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Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 février 2009, n°08-84436 (Recherches biomédicales – Responsabilité pénale – Consentement du patient)

En l’espèce, un médecin infectiologue exerçant au sein d’un centre hospitalier s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel qui l’a déclaré coupable d’avoir fait pratiquer une recherche biomédicale sur un patient sans avoir recueilli le consentement libre, éclairé et exprès de celui-ci. La Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait justifié sa décision au regard des dispositions de l’article 223-8 du Code pénal relatif aux sanctions pénales en matière d’infractions aux règles d’expérimentation sur le personne humaine. Elle a ainsi rejeté le pourvoi de ce professionnel de santé au motif que pour déclarer le prévenu coupable, l'arrêt retient qu'il a entrepris la recherche biomédicale sur un patient alors que celui-ci, arrivé dans le service depuis une heure environ, était très affaibli et manifestement dans l'impossibilité de donner un consentement libre, éclairé et exprès, lequel n'a été recueilli ni par écrit ni d'une autre façon.

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du mardi 24 février 2009

N° de pourvoi: 08-84436

Publié au bulletin Rejet

M. Farge (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Richard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

X... Sekene,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 19 mai 2008, qui, pour recherche biomédicale non consentie, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 223-8 du code pénal, des articles préliminaire, III, et 593 du code de procédure pénale, de l'article 6, 2°, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le docteur X... coupable d'avoir fait pratiquer une recherche biomédicale sur Jonas Y... sans avoir recueilli le consentement libre, éclairé et exprès de celui-ci et l'a condamné à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis ;

" aux motifs que Jonas Y..., pensionnaire du foyer Sonacotra de la rue Pierre Leca à Marseille, âgé de 41 ans, souffrant d'un syndrome respiratoire aigu, était admis le 19 novembre 1998 à 23 heures 23 aux urgences de l'hôpital Nord de Marseille ;

que, faute de lit disponible, il était transféré le 20 novembre dans le service des maladies tropicales infectieuses du centre hospitalier Houphouët-Boigny ;

que le 25 novembre 1998, le patient quittait l'hôpital de son propre chef, contre avis médical, après cinq jours d'antibiothérapie administrée par voie intraveineuse ; que, par courrier en date du 6 mars 2000, il déposait plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction de Marseille du chef d'expérimentation sur une personne humaine sans son consentement ;

qu'il exposait qu'à l'occasion de son hospitalisation dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital Houphouët-Boigny, il avait été l'objet de la part du docteur Sekene X... d'une expérimentation sur une personne humaine sans son consentement ; qu'il produisait à l'appui de sa plainte une notice d'information du patient relative à « une étude comparative de Ziracin versus Ceftriaxone dans le traitement de la pneumonie aiguë à pneumocoques d'intensité modérée à sévère ", étude réalisée en double aveugle ayant pour objectif d'apprécier l'efficacité du Ziracin et d'analyser sa sécurité et sa tolérance lorsqu'il est administré quotidiennement par voie intraveineuse pendant cinq jours minimum et dix jours maximum ;

que les dernières pages de ce document contenaient un formulaire de consentement du patient ou d'un membre de sa famille laissé vierge de signature ; que, par réquisitoire introductif du 16 mars 2000, une information était ouverte du chef d'expérimentation sur la personne humaine sans le consentement de l'intéressé ;

que, devant le magistrat instructeur, Jonas Y... rappelait que le 21 novembre 1998, alors même que l'antibiothérapie lui avait été administrée le 20 novembre, jour de son admission dans le service, le docteur X... lui avait remis un document à lire et à signer sans aucune explication, tant sur le traitement que sur ses éventuelles conséquences ou effets secondaires ;

que n'ayant pas obtenu de réponse à ses questions, ni d'assurance de confidentialité, il avait refusé de signer le protocole proposé et ce, malgré de nombreuses demandes du docteur X... ;

que le 25 novembre, il quittait l'établissement après avoir appris qu'il avait fait, en outre, l'objet d'un test de dépistage du SIDA, sans avoir été au préalable informé ; qu'entre le 10 et le 17 décembre 1998, il était pris en charge par les services de l'hôpital Saint-Joseph où était diagnostiquée une pneumonie pour laquelle il était soigné définitivement ;

