Ce jugement rendu par le tribunal administratif de Paris en date du 31 octobre 2008 rappelle que les infections nosocomiales consécutives à un acte de soins postérieurs au 5 septembre 2001 sont soumises au régime de la responsabilité sans faute et que seule la cause étrangère peut exonérer la responsabilité de l’établissement de santé. Au cas d’espèce, le tribunal administratif précise que le germe à l’origine de cette infection, dont le patient n’était pas porteur a été inhalé par lui à l’occasion de l’intubation rendue nécessaire par l’opération, que cette infection qui revêt donc un caractère nosocomial, est à l’origine des multiples défaillances qui ont entraîné sons décès lequel ne résulte pas de la circonstance qu’il était immunodéprimé en raison de son cancer. Il considère par conséquent que la responsabilité de l’AP-HP, qui ne rapporte pas la preuve d’une cause étrangère à l’infection, est engagée sur le fondement de l’article L .1142-1 I du Code de la santé publique. De plus, le tribunal ajoute également que la charge de l’indemnisation des infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003 n’incombe à l’ONIAM qu’a la double condition que l’établissement de soins ait apporté la preuve d’une cause étrangère à l’infection et que le taux d’incapacité permanente de la victime soit supérieur à 24%. |
DE PARIS
Mme Bruston Rapporteur
M. Fouassier
Commissaire du gouvernement
Audience du 17 octobre 2008 Lecture du 31 octobre 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Paris
Vu le rapport d'expertise établi par le Docteur René Jancovici ici, déposé au greffe du tribunal le 24 avril 2008 ;
Vu l'ordonnance du président du Tribunal, en date du 13 mai 2008, liquidant et taxant les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 3 300 euros ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la mutualité ;
Vu l'ordonnance n°96-51 du 24 janvier 1996
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant que M. B, qui souffrait d'une tumeur au poumon, e subi le 20 décembre 2002 une lobectomie du poumon supérieur droit ; qu'au cours de cette
intervention, il a été procédé à une section de l'artère nelsonnienne suivie d'une résection du segment de Fowler ; qu'après cette opération, le patient a fait
l'objet d'une surveillance en salle de réveil puis a regagné le service de chirurgie thoracique ; qu'en raison de signes de saturation en oxygène, il e dû être
transféré dans l'unité de réanimation médicale du service de pneumologie ; qu'une insuffisance respiratoire aiguë, accompagnée d'une défaillance rénale,
neurologique et digestive a alors été constatée ; qu'une trachéotomie a été réalisée le 3 janvier 2003 ; que la présence d'un germe candida tropicalis a été
identifiée dans son organisme le 14 janvier 2003 ; que M. B est finalement décédé le 2 mars 2003 d'une défaillance multi-viscérale ;
que par une réclamation en date du ter mars 2004, Mme B a demandé à l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris l'indemnisation des préjudices résultant pour elle du décès de son mari ; que cette demande e fait l'objet d'une décision implicite de rejet ;
Sur la responsabilité de l'AP-HP et sans qu’il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'existence d'une faute médicale et d'un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service
Considérant qu'aux termes du Ide l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 98 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un
défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute / Les établissements, services et organismes sus mentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère » ;
que selon le II du même article, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, les victimes d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale peuvent prétendre à la réparation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale dans des conditions tenant au degré de leur invalidité et précisées par décret ; qu'en vertu de l'article L. 1142-22 du même code, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) es( charge de cette indemnisation au titre de la solidarité nationale ; qu'en vertu de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002, et comme l'a expressément confirmé l'article 3 de la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité médicale, ces dispositions sont applicables aux infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 ;
Considérant que si, aux termes de l'article L, 1142-1-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article ler de la loi du 30 décembre 2002 « sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales », il ne résulte ni des termes de la loi du 30 décembre 2002 ni de ses travaux préparatoires que le législateur ait entendu conférer à ces nouvelles dispositions une portée rétroactive, en sorte que ce nouveau régime n'est entré en vigueur qu'à la publication de cette loi au Journal officiel le ler janvier 2003 ;
qu'il en résulte que la charge de l'indemnisation des infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003 n'incombe à l'ONIAM qu'à la double condition que l'établissement de soins ait apporté la preuve d'une cause étrangère à l'infection et que le taux d'incapacité permanente de la victime soit supérieur à un taux fixé par décret ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction> notamment du rapport de l'expertise diligentée par le tribunal de céans, que !a détresse respiratoire qui s'est déclarée dans les suites opératoires a été causée par une pneumonie infectieuse ; que le germe à l'origine de cette infection, dont M. B n'était pas porteur, a été inhalé par lui à l'occasion de l'intubation rendue nécessaire par l'opération ; que cette infection, qui revêt donc un caractère nosocomial, est à l'origine des multiples défaillances qui ont entrainé son décès, lequel, contrairement à ce que soutient l'AP-HP, ne résulte pas de la circonstance qu'il était immunodéprimé en raison de son cancer ; que la responsabilité de AP-HP, qui ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère à l'infection, est ainsi engagée sur le fondement du I précité de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique
Sur l’évaluation des préjudices subi par M.B
En ce qui concerne les droits de la caisse primaire des Hauts-de-Seine subrogée dans les droits de M.B
Considérant d'une part qu'aux ternies de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi 2006-1640 du 21 décembre 2006, immédiatement applicable « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris cri charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée.
Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) » ;
l'instruction que la somme de 1 535,37 euros versée par la MGEN à M. B au titre des prestations allocations journalières » du ler janvier 2003 au 2 mars 2003 a été versée à l'intéressé en raison de la pathologie psychiatrique pour laquelle il avait été placé en congé de longue durée ; que ces prestations étant sans lien avec l'infection contractée par M. B à l'hôpital, les conclusions de la MGEN tendant à la condamnation de l'AP-HP à lui verser cette dernière somme doivent être rejetées ;
Sur l’évaluation des préjudices subi par Mme B:
En ce qui concerne la perte de ressources :
Considérant que M. B percevait, en 2003, année de son décès, un revenu mensuel de 1 206,58 euros correspondant à un demi-traitement compte terni de son placement, depuis l'année 2000, en congé de longue durée que se sont ajoutées à ces revenus des allocations journalières versées par la MGEN d'un montant de 704,76 euros ; qu'en l'absence d'enfant au foyer, la victime consacrait à l'entretien de son épouse une part de ses revenus qui doit être évaluée à 50 %, soit une somme annuelle de 11 468 euros ; que cette somme doit être diminuée de la pension de réversion d'un montant annuel de 6 250 euros perçue par Mme BALLIGAND après le décès de son époux ; qu'en tenant compte de la durée du congé de longue durée qui ne peut excéder cinq ans en application de l'article 34 de la loi du 11 janvier modifiée portant statut de la fonction publique, et faute de justificatifs permettant d'apprécier le montant des revenus qu'aurait pu percevoir M. B postérieurement au 1er janvier 2005, il sera fait une juste appréciation de la perte de ressources subie par Mme B au titre des années durant lesquelles son époux aurait pu rester en activité en la fixant à la somme de 9566,33 euros ;
En ce qui concerne le préjudice moral
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de l'âge et de la situation de la victime, le préjudice moral subi par Mme B à raison de la douleur causée par la maladie puis par la disparition de son mari sera équitablement fixé à 19 000 euros ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence
Considérant que, compte tenu des bouleversements sur son mode de vie au quotidien, dont a été victime Mme B durant les deux mois d'hospitalisation prolongée de son époux jusqu'au décès de celui-ci, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis en condamnant AP-HP à verser à Mme B la somme de 1 000 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts
Considérant que la somme de 29.566,33 E allouée à Mme B ouvre droit au paiement des intérêts au taux légal à compter 2 mars 2004, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation ; que la capitalisation desdits intérêts a été demandée pour la première fois par le mémoire susvisé enregistré au tribunal le 25 septembre 2006 ; qu'à cette date, il était dû au moins un an d'intérêts ; qu'ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation pré-entée par Mme B à compter du 25 septembre 2006, ainsi qu'a chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine a produit un état récapitulatif selon lequel elle a exposé, à raison de la maladie de M. B, des frais d'hospitalisation pour un montant total évalué à 112 272,11 euros couvrant la période du 20 décembre 2002, date à laquelle M. B a été infecté par le germe candida tropicalis, au 2 mars 2.003, date de son décès que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine est ainsi fondée à demander la condamnation de 1' AP-HP à lui verser la somme de 112 272,11 euros au titre des dépenses de santé exposées pour M. B ;
Considérant d'autre part qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale résultant du I de l'article 9 de l'ordonnance susvisée du 24 janvier 1996 " contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie, Le montant de celte indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros.
