REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°/ la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille les 9 juillet et 30 août 1999, sous le n°99MA01300, présentés pour l'Assistance Publique à Marseille, dont le siège est 80, rue Brochier à Marseille (13005) pris en la personne de son directeur habilité par une délibération en date du 14 octobre 1999, par Maître LE PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
L'Assistance Publique à Marseille demande à la Cour :
- d'annuler le jugement n°94-3076 du 4 mai 1999, par lequel le Tribunal administratif de Marseille l'a déclarée responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale subie par M. Y le 23 mars 1992 et a ordonné un complément d'expertise avant de statuer sur les conclusions à fin d'indemnité ;
- de rejeter les conclusions de M. Y tendant à la voir déclarer responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 23 mars 1992 à l'hôpital de la Timone à Marseille et celles de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône tendant à la condamner à lui verser la somme de 122 202,60 F correspondant aux prestations versées à l'occasion de l'intervention litigieuse ;
Elle soutient :
- à titre principal, que le jugement est insuffisamment motivé, qu'il ressort du rapport de l'expert que les troubles neurologiques pour lesquels M. Y demande réparation ne sont pas imputables aux traitements pratiqués par l'hôpital et que dans ces conditions, la responsabilité de l'Assistance Publique ne peut être recherchée faute de lien entre le dommage et le fait imputable à l'hôpital ;
- à titre subsidiaire, sur le prétendu défaut d'information, que M. Y avait donné son consentement éclairé puisque, alors qu'il n'habitait plus la région, il a demandé à être transféré de l'hôpital de Grenoble à l'hôpital de Marseille afin d'être opéré par le docteur P. qui l'avait précédemment opéré pour une affection du même genre mais moins grave ; qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. Y n'a pas été victime d'une complication exceptionnelle et l'expert n'a pas affirmé que le risque en question présentait un tel degré de fréquence que l'on dût le considérer comme non exceptionnel ; qu'enfin, l'intervention était inévitable et le patient n'avait donc pas le choix de la refuser ; qu'à supposer qu'un manquement à l'obligation d'information soit retenu, celui-ci ne peut justifier une indemnisation totale et dans ce cas, M. Y ne peut prétendre qu'à une indemnité compensatrice d'une perte de chance qui, en tout état de cause n'est pas justifiée car si le patient avait refusé le traitement, l'évolution de son état aurait été infiniment plus mauvaise ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 1999, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône dont le siège se situe 8, rue Jules Moulet à Marseille (13006) par Maîtres DESPIEDS et LACROIX, avocats au barreau de Marseille ;
La caisse demande à la Cour de rejeter l'appel formé par l'Assistance Publique à Marseille, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille, de condamner l'Assistance Publique à lui verser une somme de 5.000 F au titre de l'indemnité forfaitaire en application de l'ordonnance du 24 janvier 1996, outre une somme de 3.000F au titre des frais d'instance ;
Elle soutient qu'elle est fondée à demander à l'Assistance Publique le remboursement des prestations versées à M. Y au titre des frais médicaux, d'hospitalisation, de transport et de massages pour un montant de 122.202,60 F ;
Vu le mémoire enregistré le 13 mars 2000, présenté pour M. Jean-Pierre Y par Maître CAULE, avocat au barreau de Marseille ;
M. Y demande à la Cour de rejeter la requête de l'Assistance Publique de Marseille, de confirmer le jugement de première instance et de condamner l'Assistance Publique à lui verser une somme de 15.000 F au titre des frais d'instance ;
Il soutient que les troubles dont il souffre, aux termes du troisième rapport d'expertise déposé devant le Tribunal administratif de Marseille, sont liés à l'intervention chirurgicale de 1992 ; qu'il aurait dû être informé des risques neurologiques inhérents à l'intervention qu'il a subie même si cette intervention était comme le Tribunal l'a reconnu, la seule méthode thérapeutique envisageable et indispensable ; que le défaut d'information est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité de l'Assistance Publique à son égard et que le consentement éclairé d'un patient doit être fait par écrit aux termes de la jurisprudence ;
Vu le mémoire enregistré le 23 décembre 2003 présenté pour l'Assistance Publique à Marseille par lequel la requérante persiste dans ses précédentes écritures par les mêmes moyens en faisant valoir, en outre, que M. Y n'est pas fondé à obtenir une quatrième mesure d'expertise ;
