En l’espèce, en raison de troubles d’occlusion dentaire, une patiente a bénéficié entre 1986 et 1994 de soins d’orthodontie au sein des services d’un hôpital de l’AP-HP. Ce traitement a donné lieu à des difficultés rencontrées entre 1997 et 1999. Après avoir saisi l’AP-HP d’une demande d’indemnisation préalable qui a été rejetée, l’intéressée a formé un recours indemnitaire devant le tribunal administratif lequel a, par un jugement, condamné l’administration au versement d’une somme du fait de la négligence dans les soins qui lui ont été prodigués, de l’absence d’utilité thérapeutique de ces soins et du caractère erroné des options thérapeutiques initialement prises et pourtant maintenues. Après avoir sollicité auprès du même hôpital, la poursuite de son traitement interrompu en 1999, cette patiente s’est heurtée à un refus signifié par courrier aux termes duquel le chef de service d’odontologie ne souhaitait plus la prendre en charge dans son service compte tenu des antécédents la concernant. Or, par ce jugement, le tribunal administratif de Paris a considéré que la décision par laquelle l’AP-HP a refusé à la patiente l’accès aux soins que nécessitait son état de santé, sans lui proposer d’autre établissement participant au service public hospitalier susceptible de lui prodiguer des soins, a interrompu la continuité de la prise en charge par ce service public. Il ajoute que les raisons invoquées par l’AP-HP liées aux difficultés relationnelles entre la patiente et l’équipe médicale qui l’avait suivie jusque-là ne pouvaient en l’espèce lui permettre de refuser les soins demandés dès lors que ce refus a nui à l’état de santé de l’intéressée et que la continuité des soins n’était pas assurée en méconnaissance des articles L. 1110-1, L. 6112-1, R. 4127-232 et R. 4127-211 du Code de la santé publique. Ce tribunal relève par ailleurs que la communication à l’intéressée de la liste comprenant les adresses d’autres établissements de l’AP-HP susceptibles de l’accueillir a été trop tardive dans la mesure où elle lui a été communiquée plus d’un an après la décision attaquée.
1° d'annuler la décision en date du 24 mai 2004 par laquelle l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a refusé de l'admettre dans le service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu, afin qu'elle puisse y poursuivre une prise en charge médicale entamée plus tôt ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2008 :
- le rapport de M. Puigserver, rapporteur ;
Considérant qu'en raison de troubles d'occlusion dentaire, liés à un dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire, Mme S a bénéficié, entre 1986 et 1994. de soins d'orthodontie au sein des services de l'Hôtel-Dieu, établissement de l'AP-HP que ce traitement, poursuivi en collaboration avec un médecin autrichien, a donné lieu à des difficultés rencontrées entre 1997 et 1999 ; qu'après avoir saisi l'AP-HP d'une demande d'indemnisation préalable le 27 décembre 1999, rejetée le 17 avril 2000, l'intéressée a formé un recours indemnitaire devant le tribunal de céans, lequel, au vu d'un rapport d'expertise remis le 8 janvier 2002, a, par un jugement du 17 juin 2003, devenu définitif, condamné l'administration à lui verser la somme de 7 500 E, du fait de la négligence dans les soins qui lui avaient été prodigués, de l'absence d'utilité thérapeutique de ces soins et du caractère erroné des options thérapeutiques initialement prises et pourtant maintenues ; qu'après avoir sollicité auprès du même hôpital la poursuite de son traitement, interrompu en 1999, Mme S s'est heurtée à un refus, signifié par un courrier en date du 24 mai 2004 aux termes duquel « le chef du service d'odontologie [ne souhaitait] plus [la] prendre en charge dans son service compte tenu des "antécédents" la concernant »
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'AP-HP
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible » ; qu'aux termes de l'article L. 6112-1 du même code : « Le service public hospitalier est assuré 1° Par les établissements publics de santé [...] Ces établissements garantissent l'égal accès de tous aux soins qu'ils dispensent. Ils sont ouverts à toutes les personnes dont l'état requiert leurs services. Ils doivent être en mesure de les accueillir de jour et de nuit, éventuellement en urgence, ou d'assurer leur admission dans un autre établissement mentionné au premier alinéa./ Ils dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins [...] Ils ne peuvent établir aucune discrimination entre les malades en ce qui concerne les soins [...I » ;
Considérant que si l'AP-HP fait valoir que la décision attaquée est une mesure d'ordre intérieur, relevant de l'organisation interne du service public hospitalier et ne modifiant pas la situation juridique de l'intéressée, il résulte des dispositions législatives précitées que les usagers du système de santé ont droit à accéder aux soins justifiés par leur état de santé, de façon continue, dans l'un des établissements concourant au service public hospitalier ; que la décision attaquée. ainsi motivée, doit être regardée comme ayant pour objet de refuser un tel accès à Mme S, et non pas seulement, eu égard à l'absence d'alternative proposée, comme l'empêchant d'accéder à un établissement particulier de l'AP-HP ; qu'elle a en outre pour effet de la priver d'un traitement dont il n'est pas contesté qu'il est rendu indispensable par son état de santé : qu'ainsi, eu égard à sa nature et à ses effets sur la situation de l'intéressée, la décision attaquée
constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et ibn une mesure d'ordre intérieur ; que la fin de non-recevoir soit par suite être écartée ;
Sur la légalité de la décision attaquée et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 4127-232 du code de la santé publique : « Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, le chirurgien-dentiste a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons personnelles ou professionnelles, à condition :/ 1° De ne jamais nuire de ce fait à son patient ;/ 2° De s'assurer de la continuité des soins et de fournir à cet effet tous renseignements utiles./ Le chirurgien"-dentiste ne peut exercer ce droit que dans le respect de la règle énoncée à l'article R. 4127-211 »; qu'aux termes de l'article R. 4127-211 de ce code : « Le chirurgien-dentiste doit soigner avec la même conscience tous ses patients, quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminées, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur
égard 57
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée, par laquelle l'AP-HP a refusé à Mme S, ainsi qu'il a été dit, l'accès aux soins que nécessitait son état de santé, sans lui proposer d'autre établissement participant au service public hospitalier susceptible de lui prodiguer ces soins, a interrompu la continuité de sa prise en charge par ledit service public ; que la communication à l'intéressée, par un courrier en date du 8 juin 2005, soit plus d'un an après la décision attaquée, et renouvelée plusieurs fois depuis lors, d'une liste des établissements de l'AP-HP capables de l'accueillir, ne saurait avoir fait échec à cette interruption ; que les raisons invoquées par I'AP-HP, tenant aux difficultés relationnelles entre la patiente et l'équipe médicale qui l'avait suivie jusque-là, ne pouvaient, en l'espèce, lui permettre de refuser les soins demandés, dès lors que ce refus a nui à l'état de santé de l'intéressée et que la continuité des soins n'était pas assurée, en méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires précitées ; qu'il suit de là qu'en prenant ladite décision, l'AP-HP a commis une illégalité ; que cette décision doit être annulée ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 1 000 € au titre des frais engagés par Mme S et non compris dans les dépens ;
Article 1° La décision en date du 24 mai 2004 par laquelle l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a refusé d'admettre Mme S dans le service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu, afin qu'elle puisse y poursuivre une prise en charge médicale entamée il y a treize ans, est annulée.
Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à Mme S la somme de 1 000 € en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme S, à l'Assistance Publique-Hôpitaux, de Paris et à la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en cc qui le concerne, et à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.