En l’espèce, un patient est hospitalisé au sein d’un centre hospitalier en raison d’un traumatisme crânien à la suite d’un accident de parapente. Un scanner cérébral a été effectué, mais comme il ne montrait aucune anomalie, le patient a été autorisé à sortir quelques jours après. Un mois plus tard, ce patient est de nouveau hospitalisé à la suite de céphalées inhabituelles non améliorées par des antalgiques et de vomissements. Un examen par scanner a été pratiqué et un avis a été demandé au service de neurochirurgie d’un centre hospitalier universitaire, avec vidéotransmission des images résultant de l’examen faisant apparaître un hématome sous-dural fronto-pariétal bilatéral. Ce service a fait savoir qu’il ne disposait pas de place disponible, que l’état clinique du patient permettait d’attendre pour réaliser une opération de drainage de l’hématome, laquelle devait être différée du fait de la prise d’aspirine. Le lendemain, l’état clinique du patient s’est aggravé. Le service de neurochirurgie du CHU n’a pas modifié sa position concernant la conduite à tenir. Le patient est entré dans le coma puis a été transféré au sein d’un autre établissement hospitalier dans lequel il est décédé.
Le tribunal administratif relève une erreur de diagnostic constitutive d’une faute commune au centre hospitalier et au CHU engageant ainsi la responsabilité solidaire des deux établissements hospitaliers. Ce jugement indique en effet que « le scanner alors réalisé faisait apparaître un engagement central majeur avec début d’engagement temporal ; que ce signe radiologique très important, qui signifiait que l’hématome sous-dural, malgré sa bonne tolérance clinique apparente, était une forme grave menaçant déjà le malade d’une aggravation vers le coma, a été ignoré par les médecins qui ont examiné les images médicales dans les deux établissements ». Le tribunal considère sur ce point que si le CHU « invoque un doute sur la réception de deux planches d’images par son service de neurochirurgie et une interrogation sur la qualité des images, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les médecins qui les ont reçues et interprétées aient émis des réserves sur leur qualité et leur caractère complet, ni qu’ils aient suggéré de les compléter ».
Concernant l’appel en garantie du centre hospitalier à l’encontre du CHU, le tribunal souligne que « les hôpitaux généraux (…) ne sont pas dotés de moyens spécialisés en neurochirurgie, et sont donc amenés à demander l’avis des services spécialisés des centres hospitaliers universitaires en vue de l’admission des patients dans ces services » et relève que « les télétransmissions d’images médicales entre les deux établissements n’ont pas donné lieu à des comptes-rendus écrits ». Le tribunal administratif juge qu’il « ne ressort d’aucun élément du dossier que les médecins qui les ont reçues et interprétées aient émis des réserves sur leur qualité et leur caractère complet, ni qu’ils aient suggéré de les compléter ». Dans ces conditions, il estime que le CHU a commis une faute vis-à-vis du centre dans l’interprétation des images médicales transmises et dans l’avis rendu, selon lequel il n’y avait pas lieu de transférer immédiatement ce patient dans son service de neurochirurgie.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE GRENOBLE N°0600648 Rapporteur Audience du 7 mai 2010 |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Grenoble (1ère chambre)
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Vu la requête, enregistrée le 31 janvier 2006, présentée pour Mme X , demeurant (..), par Me Ballaloud ;
Mme X demande au Tribunal :
- de condamner solidairement le centre hospitalier de Sallanches et le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une indemnité de 20 000 euros avec intérêts à compter du 3 octobre 2005 et capitalisation des intérêts ;
- de condamner solidairement le centre hospitalier de Sallanches et le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une somme de 1 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu le mémoire enregistré le 8 novembre 2006, présenté pour Mme X, tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Sallanches et du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une indemnité de 30 000 euros avec intérêts à compter du 3 octobre 2005 et capitalisation des intérêts, et une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 septembre 2007, présenté pour le centre hospitalier de Sallanches par Me Ligas-Raymond, tendant au rejet de la requête, subsidiairement à ce que le centre hospitalier universitaire de Grenoble soit condamné à le garantir, plus subsidiairement à ce qu’une nouvelle expertise soit organisée ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 novembre 2007, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Grenoble par Me Gallizia, tendant au rejet de la requête et à la condamnation de Mme X à lui verser une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 février 2010, présenté par la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Savoie, qui fait savoir qu’elle n’a aucun préjudice à faire valoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 mai 2010 :
