En l’espèce, une patiente a été hospitalisée à la suite de thrombose portale à l’origine d’une hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes, au sein d’un hôpital de l’AP-HP où elle a été opérée par un praticien hospitalier qui a effectué, dans un seul temps opératoire, le traitement de l’hypertension portale et une tentative de réparation biliaire. Dans les suites de cette intervention, elle a présenté de très nombreuses complications qui ont justifié de multiples interventions chirurgicales. Après ces différentes interventions, cette patiente a présenté une cholestase anictérique avec un risque d’évolution vers une cirrhose biliaire secondaire, justifiant une surveillance régulière et la réalisation de nombreux examens. Par la suite, la patiente a notamment fait assigner le médecin exerçant au sein de l’AP-HP devant le tribunal de grande instance (TGI) qui relève de la juridiction civile au motif que ce médecin aurait commis selon elle des fautes en lui ayant dispensé des soins non adaptés à son état, fautes qui seraient à l’origine des préjudices subis. Or, ce professionnel de santé a soulevé l’incompétence de tribunal pour connaître de l’action engagée à son encontre en précisant qu’il est un agent de l’AP-HP et qu’il a dispensé des soins au sein de cet établissement public à caractère administratif, de sorte que seule la juridiction administrative est compétente pour statuer sur cette action. Il a également contesté avoir commis une faute détachable du service susceptible de justifier la compétence de la juridiction civile. Le TGI a tout d’abord indiqué que la prise en charge thérapeutique de cette patiente par ce praticien s’est effectuée en secteur public au sein d’un établissement de droit public et que ce professionnel est intervenu en qualité d’agent de cet établissement dont la responsabilité ne peut relever que de la compétence de la juridiction administrative à raison de la faute de service commise par ce dernier. Il a également précisé qu’il n’apparaît pas que ce médecin ait commis une faute détachable de ses fonctions susceptible d’engager sa responsabilité personnelle. Le tribunal a profité de cette occasion pour rappeler que cette faute s’analyse comme étant détachable du service lorsqu’elle revêt, eu égard aux obligations d’ordre professionnel et déontologique incombant au praticien, un caractère inexcusable. Le TGI en a conclu que s’il peut être déduit du rapport d’expertise que ce praticien a commis une erreur dans le choix de la technique opératoire employée susceptible de constituer une faute médicale, celle-ci ne peut cependant s’analyser comme un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations d’ordre professionnel et déontologique et être considéré comme détachable de ses fonctions de praticien hospitalier. Il a ainsi considéré que l’exception d’incompétence soulevée par ce médecin doit être accueillie et que la faute, à supposer établie, ne pourrait entraîner que la responsabilité hospitalière de l’AP-HP dont l’appréciation relève de la seule compétence de la juridiction administrative.
Tribunal de grande instance de Paris
lère CHAMBRE - 3ème SECTION
Ordonnance du juge de la mise en état
Audience du 14 décembre 2009
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Florence LAGEMI,
Mme ... a été opérée d'une cholescystite aiguë lithiasique, le 3 janvier 2001, par le docteur ... qui a pratiqué une cholécystectomie. Cette intervention s'est compliquée d'une obstruction complète de la voie biliaire principale par mise en place de clips à ce niveau.
Après examen endoscopique, Mme ... a été réopérée le 12 janvier 2001 par le docteur ... qui a procédé au retrait des clips.
En raison de l'apparition d'une sténose biliaire, le docteur ... a mis en place, le 26 janvier 2001, une endoprothèse plusieurs fois remplacée.
A la suite d'une thrombose portale à l'origine d'une hémorragie digestive par fleure de varices oesophagiennes, Mme ... a été prise en charge au sein de l'hôpital ... [de l'AP-HP] et a été opérée, le 18 décembre 2001, par le professeur ... qui a effectué, dans un seul temps opératoire, d'une part, le traitement de l'hypertension portale et, d'autre part, une tentative de réparation biliaire.
Dans les suites de cette intervention, Mme ... a présenté de très nombreuses complications (défaillance multiviscérale, respiratoire, hémodynamique et hépatique) qui ont justifié sept interventions chirurgicales.
Une perte de substance sur la voie biliaire principale a été traitée par endoprothèse.
A la suite de ces interventions multiples, Mme ... présente une cholestase anictérique avec un risque d'évolution vers une cirrhose biliaire secondaire, justifiant une surveillance régulière et la réalisation de nombreux examens au cours desquels les prothèses ont été régulièrement remplacées, son bilan hépatique reste perturbé.
Mme ... a sollicité en référé la désignation d'un expert. Par ordonnance du 18 septembre 2008, le docteur SMADJA a été commis en cette qualité. Ce dernier a procédé à ses opérations et clos son rapport le 16 février 2009.
