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Tribunal administratif de Melun, 1er octobre 2010, n° 0703106/1 (Perte d'un dossier médical - faute dans l'organisation et le fonctionnement du service - préjudice moral)

Au regard des dispositions législatives et réglementaires, un établissement de santé est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la conservation des dossiers médicaux. La perte de l'un de ces dossiers constitue par conséquent une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service et engage la responsabilité de l'établissement de santé. Le juge va même plus loin dans son interprétation en considérant que "si l'absence de communication de son dossier n'a pas fait obstacle à ce que M. R obtienne gain de cause dans la procédure judiciaire qu'il a engagé, il ressort de l'instruction que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de cette non communication, le laissant notamment dans l'incertitude alors qu'il était fragilisé par la maladie pendant le déroulement de la procédure judiciaire (…)". En l'espèce, l'AP-HP est condamné à verser à M. R la somme de 3000 euros à titre de réparation de son préjudice moral.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MELUN
0703106/1

Audience du 17 septembre 2010
Lecture du 1 er octobre 2010

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la requête, enregistrée le 17 avril 2007, présentée pour M. R., demeurant ..., par la SCP Cabinet Brusa, avocat ; M. R. demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande d'indemnisation et de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser une somme de 200 000 euros en réparation du préjudice moral que lui a causé la perte de son dossier médical ;

2°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. R. soutient qu'ayant reçu une injection d'estérasine à l'hôpital ... à ..., une hépatite C chronique et évolutive s'est déclarée ; qu'il a mis en cause devant le juge civil les fournisseurs de cette substance, la société Baxter en 2004 ; que le tribunal ayant prescrit une expertise, M. R. a demandé plusieurs fois par oral son dossier médical puis par deux courriers des 9 mai et 27 juin 2005 ; qu'il lui a été répondu par lettre du 30 juin 2005 que le dossier avait été égaré ; que les fautes de fonctionnement dans l'organisation du service public de l'hôpital sont ainsi avérées ; que le devoir d'information et de confidentialité a été méconnu ; qu'il était au moment de ces démarches affaibli par la maladie ; que cette perte a fragilisé sa demande devant le juge civil et l'a traumatisé ; que la société Baxter en a profité lors de cette instance pour nier tout lien de causalité entre l'hépatite et l'injection ; que son préjudice est ainsi d'autant plus caractérisé ; que deux autres dossiers concernant des cas similaires au sien ont également disparu et que son dossier comportait des informations confidentielles ;

Vu la décision attaquée ;

Vu l'avis de réception de la demande ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 mars 2009, présenté pour M. R. qui conclut aux mêmes fins que sa requête ; il soutient en outre que s'il a obtenu par jugement du 15 janvier 2008 du tribunal de grande instance de ... une indemnité de 120 000 euros en réparation de sa contamination, la perte de son dossier n'a pas été retenue ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 août 2010, présenté par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris qui conclut à titre principal au rejet de la requête ; elle soutient que la perte du dossier médical n'a causé aucun préjudice au requérant et à titre subsidiaire si sa responsabilité est reconnue, à ramener le montant des réparations demandées à un niveau plus réaliste ;

Vu le mémoire, enregistré le 9 septembre 2010, présenté pour M. R. qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 septembre 2010 :

- le rapport de M. Guillou, rapporteur ;
- les conclusions de Mme Larsonnier, rapporteur public ;
- et les observations de Me Henaut, avocat représentant les intérêts de M. R. ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique : « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé. Ce délai est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de cinq ans [...] La consultation sur place des informations est gratuite. Lorsque le demandeur souhaite la délivrance de copies, quel qu'en soit le support, les frais laissés à sa charge ne peuvent excéder le coût de la reproduction et, le cas échéant, de l'envoi des documents » ; qu'aux termes de l'article R. 1111-7 du code de la santé publique, alors en vigueur : « Dans les établissements publics de santé et les établissements de santé privés participant à l'exécution du service public hospitalier, les informations concernantla santé des patients sont conservées conformément à la réglementation relative aux archives publiques hospitalières » ; qu'aux termes de l'article 7 de l'arrêté interministériel du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières : « Les archives hospitalières... et les archives médicales sont conservées au siège de l'établissement... » ; qu'en vertu du tableau relatif aux délais de conservation des archives médicales qui figure dans cet arrêté, les registres d'entrées et de sorties des malades sont conservés indéfiniment ; que les dossiers médicaux des malades (diagnostics, observations...) sont conservés indéfiniment pour les affections de nature héréditaire susceptibles d'avoir des répercussions pathologiques ou traumatisantes sur la descendance, 70 ans pour la pédiatrie, la neurologie, la stomatologie et les maladies chroniques, et 20 ans dans les autres cas ;

Considérant qu'il est établi que M. R. est suivi à l'hôpital ... de ... pour un oedème angioneurotique héréditaire depuis 1975 et qu'il y a été hospitalisé en novembre 1985 ; que, dès lors, il appartenait à l'hôpital de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la conservation du dossier médical de M. R. ; qu'il résulte de l'instruction que M. R. a demandé audit établissement hospitalier par courriers en date des 9 mai et 27 juin 2005 la communication de son dossier médical ; que l'hôpital lui a fait savoir par courrier en date du 30 juin 2005 qu'il n'est pas en mesure de lui transmettre les informations contenues dans son dossier médical, « celui-ci ayant été égaré » ; qu'il suit de ce qui précède que la disparition et la non communication du dossier médical de M. R. constituent un manquement de l'hôpital ... de ... à ses obligations de conservation et de communication des archives médicales qui révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service engageant la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Sur le préjudice :

Considérant que si l'absence de communication de son dossier n'a pas fait obstacle à ce que M. R. obtienne gain de cause dans la procédure judiciaire qu'il a engagée, il ressort de l'instruction que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de cette non communication, le laissant notamment dans l'incertitude alors qu'il était fragilisé par la maladie pendant le déroulement de la procédure judiciaire ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. R. en fixant à 3 000 euros le montant de l'indemnité que devra lui verser à titre de réparation l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Sur les conclusions tendant à I 'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. R. et non compris dans les dépens ;

DECIDE:

Article 1er : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera la somme de 3 000 euros à M. R..

Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à M. R. la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. R. est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. R., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à l'hôpital ....