Lorsque la preuve d'une infection nosocomiale est apportée mais que celle-ci est susceptible d'avoir été contractée dans plusieurs établissements de santé, il appartient à chacun de ceux dont la responsabilité est recherchée d'établir qu'il n'est pas à l'origine de cette infection. En l'espèce, les ayants droit d'une personne décédée d'une infection nosocomiale, après avoir reçu des soins ou subi des examens dans six établissements, avaient été débouté de leurs demandes contre deux établissements de santé aux motifs qu'ils ne rapportaient pas la preuve du lieu de contamination La cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 4 mars 2009) avait relevé, en se fondant sur le rapport d'expertise, que si l'infection dont la personne était décédée avait un caractère nosocomial, il était impossible de déterminer lequel des deux établissements était à l'origine de cette infection.
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du 17 juin 2010
N° de pourvoi: 09-67011
M. Charruault (président), président
Me Spinosi, Me de Nervo, SCP Coutard, Mayer et Munier-Apaire, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Defrenois et Levis, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 1315 et 1147 du code civil ;
Attendu que pour débouter les ayants cause de Pascal X..., décédé le 4 juillet 2000 d’une infection nosocomiale après avoir reçu des soins ou subi des examens dans six établissements pendant cent neuf jours, de leurs demandes contre la Clinique Saint-Martin et le Centre hospitalier privé Clairval (la Clinique Clairval), la cour d’appel a relevé, en se fondant sur le rapport d’expertise, que si l’infection dont Pascal X... était décédé avait un caractère nosocomial, il était impossible de déterminer lequel des deux établissements était à l’origine de cette infection ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, lorsque la preuve d’une infection nosocomiale est apportée mais que celle-ci est susceptible d’avoir été contractée dans plusieurs établissements de santé, il appartient à chacun de ceux dont la responsabilité est recherchée d’établir qu’il n’est pas à l’origine de cette infection ; qu’en déboutant les consorts X... de leurs demandes, aux motifs qu’ils ne rapportaient pas la preuve du lieu de contamination, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 mars 2009, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne, ensemble, la société GAN assurances IARD, la Clinique Saint-Martin, le Centre hospitalier Clairval, le CHP d’Istres et l’Hôpital privé Beauregard à payer aux consorts X... la somme globale de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille dix.MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour les consorts X...
Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté les consorts X... de leur demande tendant à ce que soit reconnue responsable de l’infection nosocomiale dont est décédé Pascal X... la Clinique SAINT-MARTIN ou, subsidiairement, la Clinique SAINT-MARTIN solidairement avec la Clinique CLAIRVAL si le lieu de contamination n’était pas déterminable ;
Aux motifs que, « Attendu qu’il incombe aux ayants droit de M. X... de démontrer le caractère nosocomial de l’infection dont il a été victime fût-ce par présomptions graves précises et concordantes ;
Attendu que force est de constater que la cause du décès de M. X... provoqué par un choc septique résultant d’une septicémie Morgenella Morganii n’est l’objet d’aucune discussion ; que cette septicémie s’est déclarée à l’hôpital Ambroise Paré le 30 juin 2000 (hémoculture positive) au sein duquel M. X... avait été transféré en réanimation après 109 jours ininterrompus de soins et séjours dans divers services hospitaliers tels que décrits ci-dessus ;
Attendu que par conséquent dès l’instant que M. X... a présenté cette infection le 30 juin 2000 après 109 jours ininterrompus d’hospitalisation alors que rien ne permet de retenir qu’avant sa première admission à la Clinique d’ Istres le 12 mars 2000 (ni d’ailleurs avant aucune des autres admissions dans les divers services où il a reçu des soins et a séjourné M. X... présentait cette affection à Morgenella Morganii) force est d’admettre que les ayants droit de M. X... établissent, ce que retient d’ailleurs l’expert, que M. X... a contracté une infection nosocomiale qui s’est développée le 30 juin 2000 et dont l’issue a été fatale.
