Mme X, veuve d'un travailleur atteint d'une maladie occasionnée par l'amiante dont l'organisme de sécurité sociale a reconnu le caractère professionnel, a présenté un demande d'indemnisation au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) qui lui a notifié une offre d'indemnisation. Mme X a refusé cette offre et engagé une action en contestation de cette décision devant la Cour d'appel de Douai. Cette dernière, par un arrêt en date du 19 novembre 2009, a condamné le FIVA à payer à Mme X une certaine somme au titre notamment de son préjudice économique futur, ce que conteste le fonds près la Cour de cassation.
Celle-ci rejette le pourvoi du FIVA en estimant que "l'arrêt retient exactement que Mme X est en droit d'obtenir l'indemnisation de son préjudice économique futur sous la forme d'un capital", ce préjudice n'étant "ni hypothétique, ni éventuel".
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 10 février 2011
N° de pourvoi: 10-10089
Publié au bulletin
Rejet
M. Loriferne (président), président
Me Le Prado, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 novembre 2009), que René X..., atteint d'une maladie occasionnée par l'amiante dont l'organisme de sécurité sociale a reconnu le caractère professionnel, est décédé des suites de sa maladie le 5 février 2003 ; que ses ayants droit, dont sa veuve, Mme X..., ont présenté une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le Fonds) qui leur a notifié une offre d'indemnisation ; que, refusant cette offre, ils ont engagé devant la cour d'appel une action en contestation de cette décision du Fonds et ont sollicité une réévaluation de leur indemnisation ;
Attendu que le Fonds fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme X... une certaine somme au titre de son préjudice économique, alors, selon le moyen, qu'un préjudice hypothétique et éventuel ne saurait donner lieu à indemnisation ; qu'en décidant cependant d'indemniser le préjudice économique futur supposément subi par Mme X... à compter du 1er janvier 2008, quand la réalité d'un tel préjudice est sous la dépendance des revenus futurs à percevoir par la victime par ricochet, revenus dont le montant est, par hypothèse, inconnu à la date à laquelle la cour d'appel saisie d'un recours juridictionnel statue sur l'évaluation du préjudice économique subi de la victime par richochet fût-elle à la retraite, la cour d'appel, qui a indemnisé un préjudice hypothétique et éventuel, a violé l'article 53 I de la loi du 23 décembre 2000, ensemble l'article 1382 du code civil et le principe de la réparation intégrale ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que le préjudice économique de la veuve doit être calculé en comparant les revenus du ménage avant le décès, après déduction de la part du défunt, à ceux qu'elle perçoit après le décès, l'arrêt retient exactement que Mme X... est en droit d'obtenir l'indemnisation de son préjudice économique futur sous la forme d'un capital ;
Et attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, après avoir évalué la perte de ressources résultant pour Mme X... du décès de son mari, a fixé, à la date de sa décision, le préjudice économique futur de celle-ci, qui n'était ni hypothétique ni éventuel ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR alloué à Madame Paulette X... la somme de 33.400,41 € au titre de son préjudice économique, avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS QUE « le préjudice économique de la veuve doit être calculé en comparant les revenus du ménage avant le décès, après déduction de la part du défunt, à ceux qu'elle perçoit après le décès ; que les parties sont en désaccord sur les années à prendre en compte pour le calcul du revenu de référence, le FIVA soutenant qu'il convient de prendre le revenu annuel du couple avant la date d'apparition de la pathologie soit l'année 2001, donc selon lui avant que cette dernière ait influencé les revenus des époux ; qu'il fait valoir que se fonder sur l'année précédant le décès serait contraire à la logique de la réparation intégrale ainsi que sur le principe selon lequel l'Etat ne peut être condamné à payer une somme qu'il ne doit pas ; qu'en l'espèce, les deux époux étaient déjà retraités au moment de la date d'apparition de la pathologie, de telle sorte que les revenus du ménage n'ont en rien été modifiés par la maladie ; qu'il sera donc