Cette décision illustre les limites du droit à consentement du malade aux soins qui lui sont proposés. Une fois le protocole determiné, le médecin est seul responsable des modalités du traitement.
"(...) Considérant que si l'obligation qui s'impose à titre général pour le médecin de respecter la volonté du malade l'empêche, sauf exception, de soumettre ce dernier à un traitement ou des examens contre la volonté éclairée librement exprimée de celui-ci, il n'appartient en revanche qu'au médecin lui-même de déterminer les mesures qu'appelle l'état d'un malade, sans qu'en aucune façon il ne puisse accepter de se voir imposer la mise en oeuvre d'une thérapeutique par la personne malade, quelle que soit la qualité de celle-ci ; que, par suite, la responsabilité du service hospitalier ne saurait être atténuée au motif qu'un acte médical dommageable a été sollicité par le malade lui-même (...)" |
COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON
statuant au contentieux
N° 04LY00116
Mentionné aux Tables du Recueil Lebon
6ème chambre - formation à 5
Mme Geneviève VERLEY-CHEYNEL, Rapporteur M. D'HERVE, Commissaire du gouvernement
M. CHABANOL, Président
DHMP JURILEX
Lecture du 15 mai 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu I, sous le n° 04LY00116, la requête, enregistrée le 28 janvier 2004, présentée pour M. Jean-Marc X, domicilié ..., par la SCP Grillat-Pagnoni, avocat au barreau de Lyon ;
M. X demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0202221 du 20 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a déclaré le Centre hospitalier de Mâcon responsable de la moitié seulement du préjudice qu'il a subi à la suite des soins qui lui ont été prodigués le 23 octobre 1996, l'a condamné à lui verser une indemnité de 9 500 euros en réparation de son préjudice corporel et a ordonné une expertise aux fins de déterminer le préjudice économique résultant de son incapacité professionnelle ;
2°) de déclarer le Centre hospitalier de Mâcon intégralement responsable du préjudice qu'il a subi ;
3°) de mettre à la charge du Centre hospitalier de Mâcon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, II, sous le n° 05LY01022, la requête, enregistrée le 28 juin 2005, présentée pour M. Jean-Marc X, par la société Grillat-Pagnoni, avocat au barreau de Lyon ;
M. X demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0202221 du 2 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a condamné le Centre hospitalier de Mâcon à lui verser une indemnité de 350 000 euros qu'il estime insuffisante, en réparation du préjudice économique qu'il a subi à la suite de l'intervention du 23 octobre 1996 ;
2°) de condamner le Centre hospitalier de Mâcon à lui verser la somme de 1
315 995 euros au titre du préjudice économique ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 avril 2007 :
- le rapport de Mme Verley-Cheynel, premier conseiller ;
- les observations de Me Benabdessadok, avocat de M. X ;
- et les conclusions de M. d'Hervé, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre des jugements rendus successivement sur une même demande de première instance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Considérant que M. X fait appel des jugements par lesquels le Tribunal administratif de Dijon a laissé à sa charge une partie de la responsabilité des conséquences dommageables de l'intervention qu'il a subie le 23 octobre
1996 à l'hôpital de Mâcon et a limité à la somme globale de 359 500 euros, qu'il estime insuffisante, la réparation de son préjudice ; que par la voie de l'appel incident, le Centre hospitalier de Mâcon conteste le principe de sa responsabilité et le montant des indemnités laissées à sa charge ;
Sur la responsabilité :
Considérant que M. X, chirurgien vasculaire alors âgé de 47 ans, qui présentait depuis une dizaine d'années des accès de troubles du rythme cardiaque, a été victime d'une crise le 23 octobre 1996 alors qu'il était en exercice à l'hôpital de Mâcon ; que le cardiologue de l'hôpital, qui le suivait habituellement, réalisa le jour même une cardioversion électrique et prescrivit un traitement d'anticoagulants pendant trois jours ; que le 18 novembre 1996, M. X a été victime d'un accident vasculaire cérébral ischémique entraînant une hémiplégie ; qu'après traitement médical et rééducation il conserve des séquelles importantes qui l'ont notamment contraint à mettre un terme à ses activités médicales ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si les différents experts qui se sont prononcés en première instance discutent de l'indication de choc électrique dans une tachycardie paroxystique comme en l'espèce, ceux-ci s'accordent toutefois pour constater que le choc électrique n'a pas été réalisé selon les protocoles admis à l'époque, notamment en ce qui concerne l'administration préalable d'anticoagulants et la poursuite prolongée pendant plusieurs semaines de ce traitement, justifiée parce que la cardioversion électrique peut favoriser par elle-même la formation d'un thrombus ; qu'il résulte également des rapports d'expertise que si les troubles du rythme chroniques que présentait M. X pouvaient être, par eux-mêmes, à l'origine de l'ischémie cérébrale dont il a été victime, la cardioversion réalisée sans respect du protocole d'anticoagulation a fait perdre au requérant une chance importante d'éviter l'accident ischémique ; que, dans ces conditions, les manquements relevés lors de l'intervention du 23 octobre 1996 sont constitutifs d'une faute qui engage la responsabilité du Centre hospitalier de Mâcon ;