Vu 2°/ la requête et le mémoire, enregistrés au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 22 septembre 2000 et le 23 décembre 2003, sous le n°00MA02297, présentés pour l'Assistance Publique à Marseille, dont le siège est 80, rue Brochier à Marseille (13005) pris en la personne de son directeur en exercice, par Maître LE PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
L'Assistance Publique à Marseille demande à la Cour :
- d'annuler le jugement n°94-3076 du 13 juin 2000, par lequel le Tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à payer à M. Y la somme de 65.000F, outre une somme de 5.000F au titre des frais d'instance et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
- de rejeter les conclusions à fin d'indemnité de M. Y ;
Elle soutient :
- que ce jugement doit être annulé en conséquence de l'annulation du jugement avant dire droit du 4 mai 1999 ;
- que le Tribunal a insuffisamment répondu à ses conclusions et insuffisamment motivé sa décision ; que les premiers juges ont méconnu les conclusions du rapport d'expertise dans la mesure où les préjudices indemnisés ne sont nullement imputables au geste opératoire mais à l'état antérieur du patient ;
- qu'en toute hypothèse, le Tribunal, ne pouvait, même en admettant qu'il y ait eu défaut d'information, indemniser l'intégralité des conséquences des complications neurologiques survenues à la suite de l'intervention mais seulement la perte de chance d'éviter lesdites complications, cette perte de chance étant pratiquement inexistante dès lors que l'intervention s'imposait ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 janvier 2004 ;
- le rapport de Mme MASSE-DEGOIS, conseillère ;
- les observations de Me CAULE pour M. Y et de Me MANGIN, substituant Me DEPIEDS pour la CPAM 13 ;
- et les conclusions de M. TROTTIER, premier conseiller ;
Considérant que les requêtes n° 99MA01300 et n° 00MA02297 sont relatives à la même affaire ; qu'il y a lieu en conséquence de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement du Tribunal du 4 mai 1999 et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ce jugement :
Considérant que le Tribunal administratif de Marseille, dans un jugement avant dire droit du 4 mai 1999, a considéré que l'Assistance Publique à Marseille avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en omettant d'informer M. Y du risque des complications neurologiques, inhérentes à l'intervention qu'il a subie le 23 mars 1992 à l'hôpital de la Timone, qui s'est réalisé ;
Considérant que l'Assistance Publique é Marseille fait appel de la décision susmentionnée en soutenant que sa responsabilité ne saurait être engagée faute de lien direct entre le dommage allégué de M. Y et le fait imputable à l'hôpital de la Timone ;
Sur la responsabilité :
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli, conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ; que la circonstance qu'une intervention chirurgicale est indispensable, en l'absence d'une autre thérapeutique envisageable, ne dispense pas le praticien qui procède à cette intervention d'informer le patient des risques de l'opération préalablement à sa réalisation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y a été opéré une première fois en 1989 par le docteur P. à l'hôpital de la Timone d'une hernie discale cervicale C6/C7 ; qu'au dàbut de l'année 1992, il a dû temporairement arrêter son activité professionnelle en raison de névralgies bilatérales des avants-bras occasionnées par une chute sur les deux poignets ; que le 13 mars 1992, suite à une chute alors qu'il pratiquait le ski, il a été hospitalisé à Grenoble où des examens effectués sur place ont mis en évidence un pincement discal C6/C7 inchangé par rapport aux clichés de 1989 et deux hernies discales, l'une C4/C5 para médiane gauche très volumineuse, l'autre C5/C6 para médiane droite ; qu'à sa demande, il a été transféré à l'hôpital de la Timone en vue d'y subir une intervention chirurgicale le 23 mars 1992 par le Docteur P. ; que le compte-rendu opératoire indique que l'intervention s'est déroulée sans problème particulier et que les suites opératoires ont été marquées par une aggravation de son état clinique nécessitant une rééducation post-opératoire d'une durée de quatre mois et demi ; qu'à la suite de cette rééducation, l'évolution clinique de M. Y a été décrite comme favorable malgré l'existence de séquelles neurologiques et d'une gêne douloureuse dans les deux membres inférieurs ; que des examens ultérieurs ont mis en évidence un bombement postérieur C3/C4 et une tétra parésie sévère nécessitant une nouvelle intervention le 12 octobre 1993 ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'intervention chirurgicale subie par M. Y le 23 mars 1992 comportait des risques ; que l'Assistance Publique à Marseille n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, qu'elle aurait informé le patient de l'existence de ces risques ; que par suite, en l'absence d'urgence rendant impossible l'information préalable du patient, ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hosptitalier à l'égard de M. Y ;