Par acte signifié les 28 et 29 mai 2009, Mme ... a fait assigner le docteur ... et le professeur ... en présence de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ..., en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis.
Se fondant sur le rapport d'expertise du docteur SMADJA, elle soutient que ces deux praticiens ont commis des fautes en lui ayant dispensé des soins non adaptés à son état, fautes qui sont à l'origine des préjudices subis.
Par conclusions des 7 septembre et 16 octobre 2009, le professeur ... a soulevé l'incompétence de ce tribunal pour connaître de l'action engagée à son encontre.
Il rappelle qu'il est un agent de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et qu'il a dispensé des soins à Mme ... au sein de cet établissement public à caractère administratif, de sorte que seule la juridiction administrative est compétente pour statuer sur cette action. Il conteste avoir commis une faute détachable du service susceptible de justifier la compétence de la juridiction civile et précise que la technique opétatoire contestée par l'expert, était cependant la plus adaptée à l'état de santé de la patiente qui était très critique, celle-ci présentant un double risque d'hémorragie digestive et d'infection à partir des voies biliaires, et qu'à supposer établi que les soins dispensés ont constitué une erreur médicale, celle-ci n'est pas contraire à la déontologie et ne peut donc s'analyser comme une faute détachable du service.
Il sollicite la condamnation de Mme ... au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mme ... conteste l'exception d'incompétence soulevée en considérant que le professeur ... a commis une faute personnelle détachable du service de nature à engager sa responsabilité devant les juridictions de l'ordre judiciaire.
Elle soutient que la faute commise par ce dernier consiste dans le fait de n'avoir pas opté pour le bon choix dans la mise en oeuvre du traitement et, en conséquence, de n'avoir pas eu un comportement chirurgical conforme et adapté aux lésions anatomiques qu'elle présentait, qu'il s'agit d'une erreur technique majeure et grave ayant entraîné de nombreuses complications, s'analysant comme une faute inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique.
Elle sollicite la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 27 novembre 2009, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ... s'en rapporte sur l'exception d'incompétence et indique que le montant de ses débours s'élève à la somme de 196.838,72 euros.
L'incident a été fixé pour être plaidé à l'audience du 30 novembre 2009 à l'issue de laquelle l'affaire a été mise en délibéré au 14 décembre 2009.
SUR CE :
Attendu qu'il est constant que la prise en charge thérapeutique de Mme ... par le professeur ..., s'est effectuée en secteur public, au sein de l'Hôpital ... dépendant de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, établissement de droit public, ce praticien étant intervenu en qualité d'agent de cet établissement dont la responsabilité ne peut relever que de la compétence de la juridiction administrative à raison de la faute de service commise par ce dernier ;
Attendu qu'il ne résulte pas de l'analyse des pièces versées aux débats et notamment du rapport d'expertise du docteur SMADJA que le professeur ... aurait commis une faute détachable de ses fonctions susceptible d'engager sa responsabilité personnelle ;
Attendu en effet, qu'est considérée comme détachable du service, la faute qui, eu égard aux obligations d'ordre professionnel et déontologique incombant au praticien, revêt un caractère inexcusable ;
Attendu que l'expert, expliquant que la chirurgie de réparation biliaire se fait en deux temps le premier consistant en une décompression du système porte par la confection d'une anastomose porto-systémique, et, le second, quelques mois plus tard, comprenant la réparation biliaire proprement dite après disparition de l'hypertension portale, a considéré que le choix thérapeutique fait par le professeur ... d'opérer en un seul temps n'était pas adapté aux lésions présentées par Mme ... et qu'il a été à l'origine de toutes les complications qu'elle a eues ;
Attendu que s'il peut être déduit de cet avis que le professeur ... a commis une erreur dans le choix de la technique opératoire employée susceptible de constituer une faute médicale, celle-ci ne peut cependant s 'analyser comme un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique et être considérée comme détachable de ses fonctions de médecin, praticien hospitalier ;
Attendu en conséquence qu'il convient d'accueillir l'exception d'incompétence soulevée par le professeur ... dont la faute, à la supposer établie, ne pourrait entraîner que la responsabilité hospitalière de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris dont l'appréciation relève de la seule compétence de la juridiction administrative ;
Attendu que l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant en audience publique, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
DISONS qu'il n'est pas établi que le professeur ... a commis une faute détachable du service,
DECLARONS le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître de l'action engagée contre ce dernier intervenu en tant qu'agent de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris,
RENVOYONS Mme ... à mieux se pourvoir,
DISONS n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNONS Mme ... aux dépens résultant de la mise en cause du professeur ..., et ACCORDONS à Maître BRESSON le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.