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Tribunal Administratif Lyon, 22 novembre 1989, M. X. - Cession à titre gratuit de terrain communal

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DÉPARTEMENTS ET COMMUNES. - Communes. Domaine. Domaine privé. Biens immobiliers. Cession amiable à titre gratuit. Possibilité (oui). Condition. Libéralité (non).

Trib. adm. Lyon, 2e Ch., 22 novembre 1989 ; X.

L'article L. 311-8 du Code des communes relatif à la cession à titre onéreux des immeubles appartenant aux communes a été abrogé par l'article 21 de la loi du 2 mars 1982 modifiée ; en l'absence d'un principe général du droit s'y opposant, la cession amiable et à titre gratuit des biens immobiliers du domaine privé communal ne saurait en principe être interdite; toutefois, cette aliénation à litre gratuit ne doit pas constituer une simple libéralité sans compensation pour la commune ou l'intérêt général dont elle a la charge.

ANNOTER : J.-Cl. Administratif, Fasc. 126-3.
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Le Tribunal ;
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*Vu le Code des communes ; - Vu le Code de l'urbanisme ; - Vu le Code des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel ; - Considérant que pour demander l'annulation de la délibération attaquée, M. soutient que la cession à titre gratuit autorisée par cette délibération au profit de l'O.P.A.C. du Rhône constitue une subvention indirecte illégale ; - Considérant que l'article L. 311-8 du Code des communes relatif à la cession à titre onéreux des immeubles appartenant aux communes a été abrogé par l'article 21 de la loi du 2 mars 1982 modifiée ; qu'en l'absence d'un principe général du droit s'y opposant, la cession amiable et à titre gratuit des biens immobiliers du domaine privé communal ne saurait en principe être interdite ; que toutefois, cette aliénation à titre gratuit ne doit pas constituer une simple libéralité sans compensation pour la commune ou l'intérêt général dont elle a la charge ; - Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la cession contestée est intervenue au profit d'un établissement public dans le cadre de la réalisation d'un projet de construction de logements sur le territoire de la commune de Caluire et Cuire ; qu'ainsi, dès lors, que cette aliénation s'inscrit dans le cadre d'une opération d'intérêt communal, la délibération attaquée ne saurait être entachée d'illégalité du seul fait qu'elle autorise une cession d'un immeuble communal à titre gratuit ; que, par suite, M. n'est pas fondé à en demander l'annulation.
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Décide :

- Article 1er . - La requête de M. est rejetée.
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- Article 2. - Le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l'article R. 177 du Code des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel.
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MM. J. Rouvière, prés., Ph. Buchin, cons. rapp., Veslin, com. du gouv. , Me Choulet, av.
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Observations. - Le jugement ci-dessus rapporté renferme un considérant de principe qui, à l'évidence, retiendra l'attention, dans la mesure où il décide que - la cession amiable et à titre gratuit des biens immobiliers du domaine privé communal ne saurait en principe être interdite ”... à la condition, bien sûr, qu'elle ne constitue pas “ une simple libéralité sans compensation pour la commune ou l'intérêt général dont elle a la charge ”.

La formule, tout au moins la première partie de celle-ci, a, de prime abord, une tonalité un peu surprenante. Elle donne corps, en réalité, à une solution qui est juridiquement convaincante et qui, par ailleurs, est éminemment souhaitable, dans l'intérêt public même.

Un conseiller municipal, membre de la minorité politique de l'assemblée communale, a cherché à contester devant le juge administratif, la délibération par laquelle le conseil dont il était membre, avait décidé de céder gratuitement à l'office publie d'aménagement et de construction du département, deux parcelles de terrains situées sur le territoire de la commune.

