Un patient a été admis au service des urgences d’un centre hospitalier pour infarctus du myocarde le 28 février 1998. Quelques mois plus tard, il a été revu à plusieurs reprises en service de cardiologie où il a subi plusieurs examens. Suite à un malaise, ce patient a été de nouveau admis à l’hôpital en septembre 1998 où un cancer pulmonaire a été diagnostiqué. Malgré les traitements reçus, le patient est décédé au mois d’août 1999. La cour administrative d’appel a considéré que la réalisation tardive d’un examen peut constituer une faute de nature à engager la responsabilité d’un établissement public de santé. Elle souligne que les radiographies réalisées dans le cadre d’une consultation de ce patient en service de cardiologie auraient pu permettre de déceler une origine autre que cardiaque des troubles subis par le patient. Toutefois, la cour relève que compte tenu de l’évolutivité et de la gravité de la pathologie, un diagnostic et un traitement plus précoces n’auraient très probablement pas permis d’éviter ni même de retarder de façon significative le décès du patient.
Cour Administrative d'Appel de Bordeaux
3ème chambre (formation à 3)
N° 06BX00116
Inédit au recueil Lebon
Mme FLECHER-BOURJOL, président
Mme Elisabeth JAYAT, rapporteur
M. VIE, commissaire du gouvernement
COUBRIS, avocat
Lecture du mardi 13 mai 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 18 janvier 2006, présentée pour Mme Marie-France X demeurant ..., Mlle Axelle X demeurant ... et M. Emeric X demeurant ..., par Me Coubris ;
Les requérants demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0202170 du 17 novembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser en qualité d'ayants droit de M. Daniel Y au titre du préjudice global de celui-ci, la somme de 160 000 euros et au titre de leur préjudice personnel les sommes de 40 000 euros en ce qui concerne Mme X et 25 000 euros chacun en ce qui concerne Mlle Axelle et M. Emeric X, ces préjudices étant imputables à un retard de diagnostic ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser les sommes susmentionnées avec intérêts compensatoires à compter du jour de la requête et intérêts moratoires à compter de la décision à intervenir ;
3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er avril 2008 :
- le rapport de Mme Jayat, premier conseiller,
- les observations de Me Dufaut pour les Consorts X,
- et les conclusions de M. Vié, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que, lorsque la victime d'un accident est un agent de l'Etat, l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, relative aux actions en réparation civile de l'Etat, crée pour le juge administratif l'obligation de mettre en cause l'Etat en vue de l'exercice par celui-ci, de l'action subrogatoire qui lui est ouverte de plein droit par l'article 1er de la même ordonnance, contre le tiers responsable de l'accident ;
Considérant que Mme Marie-France X, Mlle Axelle X et M. Emeric X ont saisi le Tribunal administratif de Bordeaux, d'une demande dirigée contre le centre hospitalier universitaire de Bordeaux tendant à la réparation de leur préjudice propre et du préjudice subi par leur conjoint et père, M. Y, du fait d'un retard dans le diagnostic de la maladie dont il souffrait ; que les demandeurs avaient indiqué la qualité d'agent de l'Etat de M. Y mais que les premiers juges n'ont pas mis en cause l'Etat en communiquant la demande au ministre de la défense dont relevait M. Y ; que le Tribunal administratif a ainsi méconnu les dispositions susrappelées de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement ;
Considérant que, la Cour ayant communiqué la requête au ministre de la défense, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme, Mlle et M. X et par l'Etat ;
Au fond :
Considérant que M. Y, alors âgé de 52 ans, a été admis en urgence, pour un infarctus du myocarde, du 28 février au 11 mars 1998 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux où il a été traité par fibrinolyse ; que, souffrant de malaises et de douleurs importantes à l'épaule droite, puis dans le dos et à l'épigastre, il a par la suite été revu à plusieurs reprises en service de cardiologie de l'établissement où il a séjourné du 29 mai au 9 juin 1998, et a subi plusieurs examens ; qu'aux mois d'août et septembre suivants, il a présenté une dysphonie, une asthénie, une anorexie et une perte de poids et a été à nouveau admis en urgence au centre hospitalier universitaire de Bordeaux le 21 septembre 1998 pour un malaise douloureux avec nausées et vomissements ; que le bilan cardiaque s'étant avéré normal, il a été hospitalisé en service de gastro-entérologie où un scanner réalisé le 28 septembre 1998 a fait évoquer un cancer pulmonaire droit dont l'existence a été