Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 26 juin 2001
N° de pourvoi: 00-87816
Non publié au bulletin Rejet
Président : M. COTTE, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme X., épouse Y,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2000, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, 31 du décret n° 93-221 du 16 février 1993, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme X. coupable d'homicide involontaire, l'a condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
"aux motifs qu'atteint depuis 1984 d'affections cardiaques qualifiées de "lourdes" par l'expert, M. Z.., 75 ans, était admis à la clinique des Dômes le 12 mars 1997 pour une coronographie ; qu'après cette investigation, réalisée le 13 mars par le Dr A. sous anesthésie générale, sans difficulté particulière, le patient était ramené dan sa chambre vers 12 h avec la feuille de prescription rédigée par le médecin comme suit :
- perfusion : G5 1000 cc/24 HEURES + 4 g Kcl
- Autres: 2 ampoules de Lasilix IVD
qu'il convenait donc de lui administrer, d'une part, en perfusion sur 24 heures, une solution glucosée d'un litre, avec 4 gr de chlorure de potassium, d'autre part, 2 ampoules de Lasilix en intraveineuse directe ; que, lors du retour de M. Z. du bloc opératoire, une seule infirmière était présente dans le service, Mme B. (5 h 45 à 14 h 45), Mme C., élève infirmière en 3ème année, en stage dans le service depuis le 10 mars, était également présente, arrivée un peu en avance sur son horaire (12 h 15 - 20 h 15), Mme X. prenait effectivement son service à l'heure prévue, soit 12 h 15 (12 h 13 - 20 h 15) ; qu'il est constant qu'une infirmière, en stage dans un autre service, n'avait pas été remplacée ; qu'après avoir lu la prescription -et l'avoir transcrite selon ses déclarations à l'audience- MME B. demandait à Mme C. d'aller chercher en salle de soins la perfusion glucosée et de l'installer, puis d'injecter les deux ampoules de Lasilix ; que ces deux opérations étaient donc réalisées par Mme C., seule selon ses dires, en présence de Mme B. selon celle-ci ;
que Mme B.. faisait ensuite préparer par la stagiaire, dans la salle de soins, la seringue de chlorure de potassium à partir de 4 ampoules d'un gramme chacun à 10 %, soit 10 ml ; qu'au cours de cette opération, Mme C. se blessait à la main avec un trocard, si bien qu'elle était interrompue et le premier matériel utilisé, souillé par son sang, jeté ; que Mme B. procédait alors, Mme C. étant occupée à se soigner, à la "relève" avec Mme X., c'est-à-dire la passation des consignes, avant de descendre à la cantine (en fait aller chercher son plateau pou revenir déjeuner dans le service) ; que les trois prévenues sont en contradiction sur les propos exacts échangés au cours de cette relève au sujet du chlorure de potassium restant à administrer à M. Z ; que Mme X. étant occupée par un nouveau patient remonté du bloc opératoire vers 12 h 30, Mme C. préparait à nouveau la seringue de chlorure de potassium, puis en faisait vérifier la posologie par Mme X. ; qu'elle se rendait ensuite dans la chambre de M. Z. où, en la seule présence de Mme D. ., elle commençait l'injection du contenu de la seringue en intraveineuse directe à l'aide du cathéter déjà en place, et non en perfusion comme prescrit ; que le patient s'étant aussitôt plaint d'une violente sensation de brûlure, puis de "2 barres", elle s'interrompait après avoir injecté 1/4 ou 1/3 du produit (les 3/4 selon Mme D...) ; qu'elle allait aussitôt aviser Mme X.., toujours retenue par son patient dans la chambre en vis-à-vis, de la réaction anormale de M. Z ; qu'après s'être fait préciser le mode d'administration, Mme X lui demandait de verser le produit restant dans la perfusion et d'accélérer le débit de celle-ci pour "rincer" les veines ; que, rapidement pris d'un malaise cardiaque, M. Z. devait décéder vers 13 h 30 malgré les efforts de réanimation aussitôt entrepris par Mme C., les deux infirmières présentes et le médecin appelé en urgence ; qu'en transmettant les consignes à sa collègue Mme X. et en lui indiquant les actes restant à accomplir pour chaque patient et notamment le chlorure de potassium à administrer à M. X., Mme B. s'est déchargée de toute responsabilité pour les actes devant être accomplis par sa collègue ou par l'élève infirmière sous le contrôle de l'infirmière ; que Mme X., épouse Y. n'a pas causé directement le dommage ; que dès lors que les consignes lui avaient été transmises, ce qu'elle ne conteste pas, Mme X. demeurait responsable des actes à accomplir pour le suivi des malades ; que la surveillance des actes accomplis par l'élève infirmière lui incombait également ; qu'en laissant l'élève infirmière procéder à l'administration d'une substance dangereuse à un patient hors de sa présence et sans s'être assurée que l'élève connaissait Ie mode opératoire à suivre, Mme X. a délibérément violé l'obligation de prudence et de sécurité prévue par l'article 31 du décret du 16 février 1993 ; que ce non-respect délibéré des dispositions susvisées constitue en outre une faute caractérisée qui exposait M. Y à un risque d'une particulière gravité ; que la prévenue ne pouvait, en sa qualité d'infirmière diplômée d'Etat travaillant dans un service de cardiologie, ignorer les effets du chlorure de potassium et par
