Revenir aux résultats de recherche

Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, n° 1400029 (Limitation et arrêt de traitement - Alimentation artificielle - Hydratation artificielle - Droit à la vie - Procédure collégiale - Liberté fondamentale)

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi d’un référé-liberté, s'est opposé pour la seconde fois à l'arrêt de l'alimentation de Monsieur B., tétraplégique en état de coma pauci-relationnel, hospitalisé au CHU de W. En l’espèce, M.B, suite à accident de la route en septembre 2008, a subi un traumatisme crânien le laissant dans un état « pauci-relationnel ». Il est actuellement hospitalisé au sein de l’unité de soins et de suite et de réadaptation du CHU de Reims au sein duquel il reçoit une alimentation et une hydratation artificielles.

En avril 2013 une décision d'arrêt de l'alimentation artificielle et de réduction de l'hydratation avait été prise  par l'équipe du service de médecine palliative du CHU. Les parents du patient avaient saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui avait annulé la décision de l'hôpital considérant qu’il n’avait pas informé les parents de la mise en œuvre d'une procédure collégiale. Le 11 janvier 2014 le chef de service a décidé de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient à compter du lundi 13 janvier 2014 à 19 heures.

M. et Mme X., parents de M. B., ainsi que M. Y et Mme Z., frère et sœur de M. B., demandent au juge d’interdire au CHU W. et au Dr A. « de faire supprimer l’alimentation et l’hydratation de M. B., et, si elles ont été supprimées, de les rétablir immédiatement et de prodiguer tous les soins nécessaires au patient », ainsi que le transfert du patient dans un autre service. M. U, neveu de M. B., et Mme T. épouse de M. B., interviennent à l’instance, et concluent tout deux au rejet de la requête.

Statuant en formation plénière, le Tribunal considère en premier lieu que l’exécution de la décision de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation du patient entraînera, eu égard à son état de dépendance, sa mort à très bref délai, de sorte qu’est portée à son droit au respect à la vie une atteinte caractérisée.

Par la suite, le Tribunal recherche le caractère grave et manifestement illégale de l’atteinte au droit au respect de la vie, qui constitue une liberté fondamentale « rappelée notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Le Tribunal relève d’abord que les dispositions de l’article 2 de la CEDH « ne s’opposent pas à ce qu’un Etat règlemente la possibilité pour un individu de s’opposer à un traitement qui pourrait avoir pour effet de prolonger sa vie ou celle ouverte à un médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté et dont il estime, après avoir mis en œuvre un ensemble de garanties tenant à la consultation d’au moins un confrère, de l’équipe de soins, des directives anticipées rédigées par le patient et de sa famille, que le traitement qui lui est administré consiste en une obstination déraisonnable, de mettre fin à ce traitement, cette possibilité s’exerçant sous le contrôle du conseil de l’ordre des médecins, sous celui du comité d’éthique du centre hospitalier le cas échéant, ainsi que du juge administratif et du juge pénal ».

Il indique en outre que l’absence de définition « du terme de traitement non plus que des actes ou soins susceptibles d’être regardés comme maintenant artificiellement la vie ne porte atteinte ni au droit à un procès équitable, ni au principe de légalité des délits et des peines ».

Le Tribunal estime par ailleurs que l’alimentation et l’hydratation artificielles par voie entérale constituent des traitements, dans la mesure où elles « empruntent aux médicaments le monopole de distribution des pharmacies, ont pour objet d’apporter des nutriments spécifiques au patient dont les fonctions sont altérées, et nécessitent en l’espèce le recours à des techniques invasives en vue de leur administration ».

S’agissant de l’argument tiré du fait que la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation artificielles serait fondée sur la volonté même de M. B., le Tribunal estime que cette volonté est incertaine : « s’il résulte à cet égard de l’instruction que le patient a exprimé pareille position devant un de ses frères et son épouse, cette expression, qui n’est au demeurant pas datée avec précision, émanait d’une personne valide qui n’était pas confrontée aux conséquences immédiates de son souhait et ne se trouvait pas dans le contexte d’une manifestation formelle d’une volonté expresse, et ce quelle qu’ait été sa connaissance professionnelle de la situation de patients en état de dépendance ou de handicap ; que la circonstance que le patient aurait entretenu des relations conflictuelles avec ses parents et ne partagerait pas leurs valeurs morales ou leurs engagements religieux, ce dont atteste la majorité des membres de sa fratrie, ne permet pas davantage de regarder M. B comme ayant manifesté une volonté certaine de refuser tout traitement s’il devait subir une altération de ses fonctions motrices et cognitives telle que celle qu’il connait aujourd’hui ;  que, par ailleurs, il ne saurait être déduit des manifestations pouvant traduire le déplaisir et l’inconfort qu’induisaient les soins, qui ont été unanimement constatées par le personnel soignant à la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013, dont il est au demeurant constant qu’elles ont cessé, une interprétation univoque quant à la volonté du patient de rester ou non en vie, ainsi qu’il résulte notamment de l’ensemble des avis motivés rendus préalablement à la décision en cause ».

Le Tribunal en conclut que le chef de service de l’unité de soins de suite et de réadaptation « a apprécié de manière erronée la volonté de M.B en estimant qu’il souhaiterait opposer un refus à tout traitement le maintenant en vie ».

Enfin, le tribunal administratif a jugé que la poursuite du traitement n'était ni inutile, ni disproportionnée et n'avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie. La notion d'obstination déraisonnable est appréhendée par le code de la santé publique et le code de déontologie médicale à travers trois critères: les actes ne doivent être ni inutiles, ni disproportionnés ou n'avoir pas pour seul but le maintien artificiel de la vie.  « Qu’ainsi, l’alimentation et l’hydratation artificielles qui lui sont administrées, dès lors qu’elles peuvent avoir pour effet la conservation d’un certain lien relationnel, n’ont pas pour objet de maintenir le patient artificiellement en vie, cet artifice ne pouvant au demeurant se déduire du seul caractère irréversible des lésions cérébrales et l’absence de perspective d’évolution favorable dans l’état des connaissances médicales ; que pour les mêmes motifs, et dès lors que le centre hospitalier universitaire de Reims ne fait valoir aucunes contraintes ou souffrances qui seraient engendrées par le traitement, celui-ci ne peut être qualifié d’inutile ou de disproportionné, de sorte qu’il n’est pas constitutif d’une obstination déraisonnable au sens des dispositions combinées des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique ».

C’est pourquoi, portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, l'exécution de la décision d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de M. B. est suspendue par le Tribunal .