Attendu que force est de constater qu’entre le 12 mars 2000 et le 30 juin 2000 M. X... a séjourné ou reçu des soins sans interruption dans les 6 établissements susvisés dans la genèse ; que l’infection mortelle dont il a été victime a été décelée à l’hôpital Ambroise Paré au sein du 7ème établissement où il avait été transféré le 30 juin 2000 de la Clinique Saint Martin ;
Attendu que pour retenir la responsabilité de la Clinique Saint Martin dans l’affection contractée par M. X..., les premiers juges retiennent que M. X... ne présentait pas cette affection avant son entrée au sein de la Clinique Saint Martin et qu’en raison du délai habituellement bref d’apparition des symptômes d’une infection bactérienne, celle-ci n’ a pu être contractée qu’au sein de la Clinique Saint Martin ;
Mais attendu que s’il n’est pas établi que M. X... présentait le germe Morgenella Morganii avant son admission à la Clinique Saint Martin, il n’est pas plus établi qu’il le présentait avant son admission à la Clinique Clairval ;
Attendu que force est de constater que les différents épisodes infectieux ayant émaillé les séjours hospitaliers de M. X... :
- mars 2000 épisode infectieux bronchitique
- 17 avril 2000 enterobacter cloacae
- 29 juin 2000 infection urinaire
tels que décrits ci-dessus sont sans rapport avec le germe Morgenella Morganii dont était porteur M. X... et qui est à l’origine de la septicémie mortelle de ce dernier ;
Attendu qu’à la lecture du rapport d’expertise et des documents médicaux visés au dossier il a été impossible de déterminer la porte d’entrée du germe dans l’organisme de M. X..., l’expert excluant seulement “ les points d’entrée classiques” ;
Attendu que dans ces conditions alors que d’une part M. X... a séjourné ou reçu des soins dans 6 établissements depuis le 12 mars 2000 et que d’autre part sur le plan médical ou dans la littérature il n’est posé aucune certitude de délai ou de temps entre la contamination par une bactérie et le délai d’apparition des symptômes et qu’enfin au 109ème jour d’hospitalisation émaillés d’infections n’ayant pu qu’affaiblir l’état général de M. X..., son état général constituant un “facteur favorisant essentiel” dans la genèse de la septicémie à germe opportuniste”, il est impossible de dire si le germe à l’origine de la septicémie mortelle dont a été victime M. X... a été contracté au sein de la Clinique Saint Martin, d’autant plus qu’il n’est relevé aucun manquement contractuel de cette clinique (au niveau des locaux, du matériel, de l’asepsie, du personnel soignant) et que les lésions et traitements prodigués au sein de cette clinique ont été des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science selon l’expert ;
Attendu que par conséquent faute d’établir que l’infection mortelle, dont M. X... a été victime, est rattachée à son séjour hospitalier à la Clinique Saint Martin, l’appel formalisé par le GAN Assureur de la clinique Saint Martin est bien fondé ; qu’il convient de débouter les Consorts X... de leur demande d’indemnisation à l’encontre de la Clinique Saint Martin et de son assureur ;
Sur la condamnation solidaire des Cliniques Saint Martin et Clairval sollicitée par les Consorts X... :
Attendu que si le caractère nosocomial de l’infection de M. X... est retenu et qu’il est donc admis que M. X... a contracté un germe septique au sein d’un des établissements hospitaliers dans lequel il a séjourné entre le 12 mars 2000 et le 30 juin 2000 ou reçu des soins soit :
- Clinique d’Istres
- Clinique Clairval
- Clinique Saint Martin
- Institut Paoli Calmette
- Hôpital privé Beauregard
- Résidence du Parc
avant d’être hospitalisé à Ambroise Paré à Paris, encore faut-il pour retenir la condamnation de l’un ou de l’autre des établissements ou la condamnation solidaire des établissements de soins que l’infection soit rattachée à des hospitalisations précises ou à un acte précis et que soit établi un lien de causalité entre l’infection et les séjours particuliers dans l’un ou dans l’autre ou dans plusieurs des établissements ;
Attendu que dès l’instant que la Cour a admis qu’il était impossible de déterminer si l’établissement qui est à l’origine de l’infection nosocomiale de M. X... est la Clinique Saint Martin et que l’expert admet aussi cette impossibilité pour la Clinique Clairval, la condamnation solidaire des 2 établissements de soins sollicitée est dénuée de tout fondement ;
Alors que, le contrat d’hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère ; que lorsque la preuve d’une infection nosocomiale est rapportée, il appartient à chaque établissement de santé mis en cause de prouver qu’il n’est pas à l’origine de cette infection ; qu’en déboutant les consorts X... de leurs demandes, aux motifs qu’ils ne rapportaient pas la preuve du lieu de contamination, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi les articles 1315 et 1147 du code civil.
Alors que, d’autre part, le juge ne peut refuser de trancher le litige en se fondant sur l’insuffisance des preuves fournies par les parties ; qu’en l’espèce, pour débouter les consorts X... de leurs demandes, la Cour d’appel a jugé qu’il était impossible de déterminer dans quel établissement de santé Pascal X... avait contracté son infection mortelle ; qu’en statuant ainsi, et alors que l’infection avait été reconnue comme nosocomiale, ce dont il résultait qu’elle avait forcément été contractée au sein de l’un de ces établissements, la Cour d’appel, qui a refusé de trancher le litige, a violé l’article 4 du code civil ;
Alors que, en outre, une infection débutant plus de 48 heures après l’admission du patient dans un établissement de santé est présumée avoir été contractée dans cet établissement ; qu’en jugeant en l’espèce qu’il n’était pas prouvé que l’infection nosocomiale dont est décédé Pascal X... avait été contractée à la Clinique SAINT-MARTIN, cependant qu’il est constant que l’infection s’était déclarée plus de 48 heures après son admission dans cet établissement de santé et plus de 48 heures après ses derniers déplacements en consultation externe à la RESIDENCE DU PARC pour y subir une radiothérapie et à l’hôpital privé BEAUREGARD où ont été pratiqués des échodopplers, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du code civil.
Alors que, enfin, en retenant qu’il n’était pas établi que l’infection nosocomiale dont est décédé Pascal X... avait été contractée à la Clinique SAINT-MARTIN, tout en relevant « qu’il n’est pas établi que Monsieur X... présentait le germe Morgenella Morganii avant son admission à la Clinique ST MARTIN », la Cour d’appel, qui aurait dû en déduire que l’infection avait donc eu lieu lors de l’hospitalisation de Pascal X... à la Clinique SAINT MARTIN, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l’article 1147 du code civil. Publication :
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 4 mars 2009