En l'espèce, Mme T., orthophoniste libérale, a assuré en tant que vacataire des prestations d'orthophonie au sein d'une équipe spécialisée dans la réparation des fentes labio-palatines au sein d'un établissement public de santé. Mme T. a poursuivi ses activités après avoir atteint la limite d'âge de départ à la retraite. Elle réclame devant le Tribunal administratif de Paris le paiement des vacations effectuées après l'atteinte de cette limite d'âge, paiement qui lui est refusé par l'hôpital.
Le Tribunal administratif de Paris considère que "la survenance de la limite d'âge entrainant de plein droit la rupture des liens de Mme T. avec l'établissement public de santé, la requérante n'avait aucun droit à poursuivre les activités qu'elle menait au sein du service ; que, par suite, elle ne saurait se prévaloir d'un préjudice résultant de ce que les vacations irrégulièrement effectuées n'ont pas donné lieu à une rémunération à laquelle elle n'avait pas droit". Pour autant, les juges déclarent l'établissement public de santé fautif d'avoir, en connaissance de cause, continué à utiliser les services de la requérante : "(...) il résulte de l'instruction (...) que Mme T. a continué à assurer ses vacations à la demande insistante du Docteur D, responsable de l'équipe en charge des fentes labio-palatines en 2002, qu'il lui a toujours été assuré qu'une solution administrative permettrait la régularisation de sa situation, que la direction des ressources humaines de l'hôpital avait été informée, dès 2005, des activités de Mme T. au sein de l'établissement, et qu'il ne lui a été demandé de cesser ses activités que le 27 mars 2009 ; que l'utilisation, dans des conditions précitées, des services de la requérante, en situation irrégulière, durant une période de plusieurs années, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement de santé, qui ne saurait sérieusement soutenir qu'elle est restée dans l'ignorance des activités de la requérante jusqu'en janvier 2007 et que celle-ci a librement choisi d'effectuer des consultations en tant que bénévole".
Le Tribunal reconnait enfin la faute de la requérante pour avoir continué ses activités sans accord du directeur de l'établissement public de santé ou de l'un de ses représentants titulaires d'une délégation de signature. "Cette faute, si elle ne saurait exonérer l'établissement public de santé de sa propre faute, est de nature à réduire de moitié la responsabilité encourue par cette dernière".
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS
(5ème Section - 2ème Chambre)
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N°0917981/5-2
Audience du 31 mars 2011
Lecture du 28 avril 2011
Vu la requête, enregistrée le 12 novembre 2009, présentée pour Mme ..., demeurant ..., par Me Bouret ; Mme ... demande au tribunal :
A titre principal :
- d'annuler la décision du directeur du groupe hospitalier ... rejetant sa demande préalable en date du 2 septembre 2009 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 6 137,56 euros au titre du paiement des vacations régulièrement effectuées entre janvier 2002 et mars 2009 ainsi qu'aux intérêts légaux et à la capitalisation des intérêts à compter du 1er janvier 2002 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 3 500 euros au titre de la réparation du préjudice causé par la résistance abusive de l'établissement ;
- de mettre à la charge de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés et non compris dans les dépens ;
A titre subsidiaire :
- d'annuler la décision du directeur du groupe hospitalier ... rejetant sa demande préalable en date du 2 septembre 2009 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 28 600 euros au titre du paiement des prestation d'orthophoniste libérale requise par le service public hospitalier entre janvier 2002 et mars 2009 ainsi qu'aux intérêts légaux et à la capitalisation des intérêts à compter du 1er janvier 2002 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 3 500 euros au titre de la réparation du préjudice causé par la résistance abusive de l'établissement ;
- de mette à la charge de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés et non compris dans les dépens ;
A titre infiniment subsidiaire :
- d'annuler la décision du directeur du groupe hospitalier ... rejetant sa demande préalable en date du 2 septembre 2009 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 28 600 euros au titre du manque à gagner occasionné par sa participation à l'exécution du service public hospitalier entre janvier 2002 et mars 2009 ainsi qu'aux intérêts légaux et à la capitalisation des intérêts à compter du 1er janvier 2002 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 3 500 euros au titre de la réparation du préjudice causé par la résistance abusive de l'établissement ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 500 euros au titre de la réparation des frais par elle exposés pour participer à une mission de service public entre janvier 2002 et mars 2009 ;
- de condamner l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris à la somme de 3 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral ;
- de mettre à la charge de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés et non compris dans les dépens ;
Vu la décision rejetant la demande préalable d'indemnisation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu le décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu l'arrêté du Vice-président du Conseil d'Etat en date du 18 mars 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2011 :
- le rapport de M. Dubois ;
- et les conclusions de M. Huc, rapporteur public ;