La jurisprudence n'admet la recevabilité des recours formés, ès-qualités, par les conseillers municipaux, que dans des limites très étroites : lorsque l'irrégularité soulevée porte atteinte aux prérogatives liées à l'exercice de leur mandat électif (Cons. d'État 1er mai 1903, Bergeon : S. 1903, III, 1, note Hauriou) ; pour le reste, c'est-à-dire en l'occurrence, pour l'essentiel, la demande est irrecevable (Cons. d'État 30 janvier 1903, Dupouy : Lebon, p. 84 ; sur la question, cf. en particulier: B. Bachellerie et P. Girault, l'intérêt pour agir des membres des assemblées délibérantes, note sous Trib. adm. Strasbourg 20 mars 1986, Maire de Hatten : Rev. fr. dr. adm. 1987, p. 536). L'intéressé ayant en l'espèce pris soin de mentionner dans sa requête l'adresse de son domicile, le tribunal a pu ainsi, mais sans le dire expressément, considérer qu'il agissait à titre personnel, en tant que contribuable communal (Cons. d'État 29 mars 1901 : Lebon, p. 333 ; S. 1901, III, 73 note Hauriou). La demande étant recevable, le tribunal allait ainsi pouvoir trancher le fond.

L'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités est une règle coutumière, sans doute si profondément ancrée dans nos traditions politiques et juridiques, qu'elle n'a jamais fait, en tant que telle, l'objet d'une formulation législative. On serait, en outre, en peine de citer beaucoup de jurisprudence invoquant un principe, pourtant aussi communément et unanimement admis. De fait, l'interdiction trouve son fondement dans le principe d'égalité “ qui régit le fonctionnement des services publics ” (pour reprendre la formule de principe de l'arrêt Société des concerts du conservatoire, Cons. d'Etat, 9 mars 1951 : Lebon, p. 151 ; Droit social 1951, p. 368, concl. Letourneur et note Rivero). Il n'est guère nécessaire d'expliquer longuement en quoi une libéralité romprait l'égalité entre le citoyens ou les administrés...

A l'inverse du domaine public, le domaine privé est traditionnellement aliénable ; mais cela à des conditions depuis longtemps fixées par des textes (1).

S'agissant des immeubles du domaine privé de l'État, l'article L. 54 du Code du domaine de l'État prévoit que ceux qui ne sont pas susceptibles d'être affectés ou utilisés, sont aliénés par le service des domaines qui en recouvre le prix. L'aliénation ne peut donc être en ce cas que le résultat d'une vente.

S'agissant des immeubles communaux, le Code des communes a comporté jusqu'à l'adoption de la loi du 2 mars 1982 relative à leurs droits et libertés, un article L. 311-8 qui disposait que les immeubles ou droits immobiliers appartenant aux communes et à leurs établissements publics devaient être vendus par adjudication avec publicité et concurrence. On peut signaler, d'une manière plus générale, que lorsqu'une procédure d'aliénation a été spécifiée par la loi, les juridictions administratives considèrent qu'elle est exclusive de toute autre procédure ou mode d'aliénation (pour ce qui concerne les chemins ruraux et la procédure de l'article 69 du Code rural, cf. Cons. d'État, 20 février 1981, Cristakis de Germain : Lebon, p. 637 ; ou encore, 23 mai 1986, Consorts Richard : Lebon, p. 147).

L'article L. 311-8 précisait toutefois que des dispositions spéciales permettaient de déroger à la règle générale exigeant une adjudication ; les dérogations intéressant essentiellement, et d'ailleurs de longue date, les parcelles d'une faible valeur vénale ou les projets de construction d'habitation à loyer modéré (V. notamment sur ce point, A. 1er septembre 1955, modifié, relatif à l'aliénation des immeubles appartenant aux départements, communes et établissements publics départementaux et communaux).

La loi du 2 mars 1982 a purement et simplement abrogé l'article L. 311-8 du Code des communes. Elle a donc “ déréglementé ” - si l'on tolère ici ce barbarisme - les modes d'aliénation des biens communaux. Pour l'essentiel, cela signifie que les communes ne sont plus tenues de suivre une procédure d'adjudication, pour les opérations, bien entendu, qui relevaient antérieurement de l'application de l'article L. 311-8. En outre, elles ne sont désormais plus obligées de demander un avis à l'Administration des domaines préalablement à la transaction. En parallèle, peut-on dire, et pour sa part, le Conseil d'État considère aujourd'hui que les communes ne sont pas obligées de vendre “ au mieux offrant ” les biens qu'elles décident d'aliéner (Cons. d’Etat 12 juin 1987, Commune de Cestas : Lebon, p. 729). Le Tribunal administratif de Toulouse a récemment jugé qu'aucun texte n'imposait actuellement que la délibération, par laquelle le conseil municipal autorise le maire à céder ou à louer un immeuble communal, fasse référence à une évaluation de la valeur du bien ou intervienne au vu d'une évaluation (20 juillet 1988, Teron : Rec. de jugements trib. adm., année 1988, Litec 1989, n° 60, P. 86).