conséquent le risque qu'elle faisait courir à son patient en ne surveillant pas le travail de son élève ; que Mme X. ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait qu'elle devait s'occuper d'un malade remontant du bloc opératoire ; que l'administration de chlorure de potassium à M. Y. ne présentait aucun caractère d' urgence et pouvait être accomplie après que le nouveau patient ait été installé dans sa chambre ; que Mme X. avait également la possibilité de faire attendre son nouveau patient le temps de verser dans la perfusion de M. Z. la seringue de chlorure de potassium ou d'être présente pendant que l'élève infirmière accomplissait ce geste qui ne devait pas l'occuper plus d'une minute ; qu'il convient de relever que la chambre du nouveau patient était située juste en face de celle de M. Z. ; que, même sil est regrettable qu'une infirmière en stage n'ait pas été remplacée, Mme X. ne peut justifier d'aucune impossibilité matérielle d'agir elle-même ou de surveiller l'élève infirmière ; que Mme X. disposait de la compétence et des moyens nécessaires à l'accomplissement de la tâche qu'elle n'a pas accomplie ;
"1 - alors que seule la méconnaissance d'une obligation de prudence ou de sécurité revêtant un caractère particulier est susceptible d'engager la responsabilité pénale de la personne poursuivie pour homicide involontaire n'ayant pas causé directement de dommage ; que l'article 31 du décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières est ainsi rédigé : "l'infirmier ou l'infirmière chargé d'un rôle de coordination et d'encadrement veille à la bonne exécution des actes accomplis par les infirmiers, aides-soignants, auxiliaires de puériculture et par les étudiants infirmiers placés sous sa responsabilité" ; qu'il résulte de ces termes que l'obligation mise à la charge de l'infirmier ou de l'infirmière chargé d'un rôle de coordination et d'encadrement est une obligation qui, n'étant pas définie en fonction de situations spécifiques, revêt un caractère général et que, par conséquent, en estimant que sa méconnaissance constituait une faute caractérisée et devait entraîner la condamnation de Mme X, l'arrêt a violé, par fausse application, les dispositions combinées des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal ;
"2 - alors que la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, condition de la responsabilité pénale de la personne poursuivie du chef d'homicide involontaire n'ayant pas causé directement le dommage en application de l'article 121-3 ,alinéa 3 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, ne peut être retenue qu'à l'encontre de la personne à qui cette obligation incombe ; qu'il résulte des termes de l'article 31 du décret n° 93- 21 du 16 février 1993 que l'obligation de veiller à la bonne exécution des actes accomplis par les élèves infirmiers incombe à l'infirmier "chargé d'un rôle de coordination et d'encadrement " ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la Cour d'appel, Mme X, dont il n'est pas discuté qu'elle n'a pas causé directement le dommage, faisait valoir, qu'étant simple infirmière diplômée d'Etat, elle n'était pas chargée d'un tel rôle qui incombait en l'espèce à Mme D., épouse E. en sa qualité de surveillante du service cardiologie et que la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur ce chef péremptoire des conclusions de la demanderesse, et qui n'a au demeurant pas constaté que Mme X ait eu "un rôle de coordination et d'encadrement" , ne pouvait, sans priver sa décision de base légale, retenir que celle-ci avait délibérément violé l'obligation de prudence et de sécurité prévue par l'article 31 du décret susvisé ;
"4 - alors que le défaut de surveillance d'un élève infirmier par une personne à qui incombe cette surveillance aux termes de l'article 31 du décret du 16 février 1993 ne constitue un manquement fautif qu'autant que cette surveillance est rendue nécessaire par le niveau de connaissances de l'élève et les circonstances concrètes de son intervention ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d'appel, Mme X. invoquait les circonstances de fait suivantes : 1 - la feuille de prescriptions de Dr E.. était clairement rédigée et ne laissait place à aucun doute sur le fait que les 4 gr de chlorure de potassium devaient être administrés en perfusion et non en intraveineuse ;
2 - Mme B., infirmière présente dans le service jusqu'à midi trente, avant de transmettre les consignes à Mme X. qui reprenait son service à 12 h 15, avait lu à l'infirmière stagiaire cette feuille de prescriptions et lui avait précisé qu'elle devait injecter le chlorure de potassium dans la perfusion, c'est-à-dire dans le flacon ;
