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Tribunal de grande instance de Rennes, ordonnance de référé, 15 octobre 2009, RG 09/00588 (Agence de la biomédecine – CECOS – Assistance médicale à la procréation – Insémination post-mortem)

Par ce jugement, se pose la question de savoir si une femme peut se voir restituer les paillettes de sperme de son concubin ou de son mari défunt afin de disposer librement des gamètes non fécondés et de se faire inséminer en vue de porter leur enfant ; cette interrogation fait actuellement débat dans le cadre de la révision des lois de bioéthique.
En l’espèce, en 2006, un homme vivant en concubinage avec sa future épouse, est atteint d’un cancer dont le traitement était potentiellement stérilisant. Il fait alors une demande d’autoconservation de sperme à visée thérapeutique auprès du centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) pour une éventuelle fécondation in vitro. Après son décès, son épouse réclame la restitution des paillettes afin de faire réaliser une insémination post mortem dans un pays européen où la loi est plus permissive. Dans une ordonnance de référé rendu le 15 octobre 2009, le tribunal de grande de Rennes a rendu un jugement déboutant la veuve de sa requête. Les juges du fond ont en effet fait une stricte application de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique qui dispose que font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons, le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l'assistance médicale à la procréation. La cour d’appel relève en effet que le défunt ne s’était jamais exprimé de son vivant sur la question de la liberté et du droit de l'homme décédé à procréer, et qu’en présence des dispositions claires, non équivoques et non susceptibles d'interprétation du Code de la santé publique, le refus du CECOS de restituer les gamètes à la veuve était justifié.

Tribunal de Grande Instance de Rennes 15 octobre 2009 N° 09/00588

REFERE

N° 09/674

ORDONNANCE

DEMANDERESSE AU REFERE :

Madame ...

représentée par Maître Gilbert COLLARD, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDEUR AU REFERE :

LE CECOS

prise en la personne de ses représentants légaux, dont le siège social est sis CHU de Rennes - 16 Boulevard de Bulgarie - 35000 RENNES

représentée par Maître Michel POIGNARD, avocat au barreau de RENNES

PARTIE INTERVENANTE :

Le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE près du tribunal de grande instance de RENNES

sis TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE - 7 rue Pierre Abélard - 35000 RENNES

représentée par Madame VTVIEN, Vice-Procureur

LE PRESIDENT : Dominique COUTURIER,

LE GREFFIER : Karen RICHARD, Greffier des référés lors des débats et lors du prononcé, qui a signé la présente ordonnance.

DEBATS

à l' audience publique du 23 Septembre 2009,

ORDONNANCE : prononcée et mise à disposition au Greffe des

Référés le 15 Octobre 2009, date indiquée à l' issue des débats ;

Par acte du 05 août 2009, Madame ... a assigne devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes le centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme de l'Ouest ( CECOS ),

en vue de :

- constater le refus par le CECOS de l'Ouest d'exécuter ses obligations contractuelles,

- constater en conséquence l'existence d'un trouble manifestement illicite,

- enjoindre au CECOS de l'Ouest d'avoir à remettre sans délai, à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 100 € par jour de retard, les paillettes conservées sous le N° C 10 06 071, dans un état permettant leur conservation dont ... assumera le coût.

Elle expose en effet avoir vécu en concubinage stable avec Monsieur ... qui avait présenté, le 05 avril 2006, une demande d'autoconservation de sperme à visée thérapeutique, auprès du CECOS de l'Ouest, après le diagnostic début 2006, d'un cancer ( sarcome périnéal ) rendant nécessaire des traitements par chimiothérapie et radiothérapie.

Elle ajoute avoir épousé Monsieur ... le 28 juin 2008, qui décédait des suites de sa maladie le 20 septembre 2008.

Elle précise avoir demandé le maintien de la conservation des gamètes et souhaité obtenir leur restitution, en application des dispositions contractuelles ayant existé entre son mari, elle même et le CECOS, dans le but de bénéficier d'une aide à la procréation.

Le CECOS de l'Ouest conclut à titre principal à l'irrecevabilité de l'action, en soulignant qu'il ne dispose pas de la personnalité juridique mais constitue, depuis 1995, un service du centre hospitalier régional et universitaire de Rennes, relevant du pôle gynécologique-obstétrique-biologie de la reproduction.

