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Cour de cassation, 1re chambre civile, 17 janvier 2008, n° 07-14284 (Suicide d’un patient - Service psychiatrique – Défaut de surveillance)

Le défaut de surveillance dans le service psychiatrique d’un centre hospitalier n’est pas une faute en relation directe avec le décès du patient dès lors que, compte tenu des circonstances, le suicide de ce dernier n’était pas prévisible : en présence de signes manifestant une évolution positive de son état, rien ne permettait de prévoir son suicide.

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE.

Formation restreinte.

17 janvier 2008.

Pourvoi n° 07-14.284.

Arrêt n° 52.

Rejet.

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Marie-Christine X..., épouse Y..., domiciliée [...],

contre l'arrêt rendu le 21 juin 2006 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre, section D), dans le litige l'opposant :


1°/ à la société Axa France IARD, dont le siège est [...],


2°/ à l'association hospitalière Sainte-Marie, dont le siège est [...],


défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Moyen produit par la SCP Vincent et Ohl, avocat aux Conseils pour Mme Y....

MOYEN DE CASSATION :

En ce que l'arrêt infirmatif attaqué déboute l'exposante de ses demandes tendant à voir confirmer le jugement disant que l'Association Hospitalière Sainte-Marie a commis une faute à l'origine de son préjudice et déclarant l'Association Hospitalière Sainte-Marie responsable de son préjudice et tendant à la condamnation in solidum de l'Association Hospitalière Sainte-Marie et de la Société AXA Assurance à le réparer.

Aux motifs que les consorts Y... ont expressément conclu (p. 7) qu'ils ne contestaient par que Jean-Charles Y... ait été hospitalisé avec son consentement et donc « admis sous le régime de l'hospitalisation libre prévue par l'article L. 32-11-2 du code de la Santé Publique » ; que le premier juge en a exactement déduit à la fois que Jean-Charles Y... n'était pas atteint de troubles mentaux (imposants) des soins immédiats, assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier (cas de l'hospitalisation à la demande d'un tiers), mais aussi qu'il appartenait à l'établissement hospitalier, dans le cadre de l'obligation de moyens à laquelle il est tenu, de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de chaque patient, et d'apprécier l'étendue de la surveillance à exercer en fonction de la pathologie du patient, de ses antécédents, de l'évolution de son état, et ce, quelque soit son mode d'admission ; que cette analyse recoupe d'ailleurs le cadre général de l'article L. 1142-1 du nouveau code de la santé publique, sur lequel les parties s'accordent, et dont il ressort que « les établissements de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute », le rapport de la preuve de cette faute incombant au patient ou à ses ayants-droits ; que le premier juge n'a pas poussé son raisonnement jusqu'à sa conclusion logique, à savoir la définition de la surveillance constante, dans le cadre de l'hospitalisation à la demande d'un tiers, dont on conviendra qu'elle constitue en toute hypothèse le critère d'exigence maximale à retenir en cas d'hospitalisation libre ; qu'il n'est pas contesté que la notion de" surveillance constante au sens du code de la Santé Publique signifie qu'une équipe soignante engagée dans un projet thérapeutique doit, à tout moment, pouvoir intervenir en cas de besoin ; qu'en aucun cas la surveillance constante n'est assimilable au sens commun de surveillance de visu ininterrompue, seule mesure de surveillance qui, dans l'absolu, aurait permis d'empêcher le geste suicidaire d'aboutir ; que dans ce cadre reprécisé, la cour ne peut que constater que les consorts Y... peinent à définir la consistance exacte de la faute reprochée, à fortiori à la démontrer; que les consorts Y... considèrent tout d'abord qu'aucune surveillance particulière, adaptée à l'état de santé, n'a été mise en place, alors qu'il convenait de mettre à l'œuvre une surveillance accrue, ce qui n'a pas été le cas ; que Jean-Charles Y... a été admis le [...].2002 à sa demande pour un sevrage alcoolique, le certificat du médecin traitant du docteur Z... faisant état de « un alcoolisme avec agressivité, il a frappé sa femme, son frère, menace au fusil (il y a autolyse au fusil). Peux-tu le sevrer ... ? ».

