Abstrat : Pour la première fois, L'Etat a été reconnu fautif en matière de contamination professionnelle par l'amiante. Par quatre jugements du 30 mai 2000, le Tribunal Administratif de Marseille a estimé que l'inaction de l'Etat reposant sur une insuffisante réglementation (absence de législation protectrice des salariés exposés à l'amiante), comme sur un retard dans la transposition de normes européennes, est de nature à constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Le Tribunal Administratif de Marseille retient la responsabilité de l'Etat pour une période comprise entre 1957 et 1996.
Si la responsabilité repose sur une faute simple, implicitement l'absence de précaution est de nature à fonder la responsabilité de la puissance publique.
Mots-clés : Responsabilité Etat - Amiante - Victimes professionnelles - Précaution - défaut de précaution
Tribunal administratif de Marseille, 30 mai 2000 :
M. X c/ ministère de l’Emploi et de la Solidarité
(n° 97-3662)
Le Tribunal :
Considérant que Mme X, agissant en son nom personnel et au nom de ses enfants mineurs et reprenant l'instance de M. X décédé, demande la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice causé par la maladie dont a été victime M. X à la suite de l’inhalation de fibres d’amiante sur son lieu de travail pendant les années 1985 à 1987;
Sur la responsabilité :
Considérant que le décret du 17 août 1977 a fixé à deux fibres par millilitre la valeur limite de la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée pendant sa journée de travail par un salarié effectuant des travaux susceptibles d'être à l'origine d'émissions de fibres d'amiante ; qu'à supposer qu'ainsi que le soutient la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, ledit décret ait édicté la réglementation appropriée, compte tenu des connaissances médicales de l'époque et notamment du classement, au cours de la même année, de l'amiante comme cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé.
Une directive européenne du 19 septembre 1983 a réduit au moins de moitié la valeur limite fixée en 1977 ; que cette valeur limite fixée par la directive n'a été transposée dans la réglementation nationale que le 27 mars 1987 ; que, par suite, eu égard à l'existence de ladite directive, il ne peut être soutenu, qu'au moins pendant la période de septembre 1983 au 27 mars 1987 les pouvoirs publics français n'avaient pas connaissance du risque que faisait courir aux personnes exposées le maintien de la réglementation en vigueur; que, malgré le caractère vital dudit risque, il n'est fait état en défense, avant 1995, date
à laquelle un rapport d'expertise a été commandé à l’I.N.S.E.R.M par le ministère du Travail et des Affaires sociales, d'aucune étude qui aurait été demandée aux services compétents de l’État ou à des autorités scientifiques dans le but de vérifier l'existence du lien de causalité entre le cancer et l'inhalation de fibres d'amiante ;
Qu'il en résulte qu'au moins pendant la période ci-dessus précisée le retard mis par l’État pour adapter la réglementation de protection des salariés aux risques encourus est fautif et de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'il lui appartient de prendre non seulement des mesures tendant à l'indemnisation des maladies d'origine professionnelle, mais toutes mesures utiles pour prévenir lesdites maladies ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'avis rendu par le collège de trois médecins prévu par l'article D. 461.6 du livre IV du Code de la sécurité sociale que M. X a subi une exposition professionnelle à l'amiante au moins pendant la période de 1985 à 1987, à l'occasion de ses activités pour l'entreprise Sollac à Fos-sur-Mer, et qu'il a été atteint d'un mésothéliome diagnostiqué le 6 décembre 1995 dont il est décédé le 17 mars 1997 ; que ledit collège a émis l'avis du caractère professionnel de la maladie ; que le rapport d'expertise des effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante, établi par l’I.N.S.E.R.M. en juin 1996, confirme que la maladie dont a été atteint M. X est caractéristique des maladies causées par l'inhalation de fibres d'amiante ; que, par suite, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité ne peut sérieusement soutenir que le lien de cause à effet entre la maladie de M. X et l'exposition à l'amiante n'est pas établi ; que le retard fautif pris par l’État à édicter des normes plus sévères quant à l'inhalation de fibres d'amiante en milieu professionnel est la cause du décès de M. X ; qu'il y a donc lieu de condamner l’Etat à réparer les conséquences dommageables de la maladie de M. X ;
Sur la réparation :
Considérant que l’état du dossier ne permet pas de déterminer le montant du préjudice subi par M. X et sa famille ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur la demande d'indemnité, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;
Décide :
Article 1er : L’État est déclaré responsable des conséquences dommageables du décès de M. X.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité, procédé à une expertise en vue de déterminer :
- les périodes et le taux d'invalidité dont a été atteint M. X jusqu'à son décès,
- les souffrances physiques endurées,
- et donner au Tribunal tous éléments permettant de se prononcer sur les troubles endurés par M. X.