confirmée le 15 octobre suivant par une ponction ; que, malgré les traitements reçus pour cette affection, le patient est décédé le 14 août 1999 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise ordonnée en première instance, que, si aucun élément ne permettait d'évoquer un cancer pulmonaire lors de l'hospitalisation du patient au mois de février 1998, et notamment pas la radiographie réalisée le 28 février 1998 qui ne présentait aucune anomalie, les radiographies réalisées ultérieurement, le 13 mai 1998, lors d'une consultation du patient en service de cardiologie, laissaient percevoir une densité du lobe supérieur droit du poumon qui, compte tenu des douleurs très atypiques se projetant au niveau de l'épaule et du dos, constatées lors de l'hospitalisation du 29 mai 1998, auraient dû conduire l'équipe médicale, même si le patient était hospitalisé en service de cardiologie, à rechercher lors de cette hospitalisation une origine autre que cardiaque des troubles subis par M. Y, notamment par la réalisation d'un scanner ; qu'alors même que le médecin traitant de M. Y n'a pas davantage exploré l'hypothèse d'une origine autre que cardiaque des douleurs ressenties, la réalisation tardive de cet examen, le 28 septembre 1998 seulement, qui a retardé l'établissement du diagnostic de cancer dont souffrait le patient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que le retard dans l'établissement du diagnostic de la pathologie dont M. Y était atteint a différé la mise en place d'un traitement approprié de quatre mois, durant lesquels le patient a subi des douleurs importantes restées inexpliquées si ce n'est par un probable état dépressif avancé par son médecin traitant ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions de l'expert, que la tumeur de mauvais grade histologique dont souffrait M. Y a évolué très rapidement et que, compte tenu de l'évolutivité et de la gravité de la maladie, un diagnostic et, par suite, un traitement plus précoces n'auraient très probablement pas permis d'éviter ni même de retarder de façon significative le décès du patient ; qu'il ne résulte pas dudit rapport que le retard de diagnostic aurait rendu nécessaires des traitements autres que ceux qui ont été administrés au patient et que le décès de M. Y et les troubles qu'il a subi et notamment son incapacité du 28 février 1998 au 14 août 1999 doivent être imputés à une faute de l'administration ; que l'Etat n'est donc pas fondé à demander le remboursement de la solde versée à l'intéressé durant cette période ni des frais de transport de corps ni du capital-décès versés aux ayants droit de M. Y ; que toutefois en l'absence de prise en charge, M. Y, a subi des souffrances qui auraient pu être atténuées voire abolies plus tôt par des soins adaptés à son état ; qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par celui-ci durant quatre mois environ avant l'établissement du diagnostic en évaluant à 5 000 euros l'indemnité globale qui doit être versée de ce chef aux ayants droit de la victime ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. Y, la somme de 5 000 euros et que l'Etat n'est, en revanche, pas fondé à demander la condamnation de l'établissement à lui rembourser les sommes exposées du fait de la maladie et du décès de son agent ;
Considérant que les requérants ont droit aux intérêts de la somme de 5 000 euros à compter, comme ils le demandent, de la date du présent arrêt ; qu'en revanche, en l'absence d'un mauvais vouloir manifeste de l'établissement à verser des sommes dues aux requérants, les conclusions de Mme, Mlle et M. X tendant au versement d'intérêts compensatoires ne peuvent être accueillies ;
Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée en première instance, liquidés et taxés à la somme de 610 euros, à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux qui succombe à l'instance ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux la somme de 1 300 euros au titre des frais d'instance d'appel exposés par les requérants et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux en date du 17 novembre 2005 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux est condamné à verser à Mme Marie-France X, Mlle Axelle X et M. Emeric X en leur qualité d'ayants droit de M. Daniel Y, la somme globale de 5 000 euros qui portera intérêts à compter du jour du présent arrêt.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée en première instance, liquidés et taxés à la somme de 610 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux versera aux requérants la somme globale de 1 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme, Mlle et M. X, le surplus des conclusions de leur requête d'appel et les conclusions d'appel de l'Etat sont rejetés.