Pour autant, bien évidemment, les communes ne peuvent pas aujourd'hui comme hier, consentir des libéralités. Il s'impose donc là un bref rappel concernant le concept même de libéralité.

La disposition à titre gratuit - on le sait - suppose, bien au-delà d'un simple manque à gagner, un indéniable “ appauvrissement ” et une absence délibérée de contrepartie. Tel n'est pas le cas dans la situation qui nous intéresse ici, puisque la cession “ à titre gratuit ” ne l'est en fait qu'en apparence ; elle doit nécessairement permettre la construction de logements sociaux. L'opération projetée s'inscrit donc dans une perspective qui ressortit sans conteste aux compétences communales.

Le bénéficiaire de la cession était, en l'occurrence, rappelons-le, un office public d'aménagement et de construction, établissement public chargé notamment de réaliser, pour le compte des collectivités locales ou à tout le moins avec leur accord, des logements sociaux.

L'article L. 431-4 du Code de la construction, que ne vise pas le tribunal, prévoit que les départements et communes peuvent consentir des prêts aux offices, leur allouer des subventions ou encore leur faire apport de terrains ou de constructions. Les conditions générales d'emploi des aides et apports devant être déterminées par une convention. C'est bien dans ce cadre juridique là qu'est finalement intervenue la délibération contestée autorisant la cession. Sa régularité ne pouvait dès lors être sérieusement mise en cause.

On remarquera toutefois que la formule retenue par le tribunal a un champ d'application potentiel sensiblement plus vaste que le cas d'espèce. Le jugement se réfère en effet à “ une opération d'intérêt communal ” et l'on sait la diversité des objets qui, d'après la jurisprudence, sont susceptibles de correspondre à un “ intérêt public local ” et qui, à ce titre, autorisent l'octroi d'aides matérielles ou financières à des personnes privées... On peut donc penser que la cession gratuite, à une personne privée, d'un terrain du domaine privé communal, ne saurait, pour le tribunal, être en elle-même illégale, dès lors qu'il y aurait une “ compensation pour la commune ou l'intérêt général dont elle a la charge ”.

Il y a déjà longtemps que le Conseil d'État a reconnu comme participant de “ l'exécution même d'une mission de service public ”, le fait pour une commune, d'avoir parmi d'autres avantages, cédé à une entreprise et pour 1 F le mètre carré, un terrain destiné à permettre son installation sur le territoire communal (Cons. d’Etat 26 juin 1974, Société La Maison des isolants France : Lebon, p. 365, Rev. dr. publ. 1974, p. 1486 note Auby). Ce qui importe donc, ce n'est pas tant la valeur pécuniaire de la contrepartie de l'aliénation, que la “ valeur ” sociale ou économique (et fréquemment les deux à la fois) de la contre-prestation que s'engage à fournir le bénéficiaire de la cession. Le contrôle du juge sera, en la matière, celui du détournement de pouvoir, et surtout de l'erreur manifeste d'appréciation, des autorités ayant décidé l'aliénation (Cf. par analogie, à propos d'un contentieux portant sur la fixation du prix d'un bail emphytéotique par une commune : Trib. adm. Clermont-Ferrand, 28 juin 1984, Boucheix et autres : Lebon, p. 718).

Comme l'affirme le tribunal, aucun principe général du droit ne peut aujourd'hui s'opposer à ce qu'une aliénation du domaine privé communal ne soit pas véritablement une vente.

Jean-François DAVIGNON,
Maître de conférences à l'Université

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(1) Parmi les dispositions les plus anciennes, on peut citer les lois du 21 prairial an IV et du 9 ventôse an XII qui prévoient le partage des communaux, mais l'interdisent à titre gratuit.