321-1, L. 4321-2, L. 4321-4, L. 4321-10, L. 4321-11, L. 4121-13, L. 4121-19, L. 4112-5, L. 4323-4 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a, infirmant le jugement, renvoyé les deux prévenus des fins de la poursuite, a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes A. et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;

" aux motifs que l'article L. 4321-10 du code de la santé publique, issu de la loi du 9 août 2004, précise qu'un masseur-kinésithérapeute ne peut exercer sa profession, à l'exception de ceux qui relèvent du service de santé des armées, que : - si ses diplômes, certificats, titres ou autorisations ont été enregistrés conformément au premier alinéa, -s'il est inscrit sur le tableau tenu par l'ordre ; que l'article L. 4321-10 du code de la santé publique précise ensuite « l'ordre national des masseurs-kinésithérapeutes a un droit d'accès aux listes nominatives des masseurs-kinésithérapeutes employés par les structures publiques et privées et peut en obtenir copie ; que ces listes nominatives sont notamment utilisées pour procéder, dans des conditions fixées par décret, à l'inscription automatique des masseurs-kinésithérapeutes au tableau tenu par l'ordre » avant d'ajouter plus loin : « les modalités d'application du présent article sont fixées par décret » ; que l'article L. 4323-4 du code de la santé publique définit les peines susceptibles d'être prononcées pour l'infraction d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute ; qu'il existe donc déjà une difficulté concernant l'appréciation par le juge de l'élément légal de l'infraction, puisque, sans que cela ne soit clairement édicté par le législateur, il faudrait pour le juge déduire de ces deux articles que l'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute serait constitué en cas de défaut d'enregistrement du diplôme ou de défaut d'inscription sur le tableau tenu par l'ordre, ce qui ne serait pas sans poser des difficultés quand on sait que les lois pénales sont d'interprétation restrictive en raison des conséquences que peuvent avoir de telles décisions sur la culpabilité et les conséquences susceptibles d'en résulter sur la probité et l'honneur des personnes poursuivies ; que surtout les prévenus présentent leur défense en indiquant refuser de s'inscrire à l'Ordre, mais en soulignant que, conformément à l'article L. 4321-10 du code de la santé publique, compte tenu de leur situation très particulière de fonctionnaire travaillant au sein du centre hospitalier local, il est alors parfaitement possible pour l'ordre, qui a accès aux listes nominatives des masseurs-kinésithérapeutes employés par les structures publiques ou privées, et donc à celle du centre hospitalier B., de pouvoir procéder à l'inscription automatique des masseurs-kinésithérapeutes au tableau tenu par l'ordre, ceci devant toutefois intervenir « dans des conditions fixées par décret », précisant qu'en l'espèce, cette inscription automatique n'a jamais pu intervenir, puisque le décret susceptible de préciser les modalités de cette inscription automatique n'a jamais été pris ; qu'il est donc constant que la loi a prévu une possibilité pour le conseil de l'ordre de pouvoir administrativement procéder à l'inscription automatique des masseurs-kinésithérapeutes travaillant dans les structures publiques, comme c'est le cas des deux prévenus ; qu'il s'avère cependant que cette inscription automatique n'a pu se faire par manque de précisions sur les modalités réglementaires à respecter, par suite de défaut de parution du décret ; que, dès lors, il apparait difficile de venir incriminer pénalement des praticiens pour une infraction posant déjà problème au niveau légal de sa définition, alors même que la situation serait régularisable sur un plan administratif et que cela n'a pu être fait par manque de précisions sur les modalités à envisager par suite du défaut d'intervention ; les prévenus seront donc relaxés des faits poursuivis ; que sur l'action civile, la constitution de partie civile de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes sera donc déclarée recevable, mais les demandes présentées par ce dernier tant à titre de dommages et intérêts qu'au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, seront rejetées par suite de la décision de relaxe intervenue ;

