Du moment où un enfant naît vivant, l’article 222-19 du Code pénal peut s’appliquer et entraîner la condamnation d’un médecin pour délit de coups et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois. "La seule exigence de la loi est la constatation sur autrui, en l’espèce l’enfant vivant, d’une incapacité totale de travail supérieure à trois mois résultant d’actes ou d’abstentions commis selon les distinctions prévues à l’article 121-3 du code pénal sans que soit exigée une concomitance entre les faits reprochés et la manifestation de leurs conséquences sur la victime." Que les faits à l’origine de l’incapacité se soient déroulés avant la naissance de l’enfant, qui n’était alors qu’un fœtus, n’empêchent pas le médecin d’être condamné. |
Cour de cassation, chambre criminelle
Audience publique du mardi 2 octobre 2007
N° de pourvoi : 07-81259
Rejet
Publié au bulletin
M. Cotte, président
M. Blondet, conseiller rapporteur
M. Mouton, avocat général
SCP Defrenois et Levis, SCP Richard, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux octobre deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, et de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
REJET du pourvoi formé par X... Gilles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 18 janvier 2007, qui, pour blessures involontaires, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3,222-19, alinéa 1er,222-44,222-46 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... coupable du délit de coups et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et l'a condamné à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs propres que, sur l'application de l'article 222-19 du code pénal, les prévenus ne sauraient utilement faire plaider leur relaxe au motif que l'article 222-19 du code pénal serait inapplicable s'agissant d'un foetus, dès lors qu'il est établi que l'enfant Laura Z... est née vivante et présentait des lésions gravissimes entraînant une incapacité de travail supérieure à trois mois, dont l'origine est imputable à ceux qui n'ont pas pris les mesures permettant de les éviter, en commettant des fautes caractérisées exposant l'enfant à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer ;
qu'à cet égard, la seule exigence de la loi est la constatation sur autrui, en l'espèce l'enfant vivant, d'une incapacité totale de travail supérieure à trois mois résultant d'actes ou d'abstentions commis selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal sans que soit exigée une concomitance entre les faits reprochés et la manifestation de leurs conséquences sur la victime ;
que, sur le lien de causalité, les experts, les docteurs D... et E..., ont dans un complément d'expertise examiné le dossier pédiatrique et les échographies transfontanelles et que rien ne leur a permis d'évoquer une pathologie anténatale ;
que l'ensemble des experts, dont le professeur A...et Mme B..., considère qu'une césarienne pratiquée dans les premières heures de la garde de nuit du 17 février aurait permis la naissance d'un enfant ayant moins souffert de l'anoxie et aurait évité une part majeure des séquelles dont il a été atteint ;
qu'ainsi, les abstentions et fautes commises au cours de la nuit du 17 février ont contribué à causer à l'enfant Laura Z... l'incapacité qu'elle subit (...) ;
que le docteur X... était le médecin obstétricien de garde à la Fondation Bagatelle dans la nuit du 16 au 17 février 1999 ; que le docteur X... a déclaré que Nicole C...l'a appelé vers 1 heure pour lui dire qu'elle installait Anna Z... en salle de pré-travail et affirme qu'il ne connaissait pas l'état de la patiente, mais reconnaît que Nicole C... lui avait dit qu'il y avait eu une rupture prématurée des membranes et une légère prématurité ;
qu'il indique ne pas s'être déplacé après ce premier appel ; que le docteur X... indique qu'il n'a pas vu le monitoring du 16 février, que Nicole C... ne lui a parlé que de l'épisode de bradycardie, qu'elle l'a appelé à nouveau vers 3 heures du matin pour une autre patiente, qu'à cette occasion, elle lui a montré le monitoring d'Anna Z... et que les tracés lui ont paru normaux ;
qu'il précise plus tard qu'il y avait bien un tracé inquiétant, mais qu'il était suivi d'un tracé normal ; que, pour lui, il n'était pas nécessaire de faire une césarienne et soutient que la surveillance du monitoring est le travail de la sage-femme et que celle-ci n'avait qu'à l'appeler s'il y avait quelque chose d'anormal et qu'il serait intervenu de suite, d'autant qu'il dormait sur place, n'ayant quitté le service qu'à 8 heures 30 minutes ;
