En l’espèce, une femme a été hospitalisée le 21 mars 2004 dans un hôpital de l'AP-HP à la suite d’un accident. Le médecin a procédé à une ostéosynthèse par broches pour soigner une fracture importante. Les broches posées ont migré dans le corps de la patiente et ont entraîné des complications, et notamment des difficultés irréversibles à se servir de son bras et de sa main.
La femme a saisi le Tribunal administratif pour obtenir réparation des préjudices engendrés par ces complications, qu’elle estimait être le fait d’une faute médicale : un préjudice corporel et un préjudice moral, lié à un défaut d’information quant à l’introduction d’un corps métallique dans son corps.
En ce qui concerne la faute médicale, le tribunal administratif a constaté que le médecin a utilisé une technique opératoire valable, car il n’y a pas de consensus concernant le type d’intervention à réaliser dans un tel cas. Cependant, il n’a pas tenu compte des recommandations quant à l’utilisation de cette technique, ce qui a permis le déplacement des broches. Ainsi, si le choix de la technique opératoire n’était pas fautif, l’exécution de l’intervention n’a pas été conforme aux règles de l’art, ce qui constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP.
En ce qui concerne le préjudice moral de la femme, l’intervention avec pose d’un élément en métal – broche ou plaque vissée – était inévitable pour la réparation de sa fracture. Le Tribunal rejette donc sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral lié au défaut d’information.
Tribunal administratif de Versailles
6ème chambre
N° 0708353
Audience du 1er juillet 2009
Lecture du 15 juillet 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la requête, enregistrée le 27 juillet 2007, présentée pour Mme ..., demeurant ..., par Me Sauzin, avocate ; Mme ... demande au tribunal :
1°) avant dire droit sur sa requête de désigner un expert aux fins de décrire son état de santé, de dire si des fautes ont été commises au cours de sa prise en charge à l'hôpital ... et de déterminer ses préjudices et l'imputabilité de ses préjudices ;
2°) de condamner l'hôpital à lui verser la somme de 30,000 euros en réparation de ses préjudices et à par-faire après expertise ;
3°) de condamner l'hôpital aux entiers dépens ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 juin 2009, présenté pour Mme ... qui conclut aux mêmes fuis par les mêmes moyens mais ramène sa demande de condamnation à la somme de 26.500 euros à raison de 3.600 euros pour l'ITT de 3 mois, 5.000 euros pour les douleurs, 4.000 euros pour la déformation du bras avec la cicatrice, 7.000 euros pour le préjudice moral lié au défaut d'information et au traumatisme, 7.000 euros pour les conséquences de l'opération mal réalisée et demande en outre la somme de 2.000 euros à verser au cabinet Citylex avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Versailles, en date du 24 septembre 2007, admettant Mme ... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu le rapport de l'expert déposé le 28 février 2008 ;
Vu l'ordonnance, en date du 2 avril 2008, par laquelle le président du tribunal a mis à la charge du Trésor Public au titre de l'aide juridictionnelle les frais d'expertise taxés et liquides à la somme de 1.471 euros ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er juillet 2009 ;
- le rapport de Mme Orio, premier conseiller ;
- les observations de Me Adeline-Delvolvé, substituant Me Sauzin pour, Mme ... ;
- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public ;
- et les brèves observations de Me Adeline-Delvolvé pour Mme ... ;
Considérant que Mme ..., alors âgée de 30 ans, a été hospitalisée le 21 mars 2004, vers 21 heures, à l'hôpital ... (APHP) à la suite d'un accident sur la voie publique ; qu'elle a été opérée le 22 mars 2004 d'une fracture fermée du tiers inférieur de l'humérus gauche à trois fragments ; que le médecin a procédé à une ostéosynthèse « à foyer fermé » par embrochage centro-médullaire ; qu'elle est sortie de l'hôpital le 24 mars 2004 avec une immobilisation par résine ; que, le 30 juin 2004, le docteur Peltier a procédé à l'ablation d'une broche migrée au niveau du coude à la clinique d'Alleray ; que l'évolution s'étant faite par une pseudoarthrose du foyer de la fracture, le docteur Peltier a de nouveau opéré Mme ..., le 30 septembre 2004, et a procédé à une réduction et à une ostéosynthèse par avivement osseux par plaque vissée ; que, dans les suites de cette intervention, est apparue une symptomatologie dans le territoire cubital à l'avant-bras gauche et à la main gauche sous