"1°) alors que l'article L. 4323-4 du code de la santé publique relatif à l'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute est inséré dans le chapitre III, « Dispositions pénales » qui vient à la suite du chapitre premier «Masseur-kinésithérapeute», lequel définit de manière très claire et précise, tout d'abord, le champ de compétences des masseurs-kinésithérapeutes et les actes qui leurs sont réservés (article L. 4321-1 du code de la santé publique), ensuite, les conditions légalement exigées pour exercer la profession de masseur- kinésithérapeute (articles L. 4321-2 à L. 4321-12 du code de la santé publique) ; que l'infraction d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute est donc réalisée dès lors qu'une personne accomplit les actes prévus aux dispositions de l'article L. 4321-1 du code de la santé publique sans remplir les conditions claires, précises et détaillées légalement exigées par les dispositions des articles L.4321-2 à L.4321-12 du code de la santé publique, notamment celle de l'inscription au tableau de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes prévu à l'article L.4321-10 du même code ; qu'en retenant qu'il existait une difficulté concernant l'appréciation par le juge pénal de l'élément légal du délit d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et qu'il ne se déduisait pas nécessairement des dispositions des articles L. 4321-10 et L. 4323-4 du code de la santé publique que l'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute était constitué en cas de défaut d'enregistrement du diplôme ou de défaut d'inscription à l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, la cour d'appel a violé, de manière flagrante, les textes visés au moyen ;

"2°) alors que l'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute est subordonné à l'inscription au tableau de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes pour toute personne exerçant cette profession sur le territoire national, à l'exception des masseurs-kinésithérapeutes relevant du service de santé des armées et qu'en l'absence de cette inscription, l'élément matériel du délit d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute est constitué ; qu'en se fondant, pour relaxer les prévenus, sur la circonstance que les dispositions de l'article L. 4321-10 du code de la santé publique prévoyant l'inscription automatique des masseurs- kinésithérapeutes au tableau tenu par l'ordre n'avait pas fait l'objet de décret d'application, cependant que l'absence de décret d'application ne pouvait tenir en échec l'obligation légale des masseurs-kinésithérapeutes de s'inscrire au tableau de l'ordre pour exercer leur profession, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, impropre à écarter l'obligation des prévenus de s'inscrire au tableau de leur ordre, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article L. 4321-10 du code de la santé publique ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que les masseurs-kinésithérapeutes, à l'exception de ceux qui relèvent du service de santé des armées, ne peuvent exercer leur profession que s'ils sont inscrits sur le tableau tenu par l'ordre ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X., épouse Y..., et M. Z., masseurs-kinésithérapeutes au centre hospitalier B., ont été poursuivis pour exercice illégal de la profession de masseurs-kinésithérapeutes, pour ne pas avoir sollicité leur inscription au tableau départemental de l'ordre ;

Attendu que, pour renvoyer les prévenus des fins de la poursuite et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt infirmatif attaqué relève qu'il n'est pas clairement édicté par les articles L. 4321-10 et L. 4323-4 du code de la santé publique que l'exercice illégal de la profession de masseur- kinésithérapeute serait constitué en cas de défaut d'enregistrement du diplôme ou de défaut d'inscription sur le tableau tenu par l'ordre ; que les juges ajoutent que le législateur a prévu une possibilité pour le conseil de l'ordre de pouvoir administrativement procéder à l'inscription automatique des masseurs-kinésithérapeutes travaillant dans des structures publiques, cette faculté n'ayant pu être exercée en l'absence du décret d'application prévu par la loi ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'article L. 4323-4 du code de la santé publique a pour objet de sanctionner pénalement le non-respect des conditions d'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute définies en termes clairs et précis par les articles L. 4321-1 et suivants du code de la santé publique et en vertu desquelles, sauf exception, un masseur-kinésithérapeute ne peut exercer sa profession que si ses diplômes, certificats, titres ou autorisation ont été enregistrés et s'il est inscrit sur le tableau de l'ordre, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 30 octobre 2013, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit novembre deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;