- le rapport de M. Chocheyras ;
- les conclusions de Mme Caraës, rapporteur public ;
- les observations de Me Chaulot, représentant Mme X ;
- les observations de Me Dumoulin, représentant le centre hospitalier de Grenoble ;
- les observations de Me Catala, représentant le centre hospitalier universitaire de Sallanches ;
Sur les conclusions à fin de réparation du préjudice :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (…) » ;
Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ;
Considérant que M. Y, alors âgé de 52 ans, a subi notamment un traumatisme crânien lors de l’accident de parapente dont il a été victime le 16 août 2003 ; qu’il a alors été admis au centre hospitalier de Sallanches ; que le scanner cérébral pratiqué ne montrait aucune image anormale ; qu’il est sorti de l’établissement le 26 août 2003 ; qu’il y a été de nouveau admis le 27 septembre 2003 à la suite de céphalées inhabituelles non améliorées par les antalgiques classiques et de vomissements ; qu’un examen par scanner a été effectué et qu’un avis a été demandé au service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire de Grenoble, vers 14 heures, avec vidéotransmission des images résultant de l’examen, faisant apparaître un hématome sous-dural fronto-pariétal bilatéral ; que ce service a fait savoir qu’il n’y avait pas de place disponible, que l’état clinique du patient permettait d’attendre pour réaliser une opération de drainage de l’hématome, laquelle devait être différée du fait la prise d’aspirine ; que, le lendemain 28 septembre 2003, l’état clinique du patient s’est aggravé ; que le service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire de Grenoble, appelé vers 7 heures, n’a pas modifié sa position en ce qui concerne la conduite à tenir ; que M. Y, entré dans le coma vers 11 heures, a été transféré à l’hôpital cantonal de Genève ; qu’il est décédé le 2 octobre 2003 ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée en référé, que dès l’apparition des signes d’hypertension intracrânienne sévère à la fin de la nuit du 27 au 28 septembre 2003, le délai de transfert vers un service de neurochirurgie aurait été trop long pour espérer que le patient soit opéré avant d’entrer dans le coma et de subir des lésions irréversibles du cerveau ; que les fautes invoquées en ce qui concerne le diagnostic et les décisions prises par les deux établissements au matin du 28 septembre 2003 sont donc sans lien de causalité direct avec le décès de M. Y ; qu’en revanche, si l’état neurologique du patient n’était pas alarmant le 27 septembre 2003, du fait d’un « score de Glasgow » à 15, le scanner alors réalisé faisait apparaître un engagement central majeur avec début d’engagement temporal ; que ce signe radiologique très important, qui signifiait que l’hématome sous-dural, malgré sa bonne tolérance clinique apparente, était une forme grave menaçant déjà le malade d’une aggravation vers le coma, a été ignoré par les médecins qui ont examiné les images médicales dans les deux établissements ; que si le centre hospitalier universitaire de Grenoble invoque un doute sur la réception de deux planches d’images par son service de neurochirurgie et une interrogation sur la qualité des images, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les médecins qui les ont reçues et interprétées aient émis des réserves sur leur qualité et leur caractère complet, ni qu’ils aient suggéré de les compléter ; que l’erreur de diagnostic constitutive d’une faute, commune au centre hospitalier de Sallanches et au centre hospitalier universitaire de Grenoble, engage la responsabilité solidaire des deux établissements ;
Considérant qu’il résulte également de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée en référé, que si les hématomes avaient été évacués dès l’après midi du 27 septembre 2003, M. Y aurait eu de bonnes chances de guérir ; que, cependant, du fait de la prise d’aspirine dans la période précédant l’hospitalisation, des risques de récidive ou d’aggravation post-opératoires existaient ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, les fautes commises par les deux établissements doivent être regardées comme ayant compromis les chances de survie du patient, et que le préjudice indemnisable dont la réparation doit être mise à leur charge solidaire doit être évalué à la moitié des dommages ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Sallanches et le centre hospitalier universitaire de Grenoble doivent être condamnés solidairement à supporter la moitié des conséquences dommageables du décès de M. Y, sans qu’il soit besoin de procéder à une nouvelle expertise ;