forme d'acroparesthésies et de déficits de la sensibilité ; que l'évolution s'est faite par la consolidation du foyer de fracture, confirmée par les radiographies du 2 mars 2005 ; que, par lettre en date du 27 novembre 2006, Mme ... a présenté une réclamation à l'hôpital ... qui a décliné sa responsabilité par réponse du 13 avril 2007 ; que Mme ... a formé un recours gracieux à l'encontre de ce refus par lettre du 24 avril 2007 ; que sa demande a, de nouveau, été rejetée par lettre du 31 mai 2007 ; que, par requête, enregistrée le 27 juillet 2007, Mme ... a sollicité du juge des référés une expertise qui lui a été accordée par ordonnance du 19 octobre 2007 ; que, parallèlement la requérante a saisi le tribunal par requête au fond enregistrée le 31 juillet 2007 aux fins, notamment, de condamner l'hôpital à lui verser la somme de 30.000 euros en réparation de ses préjudices, somme à parfaire après expertise ; que la requérante ramène sa demande, dans le dernier état de ses écritures, à la somme de 26.500 euros ;
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne la faute médicale, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fautes alléguées :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expertise ordonnée en référé, que le choix d'une ostéosynthèse par broches était possible car il n'existe pas de consensus concernant le type d'ostéosynthèse à réaliser dans les fractures fermées de la diaphyse humérale ; que l'expert souligne toutefois que le système de Métaizeau utilisé a été mis au point chez l'enfant chez qui les cals vicieux sont susceptibles de se remodeler avec la croissance et de se corriger ce qui n'est pas le cas chez l'adulte ; que l'expert indique par ailleurs qu'en choisissant la technique de Métaizeau, l'opérateur devait disposer les deux broches en arc sécant et que l'intervention ne devait avoir lieu qu'avec un type de fenêtre osseuse particulier « taillée à la face postérieure du pilier externe de la palette humérale et non à son bord externe » ; qu'en l'espèce, le chirurgien a utilisé trois broches et n'a pas tenu compte du type de fenètre osseuse conseillé ; que les points d'appui nécessaires pour assurer un montage stable et élastique n'étaient pas obtenus, ce qui autorisait le déplacement très net des broches ; que, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il existait une technique opératoire moins risquée, le tribunal ne peut déterminer si le choix de la technique opératoire était fautif ; qu'en revanche, les éléments précités démontrent que l'exécution de l'intervention n'a pas été conforme aux règles de l'art et que cette faute est à elle seule, alors même que le traitement du type de fracture de la requérante était particulièrement délicat, de nature à engager la responsabilité de l'APHP ; qu'il n'est, par suite, pas utile d'ordonner la nouvelle expertise sollicitée ;
Sur les préjudices :
Considérant que Mme ... demande, dans le dernier état de ses écritures, la somme de 26.500 euros en réparation de ses préjudices ; qu'elle soutient qu'elle a subi un préjudice corporel pour avoir eu son bras immobilisé pendant 3 mois sans aucune utilité et qu'elle a souffert du fait de la migration des broches ; qu'elle soutient également qu'il est résulté des deux interventions pratiquées pour réparer la première intervention une amyotrophie et une diminution de la force de pression et de soulèvement ainsi qu'une paralysie de sa main et de certains de ses doigts particulièrement dangereuse et gênante dans la vie quotidienne, qu'elle a également subi un préjudice moral du fait du défaut d'information et que les interventions à répétition et surtout la première ont laissé une cicatrice disgracieuse constituant un préjudice d'ordre esthétique ; qu'elle soutient enfin qu'elle est dans l'incapacité de reprendre le poste qu'elle occupait avant l'intervention et risque de perdre son emploi alors qu'elle est mère de quatre enfants et que son mari a repris des études ;