Que la tentative d'autolyse au fusil est constante, mais date de l'année 1984 ; que dès la fin du premier repas, Jean-Charles Y... projetait de partir dans une semaine, et a remis au personnel une cartouche ; que l'entretien avec l'infirmière, le lendemain, fait état de ses soucis dus au départ de sa femme et à l'état de l'exploitation agricole ; que Jean-Charles Y... voulait signer une décharge pour revenir le lundi, ce qui n'évoque pas un projet suicidaire, encore moins le souci noté par le docteur de « reconquérir » sa femme, souci primordial dans le discours du patient ; que le [...].2002, après deux nuits sans encombre, la matinée s'est passée normalement, avec repas de midi et découverte de la pendaison à 14 h 45, lors de la ronde de l'équipe de l'après-midi qui arrive à 13 h 40. Cette découverte ayant manifestement été une surprise pour les intervenants ; qu'il apparaît, sans autre précision, que Jean-Charles Y... ait décidé de se pendre et y soit parvenu à l'aide d'une taie d'oreiller accrochée à un tuyau ; qu'au-delà de la détermination que traduit un tel geste, il n'en demeure pas moins qu'au vu des témoignages non contestés ci-dessus retracés, Jean-Charles Y... a soit brusquement changé d'avis et renoncé à se projeter dans l'avenir, soit mis en œuvre un projet auquel il n'avait pas renoncé depuis son entrée et qu'il avait donc dissimulé entre-temps sous une apparente amélioration de son état mental ; que si les appelants privilégient la seconde hypothèse, elle n'est ni démontrée ni plus plausible que la première ; que les appelants, conscients de la difficulté inhérente à la notion même de « surveillance accrue » qu'ils exigent de l'institution, référence faite à l'évolution concrète de Jean-Charles Y... depuis son admission et à l'impossibilité de droit et de fait d'une surveillance visuelle permanente, évoquent le tableau médicamenteux, estimant que le patient avait été laissé sans antidépresseur durant le week-end ; qu'en l'absence de toute expertise médicale sur ce volet précis, mesure qui n'a jamais été sollicitée, la cour estiment qu'aucune faute de prescription médicamenteuse n'est démontrée au dossier ; que ce reproche est vivement contesté par l'institution, au terme d'une attestation A... qui n'est pas autrement discutée ; qu'enfin, aucune faute d'organisation du service par rapport à la réglementation applicable n'est alléguée, ou a fortiori démontrée ; qu'il n'est fait référence que pour mémoire, dans un tel contexte de fait, aux attestations établies par les infirmières d'Etat que la cour ne privilégie nullement, mais qui corroborent une évolution positive de Jean-Charles Y... depuis son admission ; qu'en conclusion, et en l'absence d'une démonstration suffisante d'une faute concrète de l'Association Hospitalière qui soit en relation directe avec le décès, la cour estime devoir réformer le jugement de premier ressort et faire droit à l'appel principal.

Alors, d'une part, qu'il appartient à l'établissement hospitalier, dans le cadre de l'obligation de moyens à laquelle il est tenu, de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de chaque patient et d'apprécier l'étendue de la surveillance à exercer en fonction de la pathologie du patient, de ses antécédents, de l'évolution de son état, et ce, quelque soit son mode d'admission ; que l'examen psychiatrique de Monsieur Y..., mené au début de l'hospitalisation mentionne une « symptomatologie dépressive avec idées suicidaires (père mort à 47 ans et lui a 47 ans cette année) ; ce matin il voulait retrouver son père » ; que ces constations ont été faites deux jours avant le décès du patient ; que compte tenu de ces propos précis et circonstanciés, le risque sérieux d'un passage à l'acte imminent n'était pas exclu et ce d'autant plus que Monsieur Y... avait déjà tenté de se suicider en 1984 ; que l'arrêt attaqué constate que Monsieur Y... a été admis le [...] 2002 à sa demande pour un sevrage alcoolique, le certificat du médecin traitant faisant état d'un « alcoolisme avec agressivité, il a frappé sa femme, son frère, menace au fusil (il y a autolyse au fusil) » ; que, par suite, en écartant tout manquement à l'obligation de surveillance, au motif notamment que l'entretien du patient avec une infirmière « n'évoque pas un projet suicidaire » et que s'il n'y avait renoncé depuis son entrée il l'« avait donc dissimulé entre-temps sous une apparente amélioration de son état mental », la cour d'appel a méconnu tant ses propres constatations que les obligations incombant à l'hôpital psychiatrique et a ainsi violé l'article 1147 du code civil.

Alors, d'autre part, que l'exposante faisait valoir dans ses conclusions d'appel que si Monsieur Y... avait été admis sous le régime de l'hospitalisation volontaire, avec un certificat médical établi le jour même par son médecin traitant soulignant son agressivité et ses menaces au fusil et rappelant une précédente tentative d'autolyse au fusil, un document « hospitalisation à la demande d'un tiers », c'est-à-dire d'office avait été signé le lendemain de l'hospitalisation et le compte rendu d'examen adressé par le médecin psychiatre au médecin traitant faisait état d'une « symptomatologie dépressive majeure avec idées suicidaires verbalisées ... il est à noter dans les antécédents du patient, une notion de tentative d'autolyse par arme à feu ... sur cette symptomatologie se greffe des conduites addictives pour lesquelles il est demandeur, ce jour, d'un sevrage » ; que l'établissement d'un dossier d'hospitalisation d'office pour le cas où le malade ne consentirait plus aux soins impliquait bien la nécessité de ne pas interrompre la surveillance, même si la procédure d'hospitalisation d'office n'a finalement pas été engagée ; que cependant cette surveillance n'a pas été mise en œuvre et que l'acte par lequel Monsieur Y... s'est donné la mort supposait un minimum de préparation et une absence de soudaineté de sorte qu'il aurait pu être évité si une surveillance réelle et suffisante, même non continue, avait été mise en place ; que cependant ainsi que le retenait le jugement infirmé il n'apparaît pas qu'une surveillance particulière ait été exercée en dehors de la visite habituelle de l'équipe de l'après-midi, 45 minutes après sa prise de fonctions ;

qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel :

1°/ a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;

2°/ a derechef violé l'article 1147 du code civil.