Sur l'indemnisation du préjudice :
Considérant que les rapports d'expertise mettent en évidence l'absence d'alternative à la méthode thérapeutique utilisée par l'hôpital de la Timone ; que l'intervention litigieuse était indispensable et justifiée par une souffrance de la moelle et des racines cervicales induite par divers traumatismes itératifs dont l'intéressé a été victime et dont le premier remonte en 1989 ; que d'autre part, les indications opératoires étaient indiscutables et l'abstention chirurugicale ne pouvait qu'entraîner une aggravation des troubles neurologiques et diminuer la réversibilité des lésions constituées ; que par suite, en admettant même que les troubles dont M. Y a été atteint à la suite de l'intervention litigieuse soient la conséquence de cette intervention et puissent être regardés comme la réalisation d'un risque inhérent à ladite intervention , la faute commise par l'Assistance Publique à Marseille n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour M. Y de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par suite, due à ce titre ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. Y devant le Tribunal administratif de Marseille ;
Considérant d'une part, qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune faute médicale n'a été commise à l'occasion de l'intervention subie le 23 mars 1992 par M. Y, qu'aucune faute dans l'organisation du service n'a été décelée et que les gestes médicaux ont été réalisés conformément à ceux pratiqués habituellement dans de telles circonstances ; qu'il s'ensuit que la responsabilité de l'hôpital pour faute médicale ne peut être engagée ;
Considérant d'autre part, qu'il résulte également de ce qui précède que la tétra parésie dont est atteint l'intéressé ne présente pas un caractêre de gravité exceptionnel et que les troubles neurologiques actuels de M. Y ne sont ni la conséquence directe des interventions pratiquçes, ni celle des soins prodigués dans les suites des établissements hospitaliers mais résultent de lésions de la moelle et des racines cervicales induites par divers traumatismes itératifs dont il a été victime depuis l'année 1989 ; que par suite, la responsabilité sans faute de l'hôpital de la Timone ne peut être engagée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Assistance Publique à Marseille est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Marseille l'a déclarée responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale subie par M. Y le 23 mars 1992 ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement du Tribunal du 13 juin 2000 :
Considérant qu'il y a lieu d'annuler, par voie de conséquence de ce qui précède, le jugement du Tribunal administratif de Marseille en date du 13 juin 2000 par lequel l'Assistance Publique à Marseille, statuant après expertise, a été condamnée é verser à M. Y la somme de 65.000F outre la somme de 5.000F au titre des frais d'instance et mis à sa charge les frais d'expertise ; qu'il y a lieu de mettre les frais des expertises ordonnées par le Tribunal, dont le montant s'élève à 6.500F, à la charge de M. Y ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône tendant à la condamnation de l'Assistance Publique à Marseille à verser la somme de 5.000 F en application de l'ordonnance du 24 janvier 1996 :
Considérant qu'en vertu des dispositions des 5ème et 6ème alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de l'article 9-I de l'ordonnance du 24 janvier 1996 : ... la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximal de 5.000 F et d'un montant minimal de 500 F. Cette indemnité est établie et recouvrée par la caisse selon les règles et sous les garanties et sanctions, prévues au chapitre 3 du titre III et aux chapitres 2, 3 et 4 du titre IV du livre Ier ainsi qu'aux chapitres 3 et 4 du titre IV du livre II applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre administratif de statuer sur les éventuels litiges auxquels la liquidation ou le recouvrement de ladite indemnité sont susceptibles de donner lieu ; que, par suite, les conclusions sus-énoncées doivent, à supposer qu'il existe un litige sur ce sujet, être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Assistance Publique à Marseille, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. Y et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhéne les sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : Les jugements n° 94-3076 du Tribunal administratif de Marseille des 4 mai 1999 et 13 juin 2000 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. Y devant le Tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de M. Y.
Article 4 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance Publique à Marseille, à M. Y, à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône et au ministre de la santé.