Revenir aux résultats de recherche

Conseil d'Etat, 27 avril 2011, n°334396 (Haute autorité de santé - recommandation de bonnes pratiques - retrait)

En l'espèce, l'association pour une formation médicale indépendante (FORMINDEP) demande notamment au Conseil d'Etat d'annuler une décision du Président de la Haute autorité de santé en date du 7 septembre 2009 par laquelle a été rejetée la demande de l'association tendant à l'abrogation de la recommandation professionnelle relative au "traitement médicamenteux du diabète de type 2" diffusée en novembre 2006.
Le Conseil d'Etat relève dans un premier temps que les recommandations de bonnes pratiques "doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'il en va, par suite, de même des refus d'abroger de telles recommandations". Il considère ensuite que le refus de la HAS d'abroger sa recommandation doit être annulé, faute d'avoir fourni la preuve de l'absence de liens d'intérêts des experts ayant participé à son élaboration : "considérant que l'association requérante soutient que la recommandation litigieuse a été élaborée en méconnaissance du principe d'impartialité dont s'inspirent les dispositions rappelées ci-dessus, en raison de la présence, au sein du groupe de travail chargé de sa rédaction, d'experts médicaux apportant un concours occasionnel à la Haute autorité de santé ainsi que d'agents de la Haute autorité de santé et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui entretenaient avec des entreprises pharmaceutiques des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflit d'intérêts ; (…) La Haute autorité de santé n'a été en mesure de verser au dossier l'intégralité des déclarations d'intérêts dont l'accomplissement était pourtant obligatoire de la part des membres de ce groupe de travail ; que les déclarations d'intérêts fournies par la Haute autorité de santé ne portent ainsi, au total, que sur vingt-trois des vingt-sept membres du groupe ; que la Haute autorité de santé n'a pas davantage versé au dossier, pour ceux des membres dont la déclaration obligatoire de liens d'intérêts échappe ainsi au débat contradictoire, les éléments permettant au juge de s'assurer de l'absence ou de l'existence de tels liens et d'apprécier, le cas échéant, s'ils sont de nature à révéler des conflits d'intérêt ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la recommandation de bonnes pratiques litigieuse a été élaborée dans des conditions irrégulières ne peut qu'être accueilli".

Conseil d'État
1ère et 6ème sous-sections réunies
N° 334396   


Publié au recueil Lebon


Mme Maugüé, président
M. Jean Lessi, rapporteur
Mme Landais Claire, rapporteur public


Lecture du mercredi 27 avril 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 7 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION POUR UNE FORMATION MEDICALE INDEPENDANTE (FORMINDEP), dont le siège est 188, rue Daubenton à Roubaix (59100) ; l'ASSOCIATION FORMINDEP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision, exprimée par la lettre du 7 septembre 2009 du président de la Haute Autorité de santé (HAS), par laquelle la Haute Autorité a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de la recommandation professionnelle relative au Traitement médicamenteux du diabète de type 2 diffusée en novembre 2006 ;

2°) d'enjoindre à la HAS d'abroger cette recommandation professionnelle dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer dans ce même délai la demande d'abrogation présentée le 14 août 2009, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard au profit de l'ASSOCIATION FORMINDEP ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 mars 2011, présentée par l'ASSOCIATION POUR UNE FORMATION MEDICALE INDEPENDANTE (FORMINDEP) ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,

- les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la Haute Autorité de santé :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale : La Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, est chargée de : (...) / 2° Elaborer les guides de bon usage des soins ou les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l'information des professionnels de santé et du public dans ces domaines, sans préjudice des mesures prises par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans le cadre de ses missions de sécurité sanitaire ; qu'aux termes de l'article R. 161-72 du même code : Dans le domaine de l'information des professionnels de santé et du public sur le bon usage des soins et les bonnes pratiques, la Haute Autorité : / 1° Elabore et diffuse des guides et tout autre document d'information, notamment sur les affections de longue durée, en tenant compte, le cas échéant, de ceux élaborés et diffusés par l'Institut national du cancer en application du 2° de l'article L. 1415-2 du code de la santé publique (...) ; que les recommandations de bonnes pratiques élaborées par la Haute Autorité de santé sur la base de ces dispositions ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en oeuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction ; qu'eu égard à l'obligation déontologique, incombant aux professionnels de santé en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, d'assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu'elles ressortent notamment de ces recommandations de bonnes pratiques, ces dernières doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'il en va, par suite, de même des refus d'abroger de telles recommandations ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par la Haute Autorité de santé, tirée de ce que son refus d'abroger la recommandation de bonne pratique litigieuse, exprimé par la lettre du président de la Haute Autorité en date du 7 septembre 2009, constituerait un acte insusceptible de recours, ne peut qu'être écartée ;