que le 17 décembre 1998, il adressait un courrier au docteur X... dans lequel il demandait des explications précises sur sa participation forcée au protocole sans son consentement et dans lequel il faisait part des troubles physiques qu'il ressentait depuis l'expérimentation ; qu'il précisait que ce courrier était resté sans réponse ;

que le docteur X..., médecin infectiologue, entendu dans un premier temps par les services de police, déclarait que la partie civile avait été admise dans son service au moment où avait été mis en place un protocole de traitement visant à comparer un nouveau médicament par rapport à un médicament de référence ;

que le patient présentait selon lui tous les critères pour pouvoir bénéficier de ce traitement utilisé dans d'autres pays et administré à plusieurs patients de l'hôpital Houphouët-Boigny ; qu'il assurait qu'il avait complètement informé le patient dès son arrivée en lui donnant des explications orales et que ce dernier lui avait donné son assentiment verbal pour participer à la recherche ;

que, dès le lendemain, à la suite de la prise du traitement, son état de santé s'était amélioré et il lui avait alors présenté la notice d'information, dont il avait pu prendre connaissance ; que le patient lui avait dit qu'il devait en informer son médecin traitant mais il n'avait pas formulé d'opposition sur le protocole présenté ; que trois jours après, il attendait toujours sa signature ;

qu'il précisait, cependant, que si le patient n'avait pas pu signer le protocole à son arrivée, c'était en raison de son état de santé qui ne le lui permettait pas ; qu'entendu à nouveau par le juge d'instruction, le prévenu affirmait qu'il avait reçu le consentement libre et éclairé de son patient dès son arrivée dans le service, en début d'après-midi le 20 novembre 1998 et avant de lui administrer le protocole, précisant que le malade avait été perfusé une heure à une heure trente après son arrivée ;

qu'il considérait que le consentement verbal suffisait dans la mesure où il avait été reçu devant témoin ce qui était le cas puisque Bernard Z..., étudiant en médecine et externe, était présent ;

qu'il expliquait encore que le patient était dans un état grave, qu'il parlait faiblement mais qu'il était en état de comprendre les explications sur le protocole proposé ; que le prévenu précisait « ne pas avoir reçu son consentement écrit mais qu'aucun refus ne lui avait été opposé et qu'il considérait que le patient était consentant à ce traitement qui était le mieux adapté à son état » ;

que Bernard Z..., externe à l'hôpital Houphouët-Boigny, était entendu comme témoin et reconnaissait avoir été présent lors de l'entretien du 20 novembre au cours duquel le prévenu avait informé le patient ; que dans un premier temps, il ne se souvenait plus quelle avait été la réponse du malade, puis se rappelait qu'il avait répondu « oui » au protocole ;

que le magistrat instructeur diligentait une expertise afin de décrire la situation médicale du plaignant au regard des traitements administrés, de rechercher si le consentement exprès et préalable à la prescription du traitement Ziracin versus Ceftriaxone avait été recueilli auprès de l'intéressé par le médecin prescripteur et de rechercher si les soins avaient été appropriés et quelles étaient les conséquences éventuelles du traitement sur son état de santé ; que le professeur A..., expert, indiquait que Jonas Y... avait été admis à l'hôpital Houphouët-Boigny le 20 novembre 1998 dans l'après-midi et que le protocole avait été mis en place à 16 heures ;

que le malade présentait une dyspnée brutale avec douleurs thoraciques droites, température de 40° C, tension artérielle de 11 / 6, asthénie, anorexie, myalgies diffuses et diarrhées ; que l'expert concluait que rien ne permettait de dire qu'il avait donné son consentement exprès et préalable à la prescription du traitement et qu'on avait la certitude, a contrario, qu'il avait refusé à plusieurs reprises de signer la notice destinée à recueillir par écrit son consentement, que d'autres traitements pouvaient être prescrits, classiques et bien codifiés, dont l'Amoxcilline, qui avait été utilisée lors de la deuxième hospitalisation et par laquelle la pneumonie avait guéri, que le traitement par Ziracin avait seulement retardé la guérison de la maladie du patient qui avait guéri sans séquelles, que la décision du patient de mettre fin prématurément au traitement avait par ailleurs retardé sa guérison et que les troubles présentés au moment de l'expertise par le patient, à savoir une faiblesse alléguée des membres inférieurs, une amputation de ses capacités ventilatoires et une éosinophilie sanguine, n'avaient pas d'explication évidente ;

