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Conseil d'État, 27 mai 2005, Département de l'Essonne (consultations juridiques rédigées par un avocat - documents administratifs - secret professionnel - incommunicabilité à des tiers)

 

Les consultations établies par un avocat au profit d'une personne publique sont des documents administratifs au sens de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978. Cependant, la relation entre l'avocat et son client étant couverte par le secret professionnel, ces documents ne sont pas communicables (article 6 de la loi du 17 juillet 1978) :

" [...] Considérant qu'un document établi à la demande d'un des organismes mentionnés à l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 par un prestataire extérieur dans le cadre de l'exercice par cet organisme de ses compétences administratives constitue un document administratif au sens de cette loi ; qu'ainsi, en jugeant que les consultations délivrées dans le cadre d'une convention d'assistance par un cabinet d'avocat à la demande du département de l'Essonne et portant sur l'exercice, par le département, de son activité administrative constituaient des documents administratifs au sens de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ni opéré une qualification inexacte ;

Considérant en revanche qu'il ressort des dispositions précitées de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dans leur rédaction issue de la loi du 7 avril 1997 que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention sont couvertes par le secret professionnel ; que le secret de la relation entre l'avocat et son client fait obstacle à ce que le client soit tenu de divulguer ces correspondances ; que lorsque les documents dont la communication est sollicitée sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 font partie de la correspondance échangée entre un organisme mentionné à l'article 1er de cette loi et son avocat ou consistent dans une consultation rédigée par cet avocat pour le compte de cet organisme, ce dernier peut légalement se fonder sur les dispositions de l'article 6 de cette loi pour en refuser la communication ; qu'ainsi en jugeant que le département ne pouvait se fonder sur ces dispositions pour refuser de communiquer ces documents la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, dès lors le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE est fondé à en demander pour ce motif l'annulation [...] "

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE, représenté par le président de son conseil général demeurant Hôtel du Département, Boulevard de France à Evry Cedex (91012) ; le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 avril 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, rejeté sa requête formée contre le jugement du 12 novembre 2002 du tribunal administratif de Versailles annulant, à la demande de M. Christian X, la décision du 13 novembre 2000 par laquelle le président du conseil général de l'Essonne a refusé de lui communiquer 45 consultations juridiques réalisées pour le compte du département par un cabinet d'avocat et enjoignant au département de lui communiquer ces consultations juridiques dans le délai de deux mois, d'autre part, enjoint au département de procéder à cette communication dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
2°) statuant au fond, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. X devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. X la somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré du 7 mars 2005, présentée pour le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE ;
Vu la note en délibéré du 8 mars 2005, présentée pour le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, l'Ordre des avocats au barreau de Paris et l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 3121-18 ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, notamment son article 66-5 ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée notamment par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu l'article 160 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Daussun, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat du DEPARTEMENT DE L'ESSONNE, de Me Blanc, avocat de M. X et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des barreaux, de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et de la Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer,
- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Sur les interventions :

Considérant que l'Ordre des avocats au barreau de Paris, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer ont intérêt à l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'ainsi leur intervention est recevable ;

Sur les conclusions du DEPARTEMENT DE L'ESSONNE et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du département et des intervenants :

Considérant que le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE se pourvoit contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 avril 2004 rejetant sa demande en annulation du jugement du 12 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la demande de M. X, conseiller général de l'Essonne, annulé le refus du département de communiquer à ce dernier 45 consultations juridiques réalisées pour le département par un cabinet d'avocats et enjoint au département de communiquer ces documents dans un délai de deux mois ;

Considérant que la loi du 17 juillet 1978 susvisée dispose dans son article premier : ... Sont considérés comme documents administratifs, au sens du présent titre, tous dossiers, rapports, études... avis... qui émanent de l'Etat, des collectivités territoriales... ; qu'aux termes de l'article 2 du même texte : Sous réserve des dispositions de l'article 6, les autorités mentionnées à l'article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. ; qu'enfin aux termes du I de son article 6 : Ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte :... aux secrets protégés par la loi. ; que la loi du 31 décembre 1971 susvisée dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée dispose dans son article 66-5 : En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. ;

Considérant qu'un document établi à la demande d'un des organismes mentionnés à l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 par un prestataire extérieur dans le cadre de l'exercice par cet organisme de ses compétences administratives constitue un document administratif au sens de cette loi ; qu'ainsi, en jugeant que les consultations délivrées dans le cadre d'une convention d'assistance par un cabinet d'avocat à la demande du département de l'Essonne et portant sur l'exercice, par le département, de son activité administrative constituaient des documents administratifs au sens de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ni opéré une qualification inexacte ;

Considérant en revanche qu'il ressort des dispositions précitées de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dans leur rédaction issue de la loi du 7 avril 1997 que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention sont couvertes par le secret professionnel ; que le secret de la relation entre l'avocat et son client fait obstacle à ce que le client soit tenu de divulguer ces correspondances ; que lorsque les documents dont la communication est sollicitée sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 font partie de la correspondance échangée entre un organisme mentionné à l'article 1er de cette loi et son avocat ou consistent dans une consultation rédigée par cet avocat pour le compte de cet organisme, ce dernier peut légalement se fonder sur les dispositions de l'article 6 de cette loi pour en refuser la communication ; qu'ainsi en jugeant que le département ne pouvait se fonder sur ces dispositions pour refuser de communiquer ces documents la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, dès lors le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE est fondé à en demander pour ce motif l'annulation ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de régler l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le président du conseil général de l'Essonne a été habilité par délibération de la commission permanente à faire appel du jugement du 12 novembre 2002 du tribunal administratif de Versailles ; que par suite la fin de non recevoir opposé par M. X devant la cour administrative de Paris doit être écartée ;

Considérant, comme il a été dit plus haut, qu'il ressort des dispositions du I de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui s'appliquent à toutes les consultations d'avocat que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense et des dispositions du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 que le président du conseil général de L'Essonne pouvait légalement se fonder sur les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, pour refuser la communication des consultations délivrées par un cabinet d'avocats au département dans le cadre d'un contrat d'assistance juridique ;

Considérant toutefois que, devant le tribunal administratif, M. X soutenait également que le refus opposé par le président du conseil général méconnaissait les dispositions de l'article L. 3121-18 du code général des collectivités territoriales aux termes desquelles : Tout membre du conseil général, a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires du département qui font l'objet d'une délibération. ;

Considérant qu'en application de ces dispositions le président du conseil général est tenu de communiquer aux membres de ce conseil les documents nécessaires à leur participation à la délibération sur les affaires du département ; que, lorsqu'un membre du conseil général demande la communication de documents faisant partie de la correspondance échangée entre l'avocat du département et son exécutif ou des consultations juridiques rédigées par cet avocat pour le compte du département, il appartient au président du conseil général, sous le contrôle du juge, d'une part, d'apprécier si cette communication se rattache à une affaire qui fait l'objet d'une délibération du conseil général et, d'autre part, eu égard à la nature de ce document, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général n'y fait obstacle, avant de procéder, le cas échéant, à cette communication selon des modalités appropriées ;

Considérant que les documents, dont la communication était sollicitée par M. X, conseiller général de l'Essonne, membre de la commission permanente, étaient les études juridiques faites par l'avocat du département pour le compte de ce dernier dans le cadre de la convention d'assistance juridique conclue par le département pour l'année 1999 et que leur communication a été demandée à l'occasion de la soumission à la commission permanente du renouvellement de cette convention pour l'année 2000 ; qu'en se bornant à transmettre à M. X la liste et le thème de ces études et en lui refusant la communication de la totalité de celles-ci et de tout autre document de nature à éclairer celui-ci sur le bien-fondé du projet de délibération soumis à la commission permanente au motif, exprimé en termes généraux, qu'il ne lui paraissait pas responsable de diffuser des documents à caractère juridique relatifs à des dossiers très sensibles, le président du conseil général a entaché sa décision d'erreur de droit ;

Considérant qu'il suit de là que le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision ;

Sur les conclusions de M. X tendant à ce que soit prescrite au DEPARTEMENT DE L'ESSONNE, sous peine d'astreinte, la communication des documents demandés :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ;

Considérant que l'annulation du refus opposé par le président du conseil général à M. X prononcée par la présente décision implique seulement que celui-ci statue à nouveau sur la demande de ce dernier en application des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales et de la présente décision ; que, dès lors, les conclusions de M. X tendant à ce qu'il soit enjoint au président du conseil général de communiquer les documents qu'il sollicitait sont irrecevables ; que, par suite, le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif lui a enjoint de les communiquer ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. X qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;

Considérant qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du DEPARTEMENT DE L'ESSONNE la somme de deux mille euros demandée par M. X ;

DECIDE :
Article 1er : Les interventions du Conseil national des barreaux, de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et de la Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer sont admises.
Article 2 : L'arrêt du 19 avril 2004 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 3 : Le jugement du 12 novembre 2002 du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il a enjoint au DEPARTEMENT DE L'ESSONNE de communiquer les documents sollicités par M. X.
Article 4 : Le DEPARTEMENT DE L'ESSONNE versera la somme de deux mille euros à M. X.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi du DEPARTEMENT DE L'ESSONNE devant le Conseil d'Etat et des conclusions de la demande de M. X devant le tribunal administratif de Versailles est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE L'ESSONNE, à M. Christian X, au Conseil national des barreaux, à l'Ordre des avocats au barreau de Paris, à l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, à la Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.