Le Comité éthique et cancer, crée par la Ligue contre le cancer et lancé sous l’impulsion de celle-ci le 19 septembre 2008, est un organe de saisine indépendant composé de 35 membres qui n’a pas été doté de la personnalité juridique. Ce comité pluridisciplinaire, co-présidé par Francis Larra et Axel Kahn, comprend, entre autres, des médecins, des cadres hospitaliers, des juristes, des sociologues et des représentants des usagers. Il a pour objet de rendre, dans les 15 jours suivants la saisine, des avis et des recommandations non normatives sur des questions éthiques concrètes relatives au cancer. Ce comité peut être saisi tant par les professionnels de santé que par les patients ou leurs familles. La problématique relative à ce premier avis concerne le secret médical et l’assistance à la famille du patient. |
AVIS N°1 COMITÉ ÉTHIQUE ET CANCER – PREMIÈRES ORIENTATIONS
Saisine
Georges B., soigné pour un cancer du poumon dans un établissement de la région parisienne, était âgé de 45 ans lorsque les médecins lui annoncent qu’il est en situation d’échec thérapeutique. Il leur demande alors de n’en rien dire à sa famille. Au sortir de la chambre, ceux-ci sont interpellés par l’épouse du malade, 40 ans, qui exige de connaître la vérité au motif qu’elle a trois enfants en bas âge (6, 8 et 12 ans) et que cette situation rendrait nécessaire pour elle de reprendre une activité professionnelle interrompue depuis huit ans.
Cette saisine pose un réel problème éthique, celui d’une opposition entre deux principes moraux forts : le secret professionnel garant de l’intimité des personnes et base d’une relation de confiance entre le médecin et son malade, d’une part ; l’assistance à une famille en détresse, d’autre part.
S’interroger sur les motivations du patient et de l’épouse
Il convient dans un premier temps de s’interroger sur les motivations du mari et de l’épouse, et de l’information dont disposent l’un et l’autre. Concernant le patient, il est vraisemblable qu’il a conscience que ses proches sont au courant, de façon plus ou moins claire, de la gravité de son état de santé. En revanche, il lui est sans doute difficile d’accepter, à partir du moment où l’information sera délivrée à son épouse, d’être dès lors vu comme celui qui va mourir, et non plus comme un mari et un père toujours présent. Sa demande porte donc vraisemblablement le souhait de rester pleinement acteur du temps qui lui reste à vivre avec les siens, et non d’être perçu sous le seul prisme de la maladie et d’une fin prochaine. Elle comporte sans doute également un désir de protection à l’égard de sa famille, de ne pas leur imposer par avance la souffrance d’un deuil annoncé.
Du côté de l’épouse, il est tout aussi vraisemblable qu’elle sait au fond d’elle-même la situation de son mari, compte tenu de ce qu’elle a pu voir et comprendre de l’évolution de la prise en charge et des traitements. Cependant, bien que ne pouvant réellement ignorer la réponse à sa demande, cette femme n’est sans doute pas en mesure de l’accepter par elle-même, d’entrer dans un « deuil anticipé ». Elle a peut-être psychologiquement besoin de se l’entendre dire par un tiers légitime, en l’occurrence le médecin. Mais surtout, elle a besoin de rompre la barrière de silence érigée par son mari, et d'être soutenue dans les difficultés de la vie au quotidien auxquelles elle est confrontée, avec comme priorité celle de pouvoir assurer la protection matérielle de ses enfants encore en bas âge. Et ces enfants constituent un lien très fort l'unissant à son mari ; ils peuvent aider à rétablir un dialogue de vérité.
Non-dit et dialogue
Face à cette situation, le comité estime de façon consensuelle que les soignants ont une place privilégiée pour tenter de nouer ou de renouer le dialogue entre le mari et son épouse. Non pas en s’immisçant dans l’intimité du couple, ce qui n’est pas leur rôle, mais en créant les conditions qui puissent permettre l’échange d’une vérité, fut-elle très douloureuse, entre ces deux personnes. Il est ainsi recommandé dans un premier temps de discuter avec le patient des motivations profondes de sa demande, en espérant de l’amener à voir, sans culpabilisation, les conséquences de celle-ci pour ses proches. Mais l'épouse n'est-elle pas également bien placée pour rétablir le dialogue en posant les questions qui l'oppressent au sujet de leurs enfants ? L’objectif est de parvenir à rassurer le patient sur le fait que l’énoncé d’une vérité, y compris la vérité d’un futur compromis, n’est pas synonyme d’un arrêt de la relation avec ses proches, mais qu’au contraire, par la confiance dont elle témoigne, elle peut enrichir cette relation et rendre la fin de vie du patient plus sereine. Enfin, le recours à un psychologue peut constituer une aide utile, si le patient l’accepte.
Dans tous les cas, le comité recommande aux soignants d’agir sans précipitation, pour que le patient, comme son épouse, puissent réfléchir et envisager la situation. Cela peut contribuer à favoriser le dialogue entre les deux époux et conduire progressivement le patient à modifier sa position initiale.
Dilemme des soignants
Si malgré ces démarches de médiation, le patient persiste à demander à ce que son épouse ne soit pas informée de sa situation, le dilemme éthique reste entier pour les soignants. À ce stade, le comité n’est pas parvenu à définir un positionnement consensuel sur l’attitude à adopter. Deux points de vue divergents se manifestent :
- Considérant que les proches du patient sont pleinement partie prenante de la prise en charge et que les liens établis entre le soignant et le malade les impliquent de facto, une première position, portée par certains membres du comité, est d’estimer que la priorité se doit d’aller vers « ceux qui vont rester ». Par solidarité envers une mère de famille qui va se retrouver dans la situation de devoir assumer seule son propre avenir et celui de ses enfants, situation qui la contraint à prendre rapidement des dispositions, notamment au regard d’une réinsertion professionnelle, il apparaîtrait alors préférable d’énoncer clairement à l’épouse le devenir probable de son mari.
- L’autre approche, à l’inverse, exprimée par la majorité des membres du Comité, consiste à considérer avant tout qu’il est des principes intangibles de la relation médecin/malade parmi lesquels le respect de la parole donnée par le premier au second figure au premier chef. Déroger à ce principe revient à rompre la confiance du patient envers son médecin, à faire douter le premier de la loyauté du second, c’est-à-dire à rompre le lien. Or, c’est grâce à la persistance de ce dernier qu’il est possible de maintenir le contact avec le patient, de conserver de l’influence sur lui, de l’amener le cas échéant à modifier sa position. Sauf exception prévue par la loi, rien ne peut justifier de ne pas respecter la volonté du patient, quelles que soient ses motivations, sachant que, par définition, la maladie n’appartient jamais plus à quelqu’un qu’au malade lui-même.
Recommandations
Confronté à la rétention volontaire d’information d’un malade envers sa famille, l’équipe soignante se doit toujours de prendre le temps du dialogue, de l’échange confiant, qui a toutes les chances de permettre de rompre le silence volontaire, de rétablir le lien affectif. Si tel n’est pas le cas, il apparaît dans la situation faisant l’objet de la présente saisine que nombreux sont les signes et indications de nature à faire entrevoir la réalité à la famille sans manquer à la parole donnée au malade.
En toute éventualité, l’opinion très majoritaire, quoique non unanime, du comité est que le principe du secret professionnel est à ce point constituant de la relation malade-médecine qu’il ne peut être envisagé de le violer de manière délibérée.
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