que l'expert rappelait que la société Schering-Plough avait pris, dès le 7 juin 2000, la décision d'arrêter le développement du Ziracin en raison des événements indésirables sérieux constatés chez les patients, notamment une augmentation des taux de créatinine sérique et des phlébites ; qu'à l'audience de la cour, le prévenu confirmait avoir établi une relation de confiance avec le patient et qu'il était persuadé de l'accord de ce dernier pour le traitement proposé ;

qu'il précisait ne pas avoir eu de contact avec la famille du patient ; que le conseil de la société Schering-Plough soulignait devant la cour qu'elle avait respecté ses propres obligations et rappelait que le suivi d'une procédure stricte était imposé aux médecins qui devaient recueillir le consentement des patients par écrit ; que l'article 223-8 du code pénal punit le fait de pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche biomédicale sans avoir recueilli le consentement préalable, libre, éclairé et exprès de l'intéressé ; que ces exigences sont cumulatives ; que le législateur a voulu protéger l'intégrité physique et la dignité des personnes sur qui des recherches médicales sont pratiquées, en faisant du consentement une décision unilatérale de l'individu libre et éclairée ; que les conditions dans lesquelles le consentement doit être recueilli sont définies par l'article L. 209-9 applicable au moment des faits devenu l'article L. 1122-1-1 du code de la santé publique ;

qu'aux termes dudit article « le consentement est donné par écrit ou, en cas d'impossibilité, attesté par un tiers ; ce dernier doit être totalement indépendant de l'investigateur et du promoteur " ;

qu'il résulte des déclarations mêmes du prévenu que ce dernier a commencé l'application du protocole une heure environ après l'arrivée du patient dans son service, alors même que ce dernier, très affaibli, était manifestement dans l'impossibilité de donner un consentement libre éclairé et exprès ; que Jonas Y... n'a jamais donné son consentement par écrit ; qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer qu'il ait exprimé d'une autre façon son consentement ; qu'en effet, les déclarations, d'ailleurs confuses, de l'externe Bernard Z..., ne peuvent être considérées comme étant celles d'un témoin indépendant ; que le prévenu a pris le risque de ne pas respecter les modalités de recueil du consentement de son patient, en toute connaissance de cause, puisqu'il a tenté en vain les jours suivants d'obtenir un écrit de ce dernier ;

" 1°) alors que n'est pas pénalement sanctionné, le fait de recueillir oralement, et non par écrit, le consentement libre, éclairé et exprès de la personne sur laquelle une recherche biomédicale est pratiquée ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour le docteur X..., de n'avoir pas recueilli le " consentement par écrit " de Jonas Y..., avant de pratiquer sur celui-ci une recherche biomédicale, l'exposait à une sanction pénale, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

" 2°) alors que, tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de la culpabilité incombe à la partie poursuivante ; qu'en décidant néanmoins qu'aucun élément du dossier ne permettant de démontrer que Jonas Y... avait exprimé son consentement d'une autre façon que par écrit, l'infraction était constituée, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve » ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Jonas Y... a été transféré, le 20 novembre 1998, dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital de Marseille alors qu'il souffrait d'un syndrome respiratoire aigu ; qu'un médecin de ce service, Sekene X..., lui a administré, pendant cinq jours, un nouveau produit, dénommé Ziracin, qui faisait l'objet d'une étude destinée à en comparer les effets avec un médicament de référence dans le traitement de la pneumonie aiguë ; que, le 6 mars 2000, il a porté plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction, en exposant avoir fait l'objet d'une recherche biomédicale sans son consentement ; qu'à l'issue de l'information, Sekene X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour recherche biomédicale non consentie ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable, l'arrêt retient qu'il a entrepris la recherche biomédicale sur Jonas Y... alors que celui-ci, arrivé dans le service depuis une heure environ, était très affaibli et manifestement dans l'impossibilité de donner un consentement libre, éclairé et exprès, lequel n'a été recueilli ni par écrit ni d'une autre façon ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 223-8 du code pénal ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Farge conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Chaumont conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 mai 2008