Considérant que Mme ... a été opérée le 30 juin 2004, soit à l'issue de la période normale de consolidation de 3 mois, et une nouvelle fois le 30 septembre 2004 ; que la consolidation est intervenue en mars 2005 avec un retard de neuf mois sur la date de consolidation attendue ; que si l'expert indique que Mme ... a refusé de se faire réopérer alors qu'une intervention plus rapide aurait pu éviter le développement de la pseudoarthrose constatée, il ne précise pas à quelle date aurait pu avoir lieu cette intervention alors que deux interventions ont eu lieu dans les six mois suivant la première intervention fautive ; qu'il résulte de l'instruction que Mme ... a subi une incapacité temporaire totale liée à la faute le 30 juin 2004 et du 30 septembre au 3 octobre 2004 du fait des interventions ; qu'elle a subi une incapacité temporaire partielle, de l'ordre de 30 % du 25 mars au 29 septembre 2004, du 1er juillet au 29 septembre 2004 et du 4 octobre 2004 au 2 mars 2005 ; que l'expert a retenu une incapacité permanente partielle de l'ordre de 4 % liée à une augmentation du cubitus valgus, à un léger déficit de sensibilité et à un léger déficit de la force de préhension ; que si la requérante soutient qu'elle ne pourra plus reprendre son emploi, il résulte de l'instruction qu'elle avait quitté celui-ci en 2001 pour prendre un congé parental à l'occasion de la naissance de son premier enfant ; qu'elle n'établit pas, par ailleurs, que son employeur ne pourrait la reprendre dans d'autres fonctions ou qu'elle ne pourrait exercer un autre emploi ; que, sans qu'il soit besoin d'ordonner la nouvelle expertise sollicitée, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis dans les conditions d'existence de la requérante incluant le pretium doloris, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément en fixant son indemnisation à la somme de 8.000 euros ;
Considérant, en revanche, que Mme ... n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre le défaut d'information allégué et le préjudice moral tiré de ce qu'elle a subi un violent choc émotionnel quand elle a appris qu'elle avait subi une ostéosynthèse avec mise en place de trois broches en métal ; qu'il résulte en effet de l'instruction que la réparation de la fracture de Mme ... nécessitait soit la pose d'une broche soit la pose d'une plaque vissée ; que l'intervention avec pose d'un élément en métal, qu'elle qualifie dans ses écritures de viol de son intimité, était donc inévitable et n'est pas liée au défaut d'information ; que sa demande au titre du préjudice moral ne peut, par suite, qu'être rejetée ;
Sur les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-13 du code de justice administrative : « Lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre du livre V, le président du tribunal ou de la cour, après consultation, le cas échéant, du magistrat délégué, ou, au Conseil d'État, le président de la section du contentieux en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621-11 et R. 761-4. Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires. [...] Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent ou par le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance. » ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés, par ordonnance du Président du tribunal administratif de Versailles du 2 avril 2008, à la somme de 1.471 euros et initialement mis à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, à la charge définitive de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de l'article 37 de la loi du 10 Juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ; qu'aux termes du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : « L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge » et qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article 76 de la même loi : « Les bureaux d'aide juridictionnelle se prononcent dans les conditions prévues par les textes en vigueur à la date à laquelle les demandes ont été présentées et les admissions produiront les effets attachés à ces textes (...) » ;
Considérant que Mme ... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de Grande instance de Versailles du 24 septembre 2007 ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Sauzin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2.000 euros ;
DECIDE :
Article ler : L'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris versera la somme de 8.000 euros à Mme ... en réparation des conséquences dommageables de l'intervention du 22 mars 2004.
Article 2 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1.471 euros sont mis à la charge définitive de l'Assistance Publique –Hôpitaux de Paris.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2.000 euros à Me Sauzin (Cabinet Citylex avocats) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le jugement est déclaré commun à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme ..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne et à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2009, à laquelle siégeaient :
Mme Vinot, président,
Mme Ledarnoisel, premier conseiller, Mme Orio, premier conseiller,
Lu en audience publique le 15 juillet 2009.