Considérant, en deuxième lieu, que le refus de prendre, de modifier ou d'abroger un acte réglementaire ne saurait être regardé comme purement confirmatif d'un refus antérieurement opposé à une demande tendant aux mêmes fins ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir tirée de ce que le caractère prétendument définitif d'un refus d'abrogation de la recommandation litigieuse, antérieurement opposé par la Haute Autorité de santé, ferait obstacle à ce que la décision du 7 septembre 2009 puisse être contestée au contentieux, ne peut qu'être écartée ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 161-44 du code de la sécurité sociale : Les membres de la Haute Autorité de santé, les personnes qui lui apportent leur concours ou qui collaborent occasionnellement à ses travaux ainsi que le personnel de ses services sont soumis, chacun pour ce qui le concerne, aux dispositions de l'article L. 5323-4 du code de la santé publique ; qu'aux termes de l'article L. 5323-4 du code de la santé publique, les agents visés à cet article 2° Ne peuvent, par eux-mêmes ou par personne interposée, avoir, dans les établissements ou entreprises contrôlés par l'agence ou en relation avec elle, aucun intérêt de nature à compromettre leur indépendance et que Les personnes collaborant occasionnellement aux travaux de l'agence et les autres personnes qui apportent leur concours aux conseils et commissions siégeant auprès d'elle, à l'exception des membres de ces conseils et commissions, ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, traiter une question dans laquelle elles auraient un intérêt direct ou indirect ; que, par ailleurs, il résulte de ce même article que toutes les personnes qu'il vise doivent adresser au directeur général de l'organisme auquel elles apportent leur concours une déclaration annuelle mentionnant leurs liens, directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les produits entrent dans le champ de leurs travaux, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans le même champ ;

Considérant que l'association requérante soutient que la recommandation litigieuse a été élaborée en méconnaissance du principe d'impartialité dont s'inspirent les dispositions rappelées ci-dessus, en raison de la présence, au sein du groupe de travail chargé de sa rédaction, d'experts médicaux apportant un concours occasionnel à la Haute Autorité de santé ainsi que d'agents de la Haute Autorité de santé et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui entretenaient avec des entreprises pharmaceutiques des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflit d'intérêts ; qu'elle a produit à l'appui de ses allégations des éléments susceptibles d'établir l'existence de liens d'intérêts entre certaines personnes ayant participé au groupe de travail et des entreprises ou établissements intervenant dans la prise en charge du diabète ; que, ni dans le cadre des échanges contradictoires entre les parties, ni au terme d'une mesure d'instruction ordonnée à cette fin par la 1ère sous-section de la Section du Contentieux en vertu du pouvoir qui appartient au Conseil d'Etat d'exiger de l'administration compétente la production de tous documents susceptibles d'établir la conviction du juge et de permettre la vérification des allégations des parties, la Haute Autorité de santé n'a été en mesure de verser au dossier l'intégralité des déclarations d'intérêts dont l'accomplissement était pourtant obligatoire de la part des membres de ce groupe de travail ; que les déclarations d'intérêts fournies par la Haute Autorité de santé ne portent ainsi, au total, que sur vingt-trois des vingt-sept membres du groupe ; que la Haute Autorité de santé n'a pas davantage versé au dossier, pour ceux des membres dont la déclaration obligatoire de liens d'intérêts échappe ainsi au débat contradictoire, les éléments permettant au juge de s'assurer de l'absence ou de l'existence de tels liens et d'apprécier, le cas échéant, s'ils sont de nature à révéler des conflits d'intérêt ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la recommandation de bonnes pratiques litigieuse a été élaborée dans des conditions irrégulières ne peut qu'être accueilli ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Haute Autorité de santé, qui était, contrairement à ce qu'elle soutient, l'autorité compétente à la date du refus litigieux pour établir ou abroger cette recommandation, ne pouvait dès lors légalement refuser d'en prononcer l'abrogation ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête,
l'ASSOCIATION FORMINDEP est ainsi fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle la Haute Autorité de santé a refusé d'abroger la recommandation intitulée : Traitement médicamenteux du diabète de type 2 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant que l'annulation de la décision refusant d'abroger la recommandation de bonne pratique litigieuse implique nécessairement l'abrogation de ces dispositions ; qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'ordonner à la Haute Autorité de santé de procéder à cette abrogation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par l'association requérante ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ASSOCIATION FORMINDEP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la Haute Autorité de santé et non compris dans les dépens ; que l'Etat n'étant pas partie à l'instance, les conclusions présentées à son encontre par l'ASSOCIATION FORMINDEP sur ce même fondement ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 7 septembre 2009 par laquelle le président de la Haute Autorité de santé a refusé d'abroger la recommandation intitulée Traitement médicamenteux du diabète de type 2 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au président de la Haute Autorité de santé d'abroger la recommandation mentionnée ci-dessus dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.


Article 3 : Les conclusions présentées par la Haute Autorité de santé en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ASSOCIATION FORMINDEP est rejeté.


Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION POUR UNE FORMATION MEDICALE INDEPENDANTE et à la Haute Autorité de santé.


Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, de l'emploi et de la santé et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.