A titre subsidiaire, il conclut au rejet de la demande, au visa des articles L 2141-2 du code de la santé publique, et rappelle les termes de la demande d'autoconservation en date du 05 avril 2006.

Le procureur de la république de Rennes, partie intervenante, conclut à l'incompétence du juge des référés, en l'absence de trouble manifestement illicite.

Sur le fond, il ajoute que les dispositions de l'article 1147 du code civil sont inapplicables en l'espèce, la demanderesse n'étant pas partie au contrat éventuellement conclu avec le service hospitalier. Il rappelle que le CECOS n'a aucune obligation de restitution en cas de décès du donneur.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l' action

Si l'assignation à comparaître a été délivrée au seul centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains de l'ouest, force est de constater que l'huissier a précisé que l'acte avait été remis au laboratoire rattaché au centre hospitalier régional et universitaire de Rennes, pris en la personne de son représentant légal domicilié au siège de l'université.

H s'ensuit qu'à la suite de l'intégration du CECOS au sein du CHRU de Rennes, depuis le 1 janvier 1995, et de la délivrance de l'assignation au responsable du laboratoire qui a pu prendre connaissance des pièces du dossier et utilement conclure, l'action intentée par Madame ... doit être déclarée recevable.

Sur la demande de restitution

En application de l'article 809 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser ou un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, l'article 214-1-1 du code de la santé publique définit

l'assistance médicale à la procréation et l'article L 2141-2 ajoute qu'elle est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple.

L'alinéa 2 du texte ajoute que l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons et à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons, le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation.

Dans ce cadre, Monsieur ... signait le 05 avril 2006, avec le responsable du CECOS de l'Ouest une demande d'autoconservation de sperme à visée thérapeutique, dans les conditions définies par la loi de bioéthique du 06 août 2004.

L' acte précisait notamment :

- que la conservation du sperme est strictement personnelle,

- que le CECOS effectue la congélation et assure la conservation du sperme pour une durée d'un an renouvelable,

- un an après la première congélation, un courrier vous sera envoyé pour la maintenance et ceci tous les ans jusqu'à l'arrêt de la conservation. En cas de non réponse à ce courrier, une LR avec AR vous sera adressée pour vous informer que, sauf avis contraire de votre part, dans un délai de un mois après réception de ce recommandé, il sera procédé à l'arrêt de la conservation,

- que le sperme conservé ne pourra être utilisé que pour le patient présent et consentant.

Ainsi à la suite du décès de Monsieur ..., d'une part, qui de son vivant ne s'était jamais exprimé sur la question de la liberté et du droit de l'homme décédé à procréer, et en présence de ces dispositions claires, non équivoques et non susceptibles d'interprétation, qui excluent tout projet de procréation médicalement assistée formée par une personne seule à la suite du décès de l'un des membres du couple, il apparaît que le refus du CECOS de restituer les gamètes à la seule Madame ... était justifié.

En l'absence de trouble manifestement illicite, et des conditions d'application de l'article 809 du code de procédure civile précité, il y a lieu en conséquence, de rejeter les demandes de Madame ..., qui recherchait en définitive à contourner l'application de la loi française qui prohibe l'insémination post-mortem, en se rendant ultérieurement en Belgique ou en Espagne afin de bénéficier d'une réglementation conforme à ses souhaits.

Au surplus, aux termes de cette démarche réalisée auprès du CECOS, par le seul donneur, célibataire à l'époque du recueil, la preuve de l'existence d'un lien contractuel entre Madame ... et le CECOS n'est pas rapportée et les dispositions de l'article 1147 du code civil sont ainsi inapplicables au cas d'espèce.

PAR CES MOTIFS

Nous, Dominique COUTURIER,. Président du tribunal de grande instance de Rennes, statuant en qualité de juge des référés, publiquement, contradictoirement et à charge d'appel,

Rejetons l'ensemble des demandes de Madame ...,

La condamnons aux dépens.

Et ont signe,

LE GREFFEER Le JUGE DES REFERES