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 4 décembre 2007, où étaient présents : M. Bargue, président, M. Lafargue, conseiller référendaire rapporteur, M. Gridel, conseiller, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le moyen unique :

Attendu que Jean-Claude Y..., s'étant suicidé le [...] 2002, alors qu'il se trouvait admis dans le service psychiatrique du centre hospitalier Sainte-Marie de Rodez, exploité par l'association hospitalière Sainte-Marie (l'association), les consorts Y... ont recherché la responsabilité de l'association, en reprochant à celle-ci un défaut de surveillance ;

Attendu que Mme X... épouse Y... fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué (Montpellier, 21 juin 2006) de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir déclarer l'association responsable de son préjudice, et à la voir condamner in solidum avec la société Axa à le réparer, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il appartient à l'établissement hospitalier, dans le cadre de l'obligation de moyens à laquelle il est tenu, de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de chaque patient et d'apprécier l'étendue de la surveillance à exercer en fonction de la pathologie du patient, de ses antécédents, de l'évolution de son état, et ce, quel que soit son mode d'admission ; que l'examen psychiatrique de Jean-Claude Y..., mené au début de l'hospitalisation mentionne une "symptomatologie dépressive avec idées suicidaires (père mort à 47 ans et lui a 47 ans cette année) ; ce matin il voulait retrouver son père " ; que ces constations ont été faites deux jours avant le décès du patient ; que compte tenu de ces propos précis et circonstanciés, le risque sérieux d'un passage à l'acte imminent n'était pas exclu et ce d'autant plus que Jean-Claude Y... avait déjà tenté de se suicider en 1984 ; que l'arrêt attaqué constate que Jean-Claude Y... a été admis le 3 octobre 2002 à sa demande pour un sevrage alcoolique, le certificat du médecin traitant faisant état d'un "alcoolisme avec agressivité, il a frappé sa femme, son frère, menace au fusil (il y a autolyse au fusil)" ; que, par suite, en écartant tout manquement à l'obligation de surveillance, au motif notamment que l'entretien du patient avec une infirmière "n'évoque pas un projet suicidaire" et que s'il n'y avait renoncé depuis son entrée il l'"avait donc dissimulé entre-temps sous une apparente amélioration de son état mental", la cour d'appel a méconnu tant ses propres constatations que les obligations incombant à l'hôpital psychiatrique et a ainsi violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que Mme X... épouse Y... faisait valoir dans ses conclusions d'appel que si Jean-Claude Y... avait été admis sous le régime de l'hospitalisation volontaire, avec un certificat médical établi le jour même par son médecin traitant soulignant son agressivité et ses menaces au fusil et rappelant une précédente tentative d'autolyse au fusil, un document "hospitalisation à la demande d'un tiers", c'est-à-dire d'office avait été signé le lendemain de l'hospitalisation et le compte rendu d'examen adressé par le médecin psychiatre au médecin traitant faisait état d'une "symptomatologie dépressive majeure avec idées suicidaires verbalisées ... il est à noter dans les antécédents du patient, une notion de tentative d'autolyse par arme à feu ... sur cette symptomatologie se greffe des conduites addictives pour lesquelles il est demandeur, ce jour, d'un sevrage" ; que l'établissement d'un dossier d'hospitalisation d'office pour le cas où le malade ne consentirait plus aux soins impliquait bien la nécessité de ne pas interrompre la surveillance, même si la procédure d'hospitalisation d'office n'a finalement pas été engagée ; que cependant cette surveillance n'a pas été mise en oeuvre et que l'acte par lequel Jean-Claude Y... s'est donné la mort supposait un minimum de préparation et une absence de soudaineté de sorte qu'il aurait pu être évité si une surveillance réelle et suffisante, même non continue, avait été mise en place ; que cependant ainsi que le retenait le jugement infirmé il n'apparaît pas qu'une surveillance particulière ait été exercée en dehors de la visite habituelle de l'équipe de l'après-midi, quarante cinq minutes après sa prise de fonctions ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile, et a derechef violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que Jean-Claude Y..., admis à sa demande pour un sevrage alcoolique, n'était pas atteint de troubles mentaux imposant des soins immédiats, et une surveillance constante en milieu hospitalier ; que la tentative d'autolyse remontait à 1984; qu'enfin, en présence de signes manifestant une évolution positive de son état, rien ne permettait de prévoir son suicide ; qu'au surplus rien n'établissait que l'intéressé ait été laissé sans anti-dépresseurs durant le week-end ; que de ces constatations souveraines la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire l'absence de faute à l'encontre de l'association en relation directe avec le décès ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de Mme Y... et celle de la SCP Vincent et Ohl ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille huit.

Sur le rapport de M. Lafargue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Vincent et Ohl, avocat de Mme Y..., de Me Odent, avocat de la société Axa France IARD et de l'association hospitalière Sainte-Marie, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

M. BARGUE, président.