pris pour année de référence l'année 2002 ; que les parties s'accordent pour intégrer dans le revenu de référence le montant de la rente FIVA que Monsieur X... aurait normalement dû percevoir mais divergent quant au montant de la rente à retenir ; que le principe de réparation intégrale du préjudice conduit à retenir le montant de la rente à la date de liquidation du préjudice c'est-à-dire le montant en vigueur en 2009, soit la somme de 17.494 €, conformément à la demande de Madame X... ; que, par ailleurs les parties s'accordent pour ajouter au revenu perçu effectivement par Madame X... le montant de la rente de conjoint survivant qui lui est versée ; que le .revenu de référence représente en 2002 la somme de 15.523 € + 1.912 €, soit une somme de 17.435 €, qu'il convient de réévaluer chaque année au moyen de l'indice annuel des prix à la consommation des ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé (hors tabac) ; que la part du conjoint survivant sans enfant à charge sera fixée à 67 % de ce revenu de référence, de telle sorte que le préjudice économique s'établit ainsi ; pour l'année 2003, le revenu du ménage revalorisé est : 17.435 € x 107,6 / 105,6 = 17.765,21 € ; Madame X... aurait dû percevoir :
(17.765,21 € + 17.494 €) x 329 / 365 jours x 67 % = 21 293,66 € ; elle a perçu la somme de 8.323 € soit un solde dû de 12.970,66 € ; pour l'année 2004, le revenu du ménage revalorisé est : 17.765,21 € x 109,3/ 107,6 = 18.045,89 € ; elle aurait dû percevoir : (18.045,89 € + 17.494 €) x 67 % = 23.811,73 € ; il convient de déduire les revenus déclarés en 2004 soit 11016 € et la rente de conjoint survivant soit la somme de 3.692,69 € ; le solde est de : 9.103,04 € ; pour l'année 2005, le revenu revalorisé est de : 18.045,89 € x 111,2 /109,3 soit 18.359,59 € ; elle aurait du percevoir : (18.359,59 € + 17.494 €) x 67 % = 24.021,91 € ; après déduction des revenus déclarés soit la somme de 11.505 € et de la rente de conjoint survivant de 11.177,15 €, le solde est de 1 339,76 € ; pour l'année 2006, le revenu revalorisé .est de 18.359,59 € x 113/111,2 = 18.656,78 € ; elle aurait dû percevoir : (18.656,78 € + 17.494 €) x 67% = 24.221,02 € ; après déduction des revenus déclarés d'un montant de 11.778 € et de la rente de conjoint survivant de 11 378,34 €, le solde est de 1 064,68 € ; pour l'année 2007, le revenu revalorisé est de 18.656,78 € x 114,7/113 = 18.937,46 € ; le revenu de référence est : (18.937,46 € +17 494 €) x 67% = 24.409,08 € ; après déduction des revenus déclarés d'un montant de 11 985 € et de la rente conjoint survivant de 11.583,15 €, le solde est de 840,93 € ; que la perte de revenus de Madame Paulette X... s'établit ainsi à la somme de 25.319,07 € sur la période allant du 5 février 2003 au 31 décembre 2007 ; que Madame Paulette X... est en droit d'obtenir l'indemnisation de son préjudice économique futur sous la forme d'un capital et ceci d'autant plus qu'elle est retraitée, que ses revenus ne sont donc pas susceptibles d'évoluer dans l'avenir dans des conditions telles qu'il soit impossible d'en prévoir l'évolution à terme ; que le calcul du capital sera effectué en prenant compte de l'âge qu'aurait eu Monsieur X... au 1er janvier 2008 (71 ans) ; qu'il convient de multiplier le montant du préjudice économique de Madame Paulette X..., subi en 2007, soit la somme de 840,93 €, par le prix de l'euro de rente selon la table de capitalisation du FIVA soit : 840,93 € x 10,437 = 8.776,79 €, ramenés à 8.081,34 €, montant de la demande ; qu'il sera alloué au titre du préjudice économique la somme totale de 33.400,41 € » ;
ALORS QU'un préjudice hypothétique et éventuel ne saurait donner lieu à indemnisation ; qu'en décidant cependant d'indemniser le préjudice économique futur supposément subi par Madame Paulette X... à compter du 1er janvier 2008, quand la réalité d'un tel préjudice est sous la dépendance des revenus futurs à percevoir par la victime par ricochet, revenus dont le montant est, par hypothèse, inconnu à la date à laquelle la Cour d'appel saisie d'un recours juridictionnel statue sur l'évaluation du préjudice économique subi de la victime par ricochet fût-elle à la retraite, la Cour d'appel, qui a indemnisé un préjudice hypothétique et éventuel, a violé l'article 53 I de la loi du 23 décembre 2000, ensemble l'article 1382 du Code civil et le principe de la réparation intégrale.