Considérant que Mme ..., orthophoniste libéral, a assuré en tant que vacataire, depuis 1980, au sein de l'hôpital ..., des prestations d'orthophonie au sein d'une équipe spécialisée dans la réparation des fentes labio-palatines ; que, bien qu'atteinte par la limite d'âge en janvier 2002, elle a continué ses vacations jusqu'en 2004, puis a assuré jusqu'en 2006 la formation de deux orthophonistes destinées à la remplacer au sein de l'équipe pour laquelle elle travaillait, avant de reprendre un certain nombre de consultations de l'année 2006 à l'année 2009 ;
Considérant que la décision du directeur du groupe hospitalier ... a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de Mme ... qui, en formulant les conclusions susanalysées, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux ; que, au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision rejetant sa demande d'indemnisation est inopérant ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne les préjudices tirés de l'absence de rémunération des vacations effectuées et de l'utilisation fautive des services de la requérante :
S'agissant des fautes alléguées :
Considérant que la survenance de la limite d'âge entraînant de plein droit la rupture des liens de Mme ... avec l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, la requérante n'avait aucun droit à poursuivre les activités qu'elle menait au sein du service ; que, par suite, elle ne saurait se prévaloir d'un préjudice résultant de ce que les vacations irrégulièrement effectuées n'ont pas donné lieu à une rémunération à laquelle elle n'avait pas droit ;
Considérant, cependant, qu'il résulte de l'instruction, et notamment d'un courrier du chirurgien plastique responsable de la consultation des fentes labio-palatines, en date du 10 décembre 2008, que Mme ... a continué à assurer ses vacations à la demande insistante du Dr ..., responsable de l'équipe en charge des fentes labio-palatines en 2002, qu'il lui a toujours été assuré qu'une solution administrative permettrait la régularisation de sa situation, que la direction des ressources humaines de l'hôpital avait été infonnée, dès 2005, des activités de Mme ... au sein de l'établissement, et qu'il ne lui a été demandé de cesser ses activités que le 27 mars 2009 ; que l'utilisation, dans les conditions précitées, des services de la requérante, en situation irrégulière, durant une période de plusieurs années, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, qui ne saurait sérieusement soutenir qu'elle est restée dans l'ignorance des activités de la requérante jusqu'en janvier 2007 et que celle-ci a librement choisi d'effectuer des consultations en tant que bénévole ;
S'agissant de la cause exonératoire :
Considérant que la requérante, qui effectuait des vacations pour l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris depuis 1980, ne pouvait ignorer la situation irrégulière dans laquelle elle se trouvait, et s'est contentée, pour continuer à exercer ses activités, des sollicitations du médecin responsable de la consultation à laquelle elle était rattachée avant d'atteindre l'âge limite de départ à la retraite, en s'abstenant de recueillir l'accord du directeur de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, ou du chef d'établissement éventuellement titulaire d'une délégation, seul légalement compétent pour procéder à un recrutement, en vertu des dispositions du code de la santé publique applicables au fonctionnement de l'établissement ; que cette faute, si elle ne saurait exonérer l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris de sa propre faute, est de nature à réduire de moitié la responsabilité encourue par cette dernière ;
Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation de la responsabilité encourue par l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus précisé, en condamnant cette dernière à la somme de 3 000 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent jugement ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
Considérant, d'une part, que l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris a défendu au fond à titre principal et n'a invoqué le défaut de décision préalable qu'à titre subsidiaire, sans au demeurant conclure à l'irrecevabilité des conclusions sur ce chef de préjudice ; que dès lors, l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris a lié le contentieux ;
Considérant, d'autre part, qu'ainsi qu'il a déjà été dit, Mme ... a effectué des vacations, dont a profité l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, sans se trouver dans une situation régulière ; qu'elle a ainsi subi un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant la somme de 1 500 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent jugement ;
En ce qui concerne le préjudice résultant de la « résistance abusive » de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et des divers frais engagés pour participer à une mission de service public :
Considérant que Mme ... n'apporte à l'appui de ses prétentions aucun élément de nature à établir la réalité d'un dommage distinct de celui analysé ci-dessus ; que, par suite, les conclusions de la requérante tendant à obtenir, d'une part, une indemnité d'un montant de 3 500 euros au titre de la résistance abusive de l'administration et, d'autre part, une autre indemnité d'un montant de 5 000 euros en dédommagement des frais exposés dans le cadre des prestations d'orthophonie doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme ... et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article 1 : L'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme ... les sommes de 3 000 (trois mille) euros et de 1 500 (mille cinq cents) euros, y compris tous intérêts échus au jour du présent jugement.
Article 2 : L'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris versera à Mme ... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme ... et à l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2011, à laquelle siégeaient :
M. Laurent, président,
Mme Thibau-Lévêque, premier conseiller,
M. Dubois, conseiller,
Lu en audience publique le 28 avril 2011.