qu'il est constant que le docteur X... savait par Nicole C... qu'Anna Z... présentait une rupture ancienne des membranes et qu'il y avait prématurité ; qu'il apparaît qu'il n'a pas consulté le dossier de la patiente afin d'évaluer la situation avec exactitude et ne reviendra pas la voir à l'issue de sa première visite, s'en remettant au contrôle de Nicole C..., alors qu'il résulte de l'expertise du professeur A... et de Mme B... que le docteur X... n'aurait jamais dû quitter la salle de naissance après l'appel de la sage-femme vers 2 heures 30 minutes et que la césarienne s'imposait sans ambiguïté ;
que ce comportement établit à l'encontre du docteur X... une faute caractérisée exposant l'enfant à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait, en sa qualité de médecin, ignorer ; qu'en conséquence c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le docteur X... dans les liens de la prévention ;
" et aux motifs adoptés que, selon les experts, une césarienne pratiquée à 11 heures le 17 février 1999 n'aurait rien changé en raison du rythme cardiaque foetal plat et micro oscillant avant 11 heures, ce qui traduisait un état d'hypoxie sévère, d'autant plus que le liquide méconial s'était teinté ;
" 1°) alors que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que le délit réprimant les coups et blessures involontaires causés à autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois soit étendu au cas de blessures ayant causé au foetus une incapacité ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, légalement condamner le docteur X... du chef de coups et blessures involontaires pour ne pas avoir apporté les soins nécessaires au foetus ;
" 2°) alors que, subsidiairement, en se bornant à affirmer, pour décider que le docteur X... avait commis une faute pénale, qu'il aurait dû pratiquer une césarienne dès 20 heures le 16 février 1999, sans rechercher, comme elle y était invitée, si à ce moment, il ignorait que l'accouchement présentait un caractère dystocique, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que, à titre également subsidiaire, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer, pour décider que le docteur X... avait commis une faute pénale, qu'il aurait dû réaliser une césarienne à 2 heures 30 minutes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la circonstance que le tracé du monitoring d'Anna Z... était redevenu normal à ce moment rendait le diagnostic difficile, de sorte que l'erreur de diagnostic effectuée par le docteur X... ne constituait pas une faute pénale ;
" 4°) alors que, très subsidiairement, le délit réprimant les coups et blessures involontaires causés à autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois suppose l'existence d'un lien de causalité certain entre la faute et l'incapacité ; que le délit n'est pas constitué lorsque la faute a uniquement fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour le docteur X..., de s'être abstenu de réaliser une césarienne à 2 heures 30 minutes caractérisait le délit de blessures involontaires, après avoir pourtant constaté qu'une césarienne réalisée à ce moment aurait uniquement permis d'éviter à Laura Z... de subir une partie de ses lésions, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé un lien de causalité certain entre la faute reprochée au docteur X... et l'incapacité de Laura, n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'Anna Z... a accouché, le 17 février 1999, à 15 heures 45, dans le service gynécologique d'un établissement de santé, d'une enfant gravement handicapée, qui est atteinte d'une incapacité permanente évaluée à 90 % ; qu'à l'issue de l'information ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile des parents, Gilles X..., médecin spécialisé en gynécologie et obstétrique, de garde dans l'établissement au cours de la nuit du 16 au 17 février 1999, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé, par imprudence, négligence et inattention, à Laura Z... des blessures ou lésions ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable, l'arrêt retient, par les motifs propres et adoptés, qu'il a quitté la salle de naissance, sans consulter le dossier de la parturiente, alors qu'il avait été informé par la sage-femme de la rupture prématurée des membranes, des anomalies du rythme cardiaque foetal montrées par le monitorage et de la prématurité de l'enfant, ce qui aurait dû le conduire à pratiquer une césarienne le 17 février, entre 2 et 3 heures ; que les juges en concluent que Gilles Verdier-Le-Gall a commis une faute ayant contribuée à causer à l'enfant des lésions irréversibles dont les séquelles ont été constatées après la naissance ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Farge, Palisse, Le Corroller, Mme Radenne, M. Straehli conseillers de la chambre, Mmes Slove, Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Mouton ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;