Considérant que si l'obligation qui s'impose à titre général pour le médecin de respecter la volonté du malade l'empêche, sauf exception, de soumettre ce dernier à un traitement ou des examens contre la volonté éclairée librement exprimée de celui-ci, il n'appartient en revanche qu'au médecin lui-même de déterminer les mesures qu'appelle l'état d'un malade, sans qu'en aucune façon il ne puisse accepter de se voir imposer la mise en oeuvre d'une thérapeutique par la personne malade, quelle que soit la qualité de celle-ci ; que, par suite, la responsabilité du service hospitalier ne saurait être atténuée au motif qu'un acte médical dommageable a été sollicité par le malade lui-même ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'intervention litigieuse a été pratiquée à la demande instante de M. X lui-même qui, en sa qualité, a pressé son confrère de remédier le plus rapidement possible à son état pour lui permettre de ne pas perturber sa vie professionnelle ; que si le requérant a pu, en l'espèce, contribuer aux conditions défectueuses dans lesquelles s'est déroulée l'intervention litigieuse, il découle des principes susrappelés que ce comportement, pour regrettable qu'il ait pu être, n'est pas de nature à exonérer l'hôpital, fût-ce partiellement, de sa responsabilité ; que, par suite, M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont laissé à sa charge la moitié des conséquences dommageables de l'accident ;
Sur la réparation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime, M. X qui a été en incapacité temporaire totale pendant 5 mois, et dont l'état est consolidé depuis le 19 novembre 1997, conserve un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %, a subi des souffrances physiques évaluées par l'expert à 3,5 sur une échelle de 7 et un préjudice esthétique évalué à 1,5 ; qu'il résulte de l'instruction que les séquelles que conserve M. X le mettent dans l'incapacité de poursuivre l'exercice de son activité professionnelle ou d'envisager une reconversion et qu'il justifie ne plus percevoir de rémunération d'aucune sorte, alors que, selon les conclusions de l'expert, les troubles cardiaques dont il était porteur avant l'accident précité n'auraient pas normalement compromis la poursuite de son exercice professionnel jusqu'à l'âge de 65 ans ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et du préjudice esthétique de M. X en les évaluant à 6 000 euros ; que les troubles dans les conditions d'existence qu'il supporte seront justement réparés par une somme de 12 000 euros ; qu'il y a lieu, eu égard aux sommes perçues par ailleurs et aux pertes sur ses droits à pension de retraite, de fixer sa perte de revenus au montant global de 1 300 000 euros ; qu'en revanche, si le requérant demande à être indemnisé de sa perte de cession de clientèle entraînée par l'interruption prématurée et inopinée de son activité, le préjudice pouvant résulter pour lui de la perte de l'avantage qu'il aurait pu retirer, lors de son départ à la retraite, de la présentation d'un successeur présente, dans les circonstances de l'espèce, un caractère purement éventuel ; qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité que le Centre hospitalier de Mâcon a été condamné à verser à M.
X par les jugements attaqués doit être portée à la somme de 1 318 000 euros ; que par suite, M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Dijon a limité à la somme de 359 500 euros les condamnations prononcées à son profit ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, sur le fondement des dispositions susmentionnées, de mettre à la charge du Centre hospitalier de Mâcon le paiement à M. X d'une somme de 1 500 euros au titre des frais que celui-ci a exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La somme totale de 359 500 euros que le Centre hospitalier de Mâcon a été condamné à verser à M. X par les jugements du Tribunal administratif de Dijon du 20 novembre 2003 et du 2 juin 2005 est portée à 1
318 000 euros.
Article 2 : Les jugements du Tribunal administratif de Dijon du 20 novembre
2003 et du 2 juin 2005 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le Centre hospitalier de Mâcon versera à M. X une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X et les conclusions du Centre hospitalier de Mâcon sont rejetés.