3 - l'infirmière stagiaire -major de sa promotion et qui avait validé un module de cardiologie- connaissait nécessairement la dangerosité du potassium et son mode d'administration ;
4 - l'injection d'une dose de potassium dans un flacon de perfusion est un acte courant et banal ;
qu'il se déduisait de ces circonstances qu'aucune surveillance particulière de l'élève infirmière n'était normalement nécessaire de la part de Mme X. et que, dès lors, en retenant à son encontre une faute consistant en un défaut de surveillance, sans s'être préalablement expliquée sur ces arguments péremptoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4 - alors que seule la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité peut engager la responsabilité pénale d'une personne poursuivie pour homicide involontaire n'ayant pas directement causé le dommage et que le fait pour une infirmière se trouvant, comme l'ont constaté les premiers juges par des motifs qui n'ont pas été infirmés par la cour d'appel, seule dans un service de cardiologie comportant 25 lits occupés par des malades atteints de pathologies lourdes avec retours du bloc opératoire, de ne pas avoir exercé simultanément de surveillance constante sur tous les faits et gestes d'une élève infirmière ayant déjà reçu des consignes avant qu'elle ait repris son service, ne revêt pas un caractère manifestement délibéré contrairement à ce qu'a estimé la Cour d'appel par une décision qui procède d'une fausse application des dispositions de l'article 121 -3 du Code pénal ;
"5 - alors que contrairement à ce qu'a estimé l'arrêt par des motifs impliquant une méconnaissance certaine des notions visées par l'article 121-3, alinéa 2 du Code pénal, ne peut être considérée comme disposant des moyens propres à assurer dans des conditions convenables la tâche de surveillance d'une élève infirmière, l'infirmière diplômée d'Etat qui a seule Ia charge de 25 lits dans un service de cardiologie comportant des malades atteints de pathologies lourdes avec retours du bloc opératoire comme c'était le cas de Mme X." ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme X. coupable d'homicide involontaire ;
"aux motifs qu'informée par l'élève infirmière que celle-ci avait pratiqué une injection de chlorure de potassium en intraveineuse directe, Mme X. ne s'est pas inquiétée, ne s'est pas rendue au chevet de M. Z. et a conseillé à l'élève infirmière de verser le restant du chlorure de potassium dans la perfusion et d'en accélérer le débit aggravant selon l'expert, le geste accompli par Mme C. ;
"alors que le délit d'homicide involontaire suppose l'existence d'un lien de causalité certaine entre la faute retenue et le décès de la victime ; que la cour d'appel, qui constatait que Mme C. avait injecté en intraveineuse entre 1 et 1, 5 gr de potassium à un malade de 74 ans atteint d'affections cardiaques qualifiées de lourdes, c'est-à-dire une dose nettement mortelle, ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de Mme X., , faire état de prétendus manquements postérieurs à l'administration de cette dose mortelle, seule cause certaine de la mort du malade" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Z...., atteint d'affections cardiaques, a été admis dans le service de cardiologie d'une clinique pour y subir une coronographie sous anesthésie générale ;
qu'à l'issue de l'examen, le médecin lui a prescrit l'administration, en perfusion sur 24 heures, d'une solution glucosée d'un litre additionnée de quatre grammes de chlorure de potassium ; qu'une élève infirmière en stage lui a injecté le chlorure de potassium par voie intraveineuse directe, à l'aide du cathéter déjà en place, au lieu de procéder par perfusion, ce qui a provoqué le décès du patient ;
Attendu que, pour déclarer Mme X., infirmière du service, coupable d'homicide involontaire, l'arrêt infirmatif retient qu'elle venait d'assurer la relève de sa collègue, qui lui avait transmis les consignes ; qu'il lui incombait de surveiller les actes accomplis par l'élève infirmière ; qu'elle disposait de la compétence et des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; que l'administration du produit, ne présentant aucun caractère d'urgence, pouvait être différée jusqu'à ce que la prévenue, occupée auprès d'un autre patient, soit disponible pour agir elle-même ou surveiller le travail de l'élève infirmière ;
Que les juges ajoutent qu'en laissant celle-ci administrer une substance dangereuse à un patient, hors de sa présence et sans s'être assurée qu'elle connaissait le mode opératoire, Mme X, a commis une faute caractérisée ayant exposé le patient à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens, inopérants en ce qu'ils critiquent des motifs surabondants, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ferrari conseiller rapporteur, MM. Roman, Mistral, Blondet, Le Corroller, Béraudo conseillers de la chambre, Mmes Beaudonnet, Gailly conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;