Considérant qu’il ressort des témoignages versés au dossier que Mme X vivait maritalement avec M. Y avant son décès ; qu’il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en l’évaluant à 15 000 euros ; que, compte tenu de la fraction de la réparation du préjudice mise à la charge du centre hospitalier de Sallanches et du centre hospitalier universitaire de Grenoble, le montant de la réparation solidairement due par eux doit ainsi être fixé à 7 500 euros ; que cette somme doit porter intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2005, date de réception des réclamations, et que ces intérêts doivent être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 3 octobre 2006 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les frais d’expertise :
Considérant que les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros par ordonnance du président du Tribunal en date du 16 octobre 2006, doivent être mis à la charge solidaire du centre hospitalier de Sallanches et du centre hospitalier universitaire de Grenoble ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme X, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier universitaire de Grenoble demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Sallanches et du centre hospitalier universitaire de Grenoble une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés ;
Sur l’appel en garantie du centre hospitalier de Sallanches à l’encontre du centre hospitalier universitaire de Grenoble :
Considérant que les hôpitaux généraux tels que le centre hospitalier de Sallanches ne sont pas dotés de moyens spécialisés en neurochirurgie, et sont donc amenés à demander l’avis des services spécialisés des centres hospitaliers universitaires en vue de l’admission des patients dans ces services ; qu’en l’espèce la demande adressée par le centre hospitalier de Sallanches au centre hospitalier universitaire de Grenoble, le 27 septembre 2003, était accompagnée d’une vidéotransmission du scanner cérébral réalisé ce jour là ; que les télétransmissions d’images médicales entre les deux établissements n’ont pas donné lieu à des comptes-rendus écrits ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, si le centre hospitalier universitaire de Grenoble invoque un doute sur la réception de deux planches d’images par son service de neurochirurgie et une interrogation sur la qualité des images, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les médecins qui les ont reçues et interprétées aient émis des réserves sur leur qualité et leur caractère complet, ni qu’ils aient suggéré de les compléter ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier universitaire de Grenoble a commis une faute vis-à-vis du centre hospitalier de Sallanches dans l’interprétation des images médicales transmises et dans l’avis rendu, selon lequel il n’y avait pas lieu de transférer immédiatement M. Y dans son service de neurochirurgie ; qu’en conséquence, le centre hospitalier universitaire de Grenoble doit être condamné à garantir le centre hospitalier de Sallanches des condamnations prononcées à son encontre par le présent jugement ;
D É C I D E :
Article 1er : Le centre hospitalier de Sallanches et le centre hospitalier universitaire de Grenoble sont condamnés solidairement à verser une indemnité de 7 500 euros à Mme X. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2005 ; ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 3 octobre 2006 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le centre hospitalier de Sallanches et le centre hospitalier universitaire de Grenoble verseront solidairement à Mme X une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Grenoble tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros, sont mis à la charge solidaire du centre hospitalier de Sallanches et du centre hospitalier universitaire de Grenoble.
Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Grenoble est condamné à garantir le centre hospitalier de Sallanches des condamnations prononcées à son encontre par le présent jugement.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié :
- à Mme X,
- à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Savoie,
- au centre hospitalier de Sallanches,
- et au centre hospitalier universitaire de Grenoble.
Délibéré après l’audience du 7 mai 2010 à laquelle siégeaient :
M. Pfauwadel, président,
M. Chocheyras, premier conseiller,
M. Ban, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mai 2010.
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie et au préfet de l'Isère, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.