A compter du 1er janvier 2.007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque armée, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. / Cette indemnité est établie et recouvrée par la caisse selon les règles et sous les garanties et sanctions, prévues au chapitre 3 du titre et aux chapitres 2, 3 et 4 du titre IV du livre 1er ainsi qu'aux chapitres 3 et 4 du titre IV du livre Il applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale. ( .), » ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine est fondée â demander, au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions précitées de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale résultant du I de l'article 9 de l'ordonnance susvisée du 24 janvier 1996, la somme de 941 euros
En ce qui concerne les droits de la MGEN subrogée dans les droits de M. B :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 224-9 du code de la mutualité â «. Pour le paiement. des prestations à caractère indemnitaire, mentionnées à l'article L. 224-8, la mutuelle ou l'union est subrogée jusqu'à concurrence desdites prestations, dans les droits et actions des membres participants, des bénéficiaires ou de leurs ayants droit contre les tiers responsables, La mutuelle ou l'union ne peut poursuivre le remboursement des dépenses qu'elle a exposées qu'a due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge. du tiers qui. répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, â l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales, au préjudice esthétique et d'agrément, à moins que les prestations versées par l'organisme mutualiste n'indemnisent ces éléments de préjudice.
En cas d'accident suivi de mort, la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit leur demeure acquise. Pour le paiement des indemnités journalières versées et les prestations d'invalidité, la mutuelle ou l'union est subrogée jusqu'à concurrence desdites prestations dans les droits et actions des membres participants, des bénéficiaires ou de leurs ayants droit contre les tiers responsables" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la MGEN justifie avoir exposé des frais d'hospitalisation d'un montant de 651,19 euros au titre des périodes du 1' janvier 2003 au 18 janvier 2003, du 18 janvier 2003 au 10 février 2003, du 10 février 2003 au 13 février 2.003 et du 13 février 2003 au 02 mars 2003 ; qu'il y a donc lieu de condamner l'AP-HP à lui verser cette somme au titre des dépenses de santé exposées par M. Ba ; qu'en revanche, il résulte de
Sur les dépens :
Considérant qu'il y e lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise ordonnée avant dire droit par le jugement du tribunal de céans en date du 8 juin 2007, qui ont été liquidés et taxés à la somme de 3 300 euros, à la charge de l'AP-HP
Sur les conclusions des parties tendant à l’application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce> de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens ;
Considérant que la MGEN, qui n'a pas fait appel au ministère d'un avocat, ne justifie pas avoir exposé des dépenses dans cette instance ; que ses conclusions doivent donc être rejetées.
Article 2 : L'assistance publique — hôpitaux de Paris versera à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine la somme de 113 213,11 euros,
Article 3 : L'assistance publique — hôpitaux de Paris versera à la MGEN la somme de 651,19
euros
Article 4 : Les frais d'expertise, taxés à la somme de 3 300 euros sont mis à la charge définitive de l'assistance publique — hôpitaux de Paris,
Article 5 : L'assistance publique — hôpitaux de Paris versera à Mme B. la somme de 2.000 e (deux mille euros) au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté
Article 7: Le présent jugement sera notifiée à Mme B., au DÉPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE, à la CPAM DE L'OISE, â la MUTUELLE GENERALE DE L'EDUCATION NATIONALE, à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE, à l'assistance publique -hôpitaux de Paris, à ONIAM et à M. le docteur René Jancovici, expert.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2008, à laquelle siégeaient :
Mme Mille, président,
M. Carrère, conseiller, Mme Bruston, conseiller,
Lu en audience publique le 31 octobre